L’adéquation des capacités et des engagements

  • 01 Jan. 2005 - 31 Mar. 2005
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  • Mis à jour le: 04 Nov. 2008 02:05

Steve Sturm s’intéresse à la manière dont l’OTAN cherche à améliorer les processus de constitution de forces et de planification de la défense pour satisfaire les exigences en constante augmentation des opérations de réaction aux crises.

Steve Sturm s’intéresse à la manière dont l’OTAN cherche à améliorer les processus de constitution de forces et de planification de la défense pour satisfaire les exigences en constante augmentation des opérations de réaction aux crises.

 Les opérations de réaction aux crises sont devenues un élément essentiel de la contribution de l’OTAN à la paix et à la sécurité internationales, et la réussite de ces opérations est largement considérée comme un critère pour mesurer la poursuite de la pertinence de l’Alliance. La capacité militaire de l’OTAN n’est, naturellement, qu’une partie de sa raison d’être ; son rôle politique est sans doute plus important encore. Point focal d’un large éventail de partenariats en expansion, l’OTAN contribue de nombreuses manières non militaires à la paix et à la stabilité. Dans toutes ces fonctions toutefois, l’intérêt spécifique de l’Alliance est étroitement lié à son aptitude à traduire les consultations et les accords politiques en une action militaire collective. C’est pourquoi l’OTAN cherche sans relâche à améliorer son aptitude à mener les opérations en cours et futures.

Dans une mesure importante, les nombreux changements de l’Alliance au cours des quinze dernières années ont représenté des efforts délibérés visant à renforcer son efficacité opérationnelle. Des critiques s’élèvent parfois quant à l’aptitude de l’OTAN à s’adapter, à développer de nouvelles procédures et capacités pour relever des défis contemporains. Mais ces critiques semblent souvent constituer un réflexe irréfléchi, car les efforts de l’OTAN pour s’adapter sont couronnés d’un considérable succès. Toute comparaison des forces actuelles avec ce qu’elles étaient voici dix ou quinze ans suffit à le prouver. Chacun des Alliés a effectué ou procède actuellement à un examen de ses programmes et structures de défense, afin de veiller à ce que ses forces répondent aux exigences actuelles ; chaque livre blanc sur la défense réitère la nécessité d’une capacité de déploiement, de soutien et d’opérabilité conforme au Concept stratégique de l’Alliance (le document qui décrit l’environnement stratégique et les moyens suivant lesquels l’OTAN relève les menaces et défis auxquels elle est confrontée), complété par d’autres documents d’orientation plus détaillés. L’Alliance a collectivement remanié sa stratégie et ses concepts, ses structures de forces et de commandement, ainsi que son organisation et ses procédures internes.

La nécessité de poursuivre le changement

La quête d’une plus grande efficacité opérationnelle est cependant sans fin. Cela s’explique en partie par le changement, dans deux directions au moins, des exigences liées aux opérations. En premier lieu, les exigences liées à des théâtres d’opération spécifiques, en particulier en termes de capacités nécessaires, évoluent avec le temps. C’est le cas, par exemple, en ex-Yougoslavie. En deuxième lieu, de nouvelles opérations sont lancées et créent des exigences qui viennent en général s’ajouter à celles des précédentes opérations, tout en étant parfois différentes. C’est ainsi que les exigences associées à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan, à la KFOR, à l’Opération Active Endeavour et à la Mission de formation de l’OTAN en Iraq sont très différentes les unes des autres, tout en devant toutes être satisfaites simultanément. Mais la nécessité de procéder à de nouveaux changements résulte également du fait que l’OTAN doit encore accomplir des progrès suffisants dans l’amélioration des divers éléments de son efficacité opérationnelle et de leur intégration en un tout cohérent.

Un problème particulier se pose quant à l’adéquation des capacités et des engagements. L’on constate souvent un fossé entre l’engagement politique à lancer des opérations et la mise à disposition des forces exigées par ces opérations. Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas du résultat d’une contradiction entre les objectifs recherchés et les moyens disponibles. Alors que les Alliés cherchaient péniblement à fournir une poignée d’hélicoptères destinés à la FIAS, ces mêmes pays n’ont éprouvé aucune difficulté à en mettre immédiatement une centaine à disposition au lendemain du tsunami en Asie.

Trois types de problèmes expliquent, apparemment, la persistance de cette antinomie entre les décisions politiques relatives aux opérations et le respect des engagements souscrits. Il s’agit de problèmes de volonté politique, de ressources et de capacités. Les dirigeants alliés sont conscients, depuis un certain temps déjà, de ces problèmes et de leur corrélation. Voici deux ans, le Secrétaire général de l’époque, Lord George Robertson, faisait état de ses préoccupations quant à la volonté et à la capacité des pays de l’OTAN de tenir militairement les engagements souscrits politiquement, dans le cadre de l’Alliance ou d’autres instances. Il expliquait que, bien que complexe, cet état de fait peut trouver une solution aux termes de ce qu’il qualifiait
d’« opérabilité ». Lord Robertson faisait valoir que, à moins que les gouvernements n’affectent une fraction nettement plus importante de leurs forces utilisables à la satisfaction des engagements souscrits et à l’acceptation de leur utilisation en nombre suffisant et conformément aux moyens requis pour parvenir à la réussite des opérations, il existe un risque de crise dans les instances internationales envers lesquelles l’Alliance a pris des engagements politiques afférents.

