”La paix a plus de chances de s’imposer lorsque les femmes sont autonomes et pleinement impliquées dans son instauration”

Entretien avec l’amiral James G. Foggo, commandant du Commandement allié de forces interarmées de Naples (JFCNP)

  • 12 May. 2020 -
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  • Mis à jour le: 09 Jun. 2020 14:04

Après l’atelier de février, l’équipe FPS s’est entretenue avec l’amiral James Foggo, commandant du JFCNP, pour lui poser quelques questions supplémentaires. L’amiral Foggo est depuis longtemps un fervent défenseur de la cause FPS à l’OTAN et au-delà, et il a fait de l’intégration de la dimension de genre dans toutes les activités du JFCNP une priorité absolue. Merci, amiral, pour votre investissement personnel en faveur de cette cause, et pour tous vos efforts visant à promouvoir le principe de légalité des genres à l’OTAN.

La mission du Commandement allié de forces interarmées de Naples consiste à assurer la préparation, la planification et la conduite des opérations militaires nécessaires à la préservation de la paix, de la sécurité et de l'intégrité territoriale des pays membres de l'Alliance dans toute la zone de responsabilité du SACEUR et au-delà. En quoi le programme FPS est-il important pour la réussite de cette mission ?

Merci de me donner l'occasion de revenir sur ce point très important. J'ai eu à cœur de faire en sorte que le programme FPS soit automatiquement pris en compte dans la planification et l'exécution de toutes les missions du JFCNP. Nous devons non seulement intégrer cet idéal dans le processus de planification, mais nous devons aussi le concrétiser au quotidien, dans toutes les activités que nous menons ici, au quartier général.

Les conflits ont des incidences disproportionnées sur les femmes et les filles, et je suis déterminé à ce que, quelles que soient les régions du monde où se déroulent des missions du JFCNP, nous envisagions nos activités sous l'optique du genre et nous encouragions les pays qui sont nos partenaires à faire de même. Il s'agit là d'un point essentiel : l'égalité des genres n'est pas une simple question de justice sociale, elle est également indispensable à un environnement de sécurité durable. Pour dire les choses simplement, la paix a plus de chances de s'imposer lorsque les femmes sont autonomes et pleinement impliquées dans son instauration.

Quand avez-vous pris conscience de l'importance de l'intégration de la dimension de genre dans les opérations ? Quel a été le déclic grâce auquel vous avez compris qu'il y a une raison pratique de promouvoir la dimension de genre dans les tâches opérationnelles ?

Le fait que la dimension de genre joue un rôle déterminant dans les tâches opérationnelles ne devrait pas être une surprise pour les responsables militaires mais, malheureusement, cela fait seulement quelques années que cette considération, qui va pourtant de soi, est intégrée dans le processus de planification à proprement parler. Le travail remarquable accompli par les Nations Unies à cet égard, avec la résolution 1325 du Conseil de sécurité, doit être salué. L'année 2020 est d'ailleurs celle du 20e anniversaire de l'adoption de la résolution 1325, qui préconise l'implication pleine et entière des femmes dans les initiatives en faveur de la paix et de la sécurité. La célébration de cet événement marquant nous offre aussi l'occasion d'examiner et d'actualiser notre approche, en faisant en sorte de montrer l'exemple et d'appliquer systématiquement ses principes à travers nos actions. Je suis fier que l'OTAN ait été parmi les premières organisations à adopter cette approche, et je salue l'impulsion donnée par Clare Hutchinson à une politique qui reflète parfaitement nos valeurs communes : la liberté individuelle, la démocratie, les droits de la personne et, bien sûr, nos obligations au titre de la Charte des Nations Unies.

"L'année 2020 est celle du 20e anniversaire de l'adoption de la résolution 1325, qui préconise l'implication pleine et entière des femmes dans les initiatives en faveur de la paix et de la sécurité. La célébration de cet événement marquant nous offre aussi l'occasion d'examiner et d'actualiser notre approche, en faisant en sorte de montrer l'exemple et d'appliquer systématiquement ses principes à travers nos actions. "

Pour ce qui est du déclic, je vous dirais que je suis l'époux et le père de femmes qui ont excellé dans leurs domaines professionnels respectifs, et j'ai côtoyé pendant toute ma carrière des femmes remarquables, venues de tous les pays et de tous les horizons, avec lesquelles j'ai servi ou collaboré. Un monde dans lequel les femmes sont autonomes est un monde meilleur, plus stable, plus civilisé et plus bienveillant ; c'est un objectif que nous devons toutes et tous essayer d'atteindre, pas seulement grâce à nos discours mais aussi par des actions constructives.

Votre travail avec FemWise - un réseau de femmes africaines actives dans la prévention et la médiation des conflits créé en 2017 - a été très fructueux et a permis de recueillir un grand nombre de bonnes pratiques. Quels enseignements l'OTAN peut-elle tirer de votre collaboration avec des groupes de femmes comme FemWise, et que devrions-nous faire de plus pour sensibiliser les femmes dans les pays du Sud ?

