Le besoin de changement

  • 01 Jan. 2005 -
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  • Mis à jour le: 04 Nov. 2008 02:10

Henning Riecke s’intéresse à la nécessité de changement au sein des organisations internationales et fait valoir que la transformation de l’OTAN doit reposer sur une base politique solide.

Henning Riecke s’intéresse à la nécessité de changement au sein des organisations internationales et fait valoir que la transformation de l’OTAN doit reposer sur une base politique solide.

Lorsque, à l’occasion de la Conférence annuelle sur la Politique de sécurité européenne qui s’est tenue à Munich en février dernier, le chancelier allemand a lancé un pavé dans la mare en estimant que l’OTAN ne constituait plus « la principale enceinte au sein de laquelle les partenaires transatlantiques discutent et coordonnent [leurs] stratégies », il a dit tout haut ce que tout le monde pensait tout bas. Ce qui est plus troublant toutefois, c’est qu’il n’existe pas d’autre instance de ce type. La raison pour laquelle Gerhard Schröder a choisi de souligner cette situation fâcheuse pour l’Alliance réside dans le fait que l’OTAN est en partie conçue pour renforcer le consensus entre l’Europe et l’Amérique du Nord dans le domaine de la sécurité et qu’il estime qu’elle devrait accomplir un meilleur travail. Gerhard Schröder a proposé la création d’une commission de haut niveau pour discuter de la manière d’améliorer les relations transatlantiques, avec pour objectif, entre autres, de rétablir une culture du dialogue stratégique au sein de l’Alliance. Pour y parvenir, l’OTAN doit s’adapter.

L’Alliance ne constitue naturellement pas la seule institution internationale qui doit s’adapter à l’environnement sécuritaire fluide et complexe actuel. Tant l’Union européenne que les Nations Unies doivent, elles aussi, se montrer tout aussi réformatrices et ambitieuses, pour pouvoir s’inscrire dans la mouvance actuelle et édifier un monde plus stable. Ce n’est pas non plus la première fois que l’OTAN se trouve dans une telle situation. Il est d’ailleurs difficile de trouver une époque où l’Alliance ne s’est pas vue confrontée à la nécessité de se réinventer.

Fréquemment dénigrée, voire considérée comme inappropriée ou agonisante par les critiques au fil des années, l’OTAN n’en a pas moins fait de l’adaptation à de nouveaux défis une sorte de spécialité. Ceci étant, les changements n’ont pas toujours été faciles. Le plus souvent d’ailleurs, le processus s’est caractérisé par des frustrations, des frictions et de très longues consultations, faisant parfois apparaître l’Alliance comme un foyer de luttes intestines plutôt que comme une institution visant à l’obtention d’un consensus. Quelle que soit l’acrimonie des discussions débouchant finalement sur un compromis, une telle adaptation s’avère essentielle pour l’évolution réussie de l’OTAN, ainsi que pour le maintien de la stabilité au sens large. Qui plus est, l’OTAN procède actuellement à une transformation militaire extrêmement dynamique. Pourquoi, dès lors, apparaît-elle aussi divisée politiquement ?

Comprendre la manière dont l’OTAN s’adapte exige une analyse de la dynamique qui sous-tend la cohésion de l’Alliance. A une époque où l’environnement sécuritaire est en pleine mutation, des questions telles que la perception conjointe des menaces, un intérêt partagé en faveur du maintien de la présence américaine en Europe et des valeurs communes font inévitablement l’objet d’un examen attentif. Cela a été déjà le cas dans les années 1960 par exemple, lorsque les Etats-Unis sont, pour la première fois, apparus vulnérables, à la suite de la mise au point des missiles intercontinentaux soviétiques. A l’époque, la réponse de l’Alliance a revêtu la forme d’une modification de sa doctrine stratégique. Renonçant aux représailles massives, elle a ainsi opté pour la doctrine de la réponse graduée et, après l’adoption du Rapport Harmel en 1967, elle a redéfini ses objectifs, associant la dissuasion à la promotion de la détente.

De la sorte, l’on constate que l’adaptation ne porte pas seulement sur les instruments dont l’Alliance dispose, mais également sur le but que l’OTAN s’assigne dans son ensemble et sur les règles qui guident la coopération. L’émergence de menaces non traditionnelles depuis la fin de la Guerre froide complique les négociations relatives à une perception partagée de la sécurité. Parallèlement cependant, la réponse à ces menaces exige une ouverture et une flexibilité plus grandes en matière de planification stratégique, afin de préparer l’Alliance à un plus large éventail de tâches.

