La dimension de genre : changer les mentalités
C’est avec une certaine nervosité que Shakila, directrice d’une ONG afghane, et sa fille Zhulina, portant jeans et tuniques foncés avec foulards verts assortis, dévisagent les 25 officiers de la FIAS (Force internationale d’assistance à la sécurité) assis par terre, déchaussés, sur des coussins disposés dans la salle de la Choura du commandement interarmées de la FIAS (IJC) ; elles prennent ensuite la parole pour se présenter.
Les deux femmes, accompagnées sur le site par la conseillère de la FIAS pour les questions de genre, la capitaine de corvette Ella van den Heuvel, sont venues parler à l’IJC de leur expérience de femme en Afghanistan.
Trois mois après son affectation à la FIAS, la capitaine. van den Heuvel a demandé à Zhulina, une jeune fille de 17 ans parlant couramment anglais et employée d’une société de télécommunications, ainsi qu’à sa mère, Shakila, de l’aider à sensibiliser les officiers de l’IJC à la problématique de la dimension de genre.
« J’aurais pu relayer les informations moi-même, mais je pense qu’il était important que ces femmes puissent faire entendre leur voix », déclare la capitaine. van den Heuvel, évoquant les fonctions qu’elle occupe au premier des deux postes de conseiller pour les questions de genre qui ont été créés au sein de la FIAS. « Les femmes d’Afghanistan m’ont dit qu’elles avaient l’impression d’être oubliées. »
Autour de quelques pâtisseries et d’une tasse de thé, les Afghanes ont décrit aux officiers la vie en Afghanistan sous un jour inhabituel.
« On ne saurait surestimer l’importance du rôle de la FIAS en Afghanistan ni la reconnaissance que lui vouent la plupart des femmes en raison de l’aide qu’elle leur apporte », dit la capitaine van den Heuvel, qui ajoute « que les femmes ont le droit d’être écoutées, non seulement parce que c’est leur droit et aussi parce que l’efficacité opérationnelle s’en trouverait améliorée ».
La reconnaissance du rôle des femmes

En octobre 2000, le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté la résolution 1325 ; ce texte majeur met en lumière l’effet disproportionné des guerres et des conflits sur les femmes et sur les enfants. La résolution appelle à mettre un terme à l’inégalité historique entre hommes et femmes dans la construction de la paix. En décembre 2007, l’OTAN et ses partenaires sont convenus d’