Je suis extrêmement fier du partenariat que le JFCNP a noué avec les femmes extraordinaires qui travaillent pour FemWise Africa, sous les auspices de l'Union africaine. Ces femmes, qui sont toutes des personnalités de premier plan dans leurs domaines, ont pour beaucoup une expérience personnelle de la prévention et de la résolution des conflits. Il est important que nous les aidions à faire entendre leur voix et que nous profitions aussi de l'occasion pour tirer des enseignements de leur expérience. Comme vous le savez, les principes régissant la mise en œuvre du plan d'action FPS à l'OTAN sont l'intégration, l'inclusivité et l'intégrité. À la lumière de l'expérience acquise par le réseau FemWise, nous sommes en mesure de donner du contenu à nos actions, et pas simplement une dimension philosophique au programme FPS. Notre objectif, au JFCNP, en partenariat avec l'Union africaine et son organisation FemWise, est de remédier aux causes profondes de l'instabilité régionale, à savoir la mauvaise gouvernance et un état de droit fragile ou compromis. Nous y travaillons ensemble. Cela exige une collaboration entre tous les éléments de la société civile et, pour moi, le réseau FemWise a une importance fondamentale à cet égard ; ce modèle de collaboration pourrait être appliqué plus largement dans l'ensemble de l'OTAN. Le Pôle pour l'axe stratégique sud de l'OTAN créé ici, au JFCNP, continuera d'œuvrer avec l'Union africaine et FemWise pour veiller à donner la parole aux femmes dans toutes les activités que nous menons dans la région.

Un atelier sur la violence sexuelle liée aux conflits s'est récemment tenu avec succès au JFCNP. Qu'avez-vous retenu de certains des échanges auxquels vous avez assisté et quelles mesures supplémentaires l'OTAN peut-elle prendre pour protéger et aider les femmes et les filles, et les hommes et les garçons confrontés à la violence sexuelle liée aux conflits ?

J'ai été très honoré d'accueillir au QG du JFCNP l'atelier FPS sur la violence sexuelle liée aux conflits. L'atelier visait à mieux faire comprendre l'action FPS dans le contexte de la préparation, de la planification et de la conduite d'opérations menées ou dirigées par l'OTAN. Nous avons recueilli toute une série de témoignages, et je dois reconnaître qu'un grand nombre d'entre eux étaient difficiles à entendre. Avoir une approche théorique des principes qui sous-tendent l'action FPS est une chose, mais entendre les détails poignants des expériences vécues par les plus vulnérables dentre nous dans les situations de conflit et des souffrances que l'être humain est capable d'infliger sans raison à ses semblables en est une autre.

Des membres de Nadia's Initiative, une organisation caritative qui a été fondée par Mme Nadia Murad, colauréate du prix Nobel de la paix en 2018, pour s'occuper de la reconstruction des communautés touchées par les crises et de la défense des victimes de violences dans le monde, ont ainsi fait un récit particulièrement instructif des traumatismes que les yézidis ont subis ou continuent de subir en Iraq. Ce récit montre bien que l'OTAN doit s'employer à lutter contre la violence sexuelle dans les situations de conflit et post-conflit, puisqu'un retour apparent à une relative normalité ne signifie pas que les souffrances infligées à la population ont disparu mais plutôt qu'elles ont tendance à être mieux cachées.

L'équipe Femmes, paix et sécurité de l'OTAN a diffusé dernièrement un rapport sur le rôle et l'efficacité des conseillères/conseillers pour les questions de genre (GENAD). Vous avez collaboré très étroitement avec vos GENAD et vous avez souligné combien leur rôle peut être efficace. Comment pensez-vous que les conseillères/conseillers et les points de liaison pour les questions de genre peuvent le mieux apporter aide et conseils ?

Nous ne pouvons pas attendre des autres organisations qu'elles appliquent des normes élevées en matière de gouvernance ainsi que le principe d'égalité si, de notre côté, nous ne respectons pas pleinement ces valeurs. Le GENAD du QG, à Naples, assume son rôle essentiel à plein temps, et il est l'un des principaux participants à une série de programmes de planification et de mise en œuvre opérationnelle. Il assure aussi la liaison entre le QG et Mme Clare Hutchinson, la représentante spéciale du secrétaire général pour les femmes, la paix et la sécurité. Clare défend la cause FPS de manière remarquable et nous apprécions beaucoup son soutien à nos activités avec FemWise ainsi que ses conseils avisés. Je considère que les conseillères/conseillers et les points de liaison pour les questions de genre doivent être, pour les responsables de n'importe quelle organisation, des amis qui vous parlent en toute franchise, c'est pourquoi ces personnes doivent être autonomes. Leur grade m'importe peu - seuls leurs conseils avisés m'intéressent. Au demeurant, le GENAD n'est pas responsable de la mise en œuvre d'une politique : cette responsabilité incombe aux commandants et aux dirigeants, c'est pour cette raison que je veux qu'il me dise la vérité, qu'elle soit agréable à entendre ou non. Pouvoir parler franchement aux autorités est fondamental pour le travail des GENAD.

Votre mandat de commandant du JFCNP arrive bientôt à son terme. Que conseillez-vous à la personne qui vous succédera ? Comment peut-t-elle continuer à promouvoir la cause FPS à l'OTAN et au JFCNP ?

Cela a été pour moi un honneur de diriger le JFCNP et de travailler avec les Italiens, dans ce beau pays ; je sais que mon successeur pourra compter sur des personnels - militaires et civils - de grande qualité, tous déterminés à accomplir notre mission et à œuvrer en faveur d'un monde meilleur. Le programme pour les femmes, la paix et la sécurité a désormais un rôle fondamental dans le fonctionnement de ce QG. Je suis fier que notre partenariat avec l'Union africaine, avec FemWise, et avec celles et ceux qui ont un rôle d'ambassadeur ou de promoteur de l'autonomisation des femmes soit un modèle dont d'autres peuvent s'inspirer. Je sais que le travail va se poursuivre et j'attends avec impatience le jour où la dimension de genre sera considérée non plus comme un aspect distinct de la planification opérationnelle mais comme un acquis, quelque chose qui fait partie intégrante de l'essence même de nos missions.

Article tiré de l’édition du printemps 2020 du Bulletin FPS de l’OTAN. Téléchargez le numéro complet ici. (ENG / FRE)