Les menaces mondiales

Les menaces sécuritaires mondiales actuelles présentent deux caractéristiques qui compliquent une mise en œuvre efficace d’outils conçus à l’avance. En premier lieu, les menaces non traditionnelles trouvent leur origine dans une évolution sociétale plutôt que dans des décisions gouvernementales, ce qui contraint les stratèges à reconsidérer des instruments traditionnels tels que les interventions militaires ou la dissuasion. En deuxième lieu, l’incertitude est l’une des caractéristiques déterminantes de la politique sécuritaire actuelle, car les motivations, les intentions et les capacités des adversaires autres que des Etats sont souvent inconnues. Qui plus est, le calcul de l’impact d’événements et d’actions qui surviennent dans une partie du monde pour la sécurité d’une autre partie d’une monde est extrêmement difficile à effectuer, ce qui rend l’exagération de la menace au moins aussi probable que le fait de la sous-estimer.

Dans ces circonstances dominées par l’incertitude, les membres de l’OTAN doivent mettre en place des forces rapidement déployables partout où elles sont susceptibles d’être nécessaires. Parallèlement, les Alliés cherchent aussi à réduire le niveau d’incertitude, en contribuant au renforcement de la stabilité et de la transparence politiques dans les régions en crise. Cette double approche guide le processus d’adaptation entrepris, avec certaines hésitations, par l’OTAN depuis la fin de la Guerre froide et dans lequel il est possible de distinguer trois éléments, présentant chacun ses propres motifs et catalyseurs.

Le premier de ces éléments a été la mise en place de partenariats sécuritaires, visant à étendre la zone de stabilité au sein de l’Europe. En réponse au vide laissé par la disparition du Pacte de Varsovie, l’OTAN a offert des structures en coopération incluant un mécanisme pour l’adhésion à terme à l’Alliance afin d’assurer l’ancrage d’anciens adversaires, et d’intégrer les armées des Partenaires aux opérations de gestion des crises en Europe. Le deuxième élément est lié à la volonté croissante de l’OTAN de recourir à la force dans la gestion et la stabilisation des crises, d’abord dans les Balkans et à présent, en Asie centrale. Conçue à l’origine comme une organisation focalisée sur le maintien de la sécurité en Europe, l’OTAN est parfois confrontée à des tiraillements face à l’extension de l’ampleur et de la portée de ses opérations, car certains membres cherchent à résister à ce processus.

Le troisième élément découle de la restructuration des forces issues de la Guerre froide au cours des années 1990 et débouche sur l’actuel programme ambitieux de transformation de ces forces. Les exigences militaires des nouvelles opérations de l’Alliance sont sources de tensions pour les réformes prévues à l’origine. En réponse, des principes tels que la flexibilité, la capacité de déploiement, la capacité de soutien, la supériorité technologique, l’efficacité et, surtout, l’interopérabilité sont devenues les pierres angulaires de la pertinence de l’OTAN en tant qu’organisation sécuritaire.

La transformation militaire

Dans ce domaine, les Etats-Unis agissent comme des maîtres d’œuvre politiques, cherchant sans relâche à faire progresser le chantier. La transformation politique de l’OTAN repose d’ailleurs en grande partie sur le transfert, vers le reste de l’Alliance, des innovations technologiques, doctrinales et structurelles qui ont transformé de manière révolutionnaire la façon dont les Etats-Unis sont en mesure de conduire des opérations militaires. Ce processus s’est accéléré pendant le premier mandat de George W. Bush et peut être considéré comme un moyen de développer des forces présentant l’interopérabilité requise pour des opérations en coalition, en veillant à ce que les armées alliées soient équipées pour opérer à l’avenir aux côtés des forces américaines.

La transformation militaire constitue un processus dynamique sans fin prévisible, avec des implications pour les soldats, les équipements et la technologie, ainsi que des principes guidant le déploiement des forces et la conduite des opérations militaires. De la sorte, l’OTAN ne se contente pas de superviser la transformation au sein des forces de ses membres, mais fait elle-même l’objet d’une transformation.

Les manifestations les plus visibles de la transformation militaire de l’OTAN résident dans l’établissement du Commandement allié Transformation à Norfolk, en Virginie, et dans la mise sur pied de la Force de réaction de l’OTAN (NRF). La NRF constitue désormais le point focal de la transformation des forces et sert de terrain d’essai pour les nouvelles technologies, doctrines et procédures. En raison de la rotation régulière et fréquente des forces, les contingents remplacés sont en mesure de rapidement communiquer l’expertise et les compétences acquises au sein de la NRF et de les injecter dans leurs forces nationales. Comme la NRF se compose principalement d’Européens, elle sert également de vecteur à la promotion de politiques d’acquisition plus cohérentes en Europe. Manifestement, la transformation ne constitue plus un simple point figurant à l’agenda de l’OTAN, mais est aujourd’hui devenue une caractéristique déterminante de l’Alliance.

