Mission accomplie ? La mise en œuvre du programme FPS - si l’on n’agit pas maintenant, quand le fera-t-on ?

Réflexions de Clare Hutchinson, représentante spéciale du secrétaire général de l'OTAN pour les femmes, la paix et la sécurité.

  • 16 Nov. 2020 -
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  • Mis à jour le: 26 Nov. 2020 09:25

Le 31 octobre 2000, le Conseil de sécurité de l’ONU adoptait à l’unanimité la résolution 1325 sur les femmes, la paix et la sécurité (FPS). Cette résolution donne un aperçu des effets disproportionnés et préjudiciables que les conflits ont sur les femmes et les filles, et elle souligne la nécessité d’une pleine participation des femmes en tant qu’actrices de la paix et de la sécurité.

Dans le prolongement de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes1 et du programme d’action de Beijing 2, la résolution 1325 s’appuie sur les cadres existants qui traitent des droits des femmes. Ce texte était à l’époque - et il le reste aujourd’hui - complètement novateur : pour la première fois de son histoire, le Conseil de sécurité plaçait les femmes au centre du discours sur la paix et la sécurité.

Comme indiqué dans le programme FPS, si l’on exclut les femmes de la définition des risques, et donc de celle de la sécurité, leur voix devient marginale au moment de définir la paix. Ainsi, par exemple, il ne faut pas s’attendre à ce que les femmes soient à même de participer activement à la gouvernance de la paix et de la sécurité si la violence sexuelle est omniprésente dans leur environnement de sécurité immédiat.

Depuis 2000, la résolution 1325 est devenue la « matriarche » de la famille des résolutions (au nombre de dix) qui sont connues sous l’appellation collective du Programme pour les femmes, la paix et la sécurité3 et qui, chacune, confirment et renforcent l’engagement pris au niveau mondial en faveur des femmes dans le contexte de la paix et de la sécurité. Cet ensemble de résolutions crée une structure permettant d’avoir une vision plus large de la paix et de la sécurité qui intègre la dimension de genre.

La résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU ne traitait pas de la sécurité dans le contexte de la défense conventionnelle, mais elle reconnaît la complexité de la sécurité et, ce faisant, elle élargit le champ d’action pour associer à la mise en œuvre du programme un plus grand éventail d’acteurs, parmi lesquels l’OTAN.

L’élargissement du champ d’action a donné des résultats encourageants. Le changement est profond, et la dynamique positive. L’action FPS bénéficie d’un niveau d’investissement sans précédent ; il y a une prise de conscience croissante, bien réelle, des rôles multiples joués par les femmes dans les domaines de la paix et la sécurité, comme victimes et comme actrices ; et le caractère précaire des droits des femmes, notamment en ce qui concerne leur santé sexuelle et reproductive, est reconnu. Davantage de femmes font partie des forces nationales et sont impliquées dans les processus décisionnels relatifs à la défense et à la sécurité. La redevabilité est renforcée au travers de plans d’action nationaux dans le domaine FPS, de stratégies de défense intégrant la dimension de genre et de politiques étrangères féministes. Enfin il est admis que la violence sexuelle en période de conflit est un obstacle majeur à la paix et à la sécurité.

L’OTAN a contribué à ce changement. Cela dit, avec l’élargissement du programme et la plus grande diversité des acteurs engagés dans ce qui était au départ une communauté assez restreinte, on a vu émerger un certain nombre de phénomènes qui risquent de compliquer la réalisation de progrès supplémentaires. Tout l’enjeu pour la suite du programme FPS consistera à remédier au cloisonnement, à la segmentation et à l’inertie.

Dans le contexte FPS, le phénomène du cloisonnement reflète souvent l’idée selon laquelle l’intégration de la dimension de genre est une responsabilité qui incombe essentiellement ou exclusivement aux services ou aux bureaux dont le nom fait référence aux femmes ou au genre. Or, la réussite du programme FPS dépend de sa dynamique transversale, qui permet de passer d’une approche centrée uniquement sur les femmes à une approche inclusive. La responsabilité de l’intégration de la dimension de genre et, en fin de compte, de l’égalité des genres, incombe à tout un chacun. Ce ne sont pas les femmes qui doivent faire évoluer les modes de pensée et redéfinir les normes traditionnelles qui les marginalisent. L’amélioration de l’efficacité opérationnelle, le changement d’attitude vis-à-vis de l’exploitation et des abus sexuels, et la mise en place de conditions garantissant la dignité et le respect ne relèvent pas de la responsabilité des femmes. Cette responsabilité est collective. Il ne suffit pas de constituer une équipe chargée de superviser la mise en œuvre de l’égalité des genres pour amener un changement de culture au sein d’une institution. Pour y parvenir, il faut non seulement que les responsables se mobilisent, mais aussi qu’ils comprennent en quoi ce changement influe sur le travail de tout un chacun et à quel point cet aspect est essentiel.