Le fossé entre les engagements et la mise à disposition des forces figure à l’ordre du jour de l’OTAN depuis plusieurs années et un certain nombre d’efforts sont consentis pour le combler, dans le cadre plus général de la recherche d’une efficacité opérationnelle renforcée. Le séminaire qui s’est tenu sous les auspices du Commandement allié Transformation en avril 2004 à Norfolk, en Virginie, et auquel le Secrétaire général Jaap de Hoop Scheffer et les ambassadeurs de l’OTAN ont participé, s’est avéré particulièrement important pour l’identification des sources de contradiction et des moyens à mettre en œuvre pour les surmonter. Depuis ce séminaire, les différentes pistes à suivre dans ce domaine, telles que l’amélioration du processus de
« constitution » de forces pour les opérations et l’accroissement de l’opérabilité des forces de l’Alliance, sont parfois qualifiées d’« Agenda de Norfolk ». Il existe également une autre initiative dont le but étroitement lié vise à renforcer l’efficacité et la cohérence de diverses activités de planification de l’OTAN, à savoir l’élaboration de Directives politiques globales.

Constitution de forces

L’Alliance doit fournir des forces pour des opérations multiples et de longue durée. Les arrangements traditionnels aux termes desquels des forces sont sans cesse « constituées » pour des opérations particulières – c’est-à-dire officiellement offertes par les pays pour des périodes spécifiques sur la base de listes d’exigences élaborées par les Autorités militaires de l’OTAN – s’avèrent de moins en moins satisfaisants : trop étriqués et à trop court terme, ils manquent d’initiatives et sont mal associés au processus de planification de forces. Les Alliés ont dès lors décidé de prendre certaines mesure pour palier ces déficiences.

Une initiative importante à cet égard réside dans l’organisation de conférences annuelles sur la constitution de forces globales, pour parvenir à une perspective plus complète et à plus long terme des besoins opérationnels de l’OTAN et des efforts globaux des Alliés en vue de les satisfaire. Il devrait être plus facile pour les Alliés de fournir des forces avec un préavis de douze mois plutôt, disons, que de douze jours, en particulier lorsqu’ils constatent que d’autres Alliés supportent également d’importantes charges opérationnelles et qu’ils ont la certitude qu’il existe des plans de relève de leurs contingents après une période appropriée. La première conférence annuelle de ce type s’est tenue au Grand quartier général des puissances alliées en Europe en novembre 2004 et nous tirons actuellement les enseignements de cette expérience, afin d’améliorer les conférences futures. Qui plus est, nous examinons comment les contributions potentielles des Partenaires et d’autres pays ne faisant pas partie de l’OTAN peuvent être mieux prises en compte pour la constitution de forces destinées aux opérations dirigées par l’Alliance dans lesquelles ils sont impliqués.

Opérabilité

Comme indiqué précédemment, les préoccupations relatives à l’opérabilité des forces de l’Alliance remontent à plusieurs années. Rendre les forces plus faciles à déployer et à soutenir constituait l’un des thèmes de l’Engagement capacitaire de Prague et de l’Initiative antérieure sur les capacités de défense. Ce thème reflétait la constatation que les forces de certains Alliés demeuraient excessivement configurées pour la défense territoriale et qu’elles n’étaient pas adaptées au genre d’opérations de réponse aux crises au-delà du territoire de l’Alliance que l’OTAN mène actuellement et qu’elle est susceptible de mener à l’avenir. Lors du Sommet d’Istanbul en juin dernier, les ministres de la Défense de l’OTAN ont décidé d’intensifier les efforts nationaux destinés à rendre leurs forces plus opérables. De manière plus spécifique, ils ont déterminé que 40 pour cent des forces terrestres globales de chaque pays seraient structurés, préparés et équipés pour des opérations déployées dans le cadre de l’OTAN ou d’autres instances, et que 8 pour cent des forces terrestres globales seraient engagés dans ou affectés à des opérations prolongées à un moment donné. Ils sont également tombés d’accord sur la nécessité d’établir des objectifs nationaux d’opérabilité, pour compléter ces objectifs politiques de haut niveau. Et ils ont demandé au Conseil de l’Atlantique Nord d’élaborer des indicateurs d’entrées et de sorties– tels que effectif, personnel déployable, capacité de déploiement durable en opération, dépenses pour les opérations et dépenses en équipements –, afin d’offrir une image plus large de la mesure suivant laquelle les Alliés parviennent à transformer leurs forces, ainsi qu’une référence par rapport à laquelle chaque Allié puisse évaluer ses performances.

Ce travail est actuellement en cours. Les pays ont communiqué des données relatives à leurs performances par rapport aux objectifs d’opérabilité de 40 et 8 pour cent. Sans entrer dans les détails, disons que ces informations indiquent que plusieurs Alliés ont d’ores et déjà atteint voire dépassé les objectifs fixés à Istanbul, mais que d’autres n’y sont pas encore parvenu, en partie parce que les Alliés sont à des stades différents du processus de restructuration de leurs forces. Un certain nombre d’Alliés, dont certains atteignent ou dépassent les objectifs fixés, ont en outre fourni des informations sur les plans d’amélioration future de l’opérabilité de leurs forces. Il est toutefois important d’avoir à l’esprit qu’il est impossible de procéder du jour au lendemain à des changements importants dans ce domaine.

La réussite de cet exercice n’est pas encore assurée. S’il a attiré de manière utile l’attention de certaines capitales sur des problèmes liés à l’opérabilité de leurs forces, ce qui les a incitées à élaborer des plans d’amélioration, les données transmises à ce jour ne sont pas utilement comparables. Il est donc extrêmement difficile d’en tirer une image globale de l’opérabilité des forces alliées, voire même, dans certains cas, de juger avec précision de l’opérabilité des forces d’un Allié donné. Un travail supplémentaire sera donc nécessaire pour permettre une comparaison pratique des chiffres nationaux, étant donné que les Alliés organisent leurs forces de manières différentes. A ce jour, le travail en la matière se concentre sur les forces terrestres, car les défis liés à leur déploiement et à leur soutien sont plus grands que pour les forces aériennes et navales. L’établissement d’objectifs pour les forces aériennes et navales doit cependant être également envisagé et une attention plus grande sera accordée à l’amélioration et, peut-être, à l’amplification de l’ensemble initial d’indicateurs d’entrées et de sorties.

Les Directives politiques globales

Au Sommet d’Istanbul, les dirigeants alliés ont chargé le Conseil de l’Atlantique Nord de préparer et de leur soumettre des Directives politiques globales destinées à soutenir le Concept stratégique pour tous les problèmes de capacité, de discipline de planification et de renseignement de l’Alliance. Cette initiative vise à accroître le poids politique qui sous-tend les engagements nationaux à améliorer les capacités et, en même temps, à contribuer à l’harmonisation des diverses « disciplines » impliquées dans la conception, le développement et la mise en place des capacités sur le terrain.

A la lumière des discussions qui se sont tenues jusqu’à présent au Siège de l’OTAN sur le but, l’ampleur et le caractère des Directives politiques globales, il semble clair qu’il s’agira d’un document politique relativement bref, fournissant une orientation pour la poursuite de la transformation de l’Alliance. Plus spécifiquement, ce document décrira une orientation pour le développement des futures forces militaires et d’autres capacités de l’Alliance, ainsi que pour la production de renseignements utiles à la définition des futures exigences en matière de capacités. Il se situera entre d’une part le Concept stratégique et d’autre part, les documents qui précisent des orientations destinées à des domaines de planification spécifiques, tels que les Directives ministérielles pour la planification des forces. Tout en demeurant cohérentes avec le Concept stratégique, les Directives politiques globales tiendront compte des changements intervenus au sein de l’environnement sécuritaire depuis 1999.

Ce document régira toutes les activités ou disciplines de planification impliquées dans le développement des capacités, incluant les disciplines traditionnelles de planification de la défense : forces ; armements ; consultation, commandement et contrôle (C3) ; logistique ; ressources ; nucléaire ; plans civils d’urgence. Mais il influencera également d’autres activités liées aux capacités, comme la planification et la standardisation de la défense aérienne. Il contribuera également à informer à propos d’activités de planification nationales, afin, en particulier, de promouvoir l’interopérabilité. L’intention consiste à stimuler une plus grande cohérence entre les différentes activités de planification nationales et collectives. A cette fin, le document devrait indiquer ce que l’Alliance souhaite être en mesure d’accomplir, particulièrement en termes opérationnels, au sein du nouvel environnement sécuritaire. Et il définira un mécanisme de gestion pour encourager, sur une base permanente et systématique, la cohérence des diverses activités de planification.

Le Conseil de l’Atlantique Nord a donné pour instruction que les Directives politiques globales et une proposition de mécanisme de gestion lui soient soumises dès que possible et au plus tard à la fin de cette année.

Ces initiatives – qui portent sur le processus de constitution de forces, l’opérabilité et les Directives politiques globales – constituent des outils importants pour garantir l’efficacité opérationnelle de l’Alliance. Qui plus est, d’autres initiatives d’une importance similaire figurent à l’Agenda de Norfolk, telles que les efforts pour améliorer le partage des renseignements et pour actualiser l’approche par l’OTAN du financement commun. Pour être productives, toutes ces mesures devront toutefois être appliquées de manière décidée. Cela exige la volonté politique de tous les Alliés de voir réussir les opérations de l’OTAN et de jouer un rôle équitable à cet effet.

Steve Sturm est directeur à la Direction politique et capacités de défense de la Division politique et plans de défense de l’OTAN.