La transformation ne représente cependant pas en elle-même un objectif commun suffisamment convaincant pour assurer la cohésion des Alliés et l’unité de l’OTAN. La cohésion de l’Alliance dans un monde en changement exige un accord plus fondamental sur la nature des défis pour la sécurité et sur les approches pour y faire face. Toutefois, bien que la plupart des observateurs considèrent comme dépassé le Concept stratégique de l’Alliance de 1999, le document agréé qui analyse l’environnement stratégique et les moyens grâce auxquels l’Alliance affronte les menaces auxquelles elle est confrontée, les différends transatlantiques des deux dernières années minent toute perspective de mise à jour. Il est d’ailleurs révélateur que La Vision stratégique, le document qui fournit la base stratégique du processus de la transformation, ne soit pas un document officiel agréé par l’Alliance, mais une publication des Commandants suprêmes de l’OTAN : le général James L. Jones, Commandant suprême des forces alliées en Europe, et l’amiral Edmund P. Giambastiani, Commandant suprême allié Transformation.

Comme nous l’avons dit précédemment, l’OTAN n’est pas la seule organisation sécuritaire ayant besoin d’être réformée. Deux autres organisations qui entretiennent des liens étroits avec l’Alliance s’adaptent également aux changements de l’environnement sécuritaire, mais avec des résultats divers. L’élaboration rapide d’une Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) contribue à fournir à l’Union européenne une personnalité sécuritaire qui lui est propre. La lenteur et la nature administrative de la réforme des Nations Unies risquent, par contre, de saper la base légale des efforts internationaux de stabilisation. Etant donné les interrelations entre l’OTAN et ces deux organisations, il est intéressant d’examiner les processus de réforme en cours en leur sein.

L’évolution de l’Union européenne

L’Union européenne élabore la PESD pour qu’elle serve d’élément important de sa politique étrangère, afin d’ajouter une vigueur militaire à la puissance économique déjà à sa disposition. L’UE s’est longtemps concentrée sur des instruments non militaires destinés à promouvoir la stabilité à l’étranger dans le but de s’attaquer aux racines de menaces telles que celles posées par l’extrémisme, l’immigration et le crime organisé. La composante militaire de la Politique européenne de sécurité et de défense contribue désormais à rééquilibrer cette approche et offre à l’Union davantage d’options politiques, même si sa volonté de se considérer comme un acteur militaire ne se développe qu’avec lenteur.

Ebauchée et négociée par le secrétariat du Conseil, la Stratégie européenne de sécurité de 2003 contribue à créer une dynamique nouvelle dans le débat sécuritaire interne de l’UE. Ce document constitue à la fois un compromis, qui concilie des positions différentes sur le recours légitime à la force, et un appel provocateur à l’action, qui réclame des engagements européens plus nombreux et plus précoces, ainsi que de plus grands efforts pour accroître la cohérence des instruments de politique étrangère européens. Ces nouvelles approches sont actuellement testées en Bosnie-Herzégovine et ailleurs. Qui plus est, nombre des problèmes de cohérence ont été abordés au cours des négociations sur la Constitution européenne. De la sorte, même si cette Constitution n’est pas ratifiée, la plupart des mesures survivront, y compris la création d’une Agence européenne de défense pour contribuer à la coordination des acquisitions d’équipements militaires.

De plus en plus, à la suite des opérations en ex-Yougoslavie, l’Union européenne et l’OTAN collaborent efficacement conformément aux accords « Berlin Plus », aux termes desquels l’Union européenne a accès aux ressources de l’OTAN. En dépit de cette coopération pratique, de nombreux analystes envisagent la possibilité que les deux institutions deviennent, à terme, concurrentes. De nombreux Européens estiment que la série d’instruments multidimensionnels qu’ils espèrent mettre en place pour établir la politique étrangère de l’UE offre des outils plus appropriés pour faire face aux défis sécuritaires modernes que n’importe quelle approche basée sur la force militaire. Ceci étant, le consensus stratégique au sein de l’Union européenne et de l’OTAN est, à vrai dire, très similaire. Qui plus est, seuls quelques très rares membres de l’UE souhaitent que celle-ci devienne un contrepoids aux Etats-Unis. La majorité désire simplement que l’Europe devienne plus puissante, afin de constituer un partenaire plus attirant et, dès lors, plus influent pour les Etats-Unis. Les motifs qui sous-tendent la PESD sont peut-être divers, mais la conviction qui la motive est suffisamment ferme pour assurer la progression du processus.

La réforme des Nations Unies

Le processus de réforme des Nations Unies constitue un exemple d’adaptation organisationnelle en l’absence d’un pays pilote pouvant servir de moteur et d’intérêts convergents entre les Etats membres. Ce sont en fait le Secrétaire général et son équipe qui représentent les acteurs influents, tout en n’ayant pas un poids suffisant pour obtenir plus que des gains d’efficacité au sein de l’administration des Nations Unies. Ils sont de surcroît incapables d’initier une transformation en profondeur de l’organisation dans son ensemble.

La fin de la Guerre froide a semblé présager de nouvelles possibilités pour le Conseil de sécurité des Nations Unies, paralysé depuis longtemps. L’Agenda pour la paix de 1992 fournissait à l’organisation un cadre audacieux pour les tâches de maintien et d’imposition de la paix, tout en contribuant à guider la rationalisation du Département des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Qui plus est, dans les années qui ont suivi, le secrétariat a été réformé pour qu’il soit plus efficace. Tout changement exigeant le consensus et l’engagement des Etats membres est cependant plus difficile à atteindre.

L’un des éléments de cette entreprise complexe réside dans la réforme du Conseil de sécurité lui-même. Un accord général existe pour considérer que le Conseil de sécurité constituerait un instrument plus crédible s’il reflétait avec plus de précision la distribution réelle de la population et de la puissance dans le monde, mais aucun consensus sur sa réforme n’est en vue. Pour sortir de l’impasse, le Secrétaire général Kofi Annan a mis sur pied une commission de haut niveau qui a fait rapport en décembre dernier. En plus de présenter des propositions rationnelles pour la réforme du Conseil de sécurité, cette commission suggère un certain nombre de changements radicaux des Nations Unies, incluant la spécification de critères pour les actions militaires préventives. Le rapport génère ainsi une pression supplémentaire en faveur d’une réforme complète et constitue un document de référence très médiatisé pour le débat.

La forme et l’efficacité futures des Nations Unies sont importantes pour la transformation de l’OTAN. Cela s’explique par le fait que la légitimité reposant sur le droit international, telle qu’un mandat du Conseil de sécurité, constitue pour la plupart des Alliés européens un préalable important, voire nécessaire, pour envisager le recours à la force. Une étroite connexion entre l’OTAN et les Nations Unies en matière de déploiement de la NRF contribuerait, dès lors, à renforcer la transformation de l’Alliance grâce un plus grand consensus politique.

Les perspectives pour l’OTAN

Au cours des années 1990, après la fin de la Guerre froide, l’OTAN est parvenue à préserver son existence et sa pertinence en se concentrant sur la gestion des crises en Europe. Ce travail est certes essentiel à la sécurité et à la stabilité en Europe au sens large, mais il ne constitue pas – en termes de promotion de la cohésion politique et d’une identité commune pour l’Alliance – un substitut à la menace existentielle précédemment représentée par l’Union soviétique. De même, l’agenda de transformation qui motive efficacement l’Alliance depuis le 11 septembre et, surtout, depuis le Sommet de Prague de 2002, ne suffit pas à surmonter les divisions politiques parmi les Alliés.

Certains analystes pensent que l’agenda actuel de la transformation représente le plus haut degré possible de consensus pouvant être atteint à ce jour au sein de l’OTAN. Ils redoutent, en conséquence, la disparition probable de tout consensus existant dès que l’Alliance sera confrontée à des décisions sur le recours ou la menace d’un recours à la force, une intervention humanitaire ou un engagement dans une région stratégique plus éloignée, ce qui mettrait, une fois de plus, l’existence de l’OTAN en danger. L’Alliance pourrait alors survivre en se limitant à un rôle de prestataire de services, mettant des capacités à disposition pour des opérations de coalition dirigées par les Etats-Unis et, éventuellement, par l’Union européenne à l’avenir.

En attirant l’attention sur le manque de discussions stratégiques au sein de l’OTAN, Gerhard Schröder a posé toutes ces questions sur la table. Il se pourrait également qu’il ait lancé le genre de dialogue qu’il estime nécessaire pour revitaliser les relations transatlantiques. Sa suggestion de création d’une commission de haut niveau n’a pas été retenue, mais les représentants américains n’ont pas tardé à indiquer qu’eux aussi désirent ardemment un tel dialogue et qu’ils avaient également une ambition pour l’OTAN. A la veille de son départ de Bruxelles, l’ancien ambassadeur américain Nicholas Burns s’est ainsi interrogé dans une interview accordée à un quotidien : « L’ambition qui motive l’OTAN actuellement ne devrait-elle pas consister à apporter l’étendard de la liberté, de la sécurité et de la paix à des peuples et à des pays plus au Sud et à l’Est ? » La question est de savoir s’il s’agit-là d’un étendard auquel les Européens pourront se rallier.

Henning Riecke est chargé de cours à la Deutsche Gesellschaft für Auswärtige Politik à Berlin. Il est spécialisé dans la sécurité européenne et transatlantique.