Le deuxième phénomène auquel il faudra s’attaquer dans les prochaines années dans le cadre de la mise en œuvre du programme FPS est la segmentation. L’élargissement du programme a entraîné une fracture entre la « vieille école » et la « nouvelle école » ; autrement dit, entre les puristes de l’action FPS et un courant plus réformiste, favorable à un programme qui rompe avec la tradition. Les principes de protection, de prévention et de participation sont interdépendants et, pour créer un monde dans lequel l’égalité des genres devient une réalité, nous devons éviter toute segmentation susceptible de nous diviser. Nous devons reconnaître et accepter que les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes et les filles ont changé, que les défis liés aux menaces de sécurité émergentes ont changé, et que l’action FPS a changé.

Le troisième phénomène à combattre dans le contexte de l’action FPS aujourd’hui est l’inertie. Depuis toujours, la résolution 1325 tire sa force de son poids politique et de sa souplesse. Elle est un outil politique et opérationnel qui a changé le concept même de sécurité, et elle est suffisamment souple pour pouvoir s’adapter. Néanmoins, si le discours concernant les questions FPS n’évolue pas avec l’environnement et ne tient pas compte des aspects genrés des pandémies, de la cybersécurité, de la désinformation et du changement climatique, la résolution perdra la force qui a été jusqu’à présent son élément moteur.

Le programme pour les femmes, la paix et la sécuritéau menu des discussions des décideurs de l’OTAN

Le 14 octobre, à l’occasion de l’anniversaire de la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l’ONU, le Conseil de l’Atlantique Nord a tenu une réunion spéciale pour faire le point sur les progrès réalisés par l’Alliance dans la mise en œuvre du programme FPS et pour examiner les activités qui pourraient être prioritaires à l’avenir, notamment la poursuite de l’intégration de la dimension de genre dans les travaux de l’OTAN sur la résilience et la lutte contre le terrorisme.

Les 22 et 23 octobre, les ministres de la Défense des pays de l’OTAN se sont réunis (virtuellement, pour cause de COVID-19) afin de discuter d’une série de questions. Pour la première fois dans le cadre d’une réunion des ministres de la Défense des pays de l’OTAN, les discussions ont donc porté sur le programme pour les femmes, la paix et la sécurité - ce que l’Alliance a fait pour le mettre en œuvre, et ce qu’elle doit faire de plus.

Les objectifs futurs de l’OTAN dans le contexte FPS doivent intégrer durablement la dimension de genre dans tous ces domaines et dans d’autres qui n’ont peut-être pas été pris en compte auparavant. Le degré de réussite de tous ces efforts dépendra du niveau d’intégration et de la reconnaissance de la nécessité impérieuse de mener ce travail. L’intégration de la dimension de genre n’est pas un cadeau d’anniversaire, c’est une mission à temps plein. Elle nécessitera une énergie collective.

Pour réaliser de nouvelles avancées, il faut une architecture mondiale et régionale plus résiliente. Les partenariats ont une importance essentielle s'agissant d'accroître la prise de conscience et l'acceptation de l'égalité des genres. Nous ne pouvons pas prendre le risque de laisser le programme perdre de sa pertinence. Nous avons besoin d'une approche globale. Nous devons pouvoir compter sur les femmes et les hommes, les militaires et les civils, les États, les organisations internationales, les acteurs de la société civile et d'autres encore pour faire avancer cette cause fondamentale. Et nous devons faire en sorte que notre compréhension des questions FPS évolue à mesure que l'environnement de sécurité change.

Les problèmes ne sont toutefois pas insurmontables et ne sauraient détourner notre attention du niveau de mise en œuvre à atteindre, mais nous devons nous employer à remédier au cloisonnement, à la segmentation et à l’inertie.

Nous devons aussi veiller à ne pas oublier, au fil du temps, que la résolution 1325 du Conseil de sécurité de l'ONU continue de guider notre action collective dans le domaine FPS. Notre travail de mise en œuvre du programme FPS n’est pas terminé, et les orientations données dans les résolutions existantes valent tout autant pour les nouveaux défis que pour ceux qui nous sont familiers. Nous ne pouvons pas nous permettre d’en rester là ; pour autant, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue pour continuer à progresser. Nous n’avons nul besoin d’une nouvelle résolution – nous devons nous atteler à la tâche.

Malgré les importants progrès réalisés, il reste encore beaucoup à faire. Le pouvoir de transformation de l’intégration du programme pour les femmes, la paix et la sécurité est toujours une réalité. Nous devons persister dans notre détermination à exécuter ce programme - et, ce faisant, créer un changement durable.

  1. CEDAW(1979).
  2. Programme d’action de Beijing (1995).
  3. Résolutions 1325 (2000), 1820 (2008), 1888 (2009), 1889 (2009), 1960 (2010), 2106 (2013), 2122 (2013), 2242 (2015), 2467 (2019), et 2493 (2019) du Conseil de sécurité de l’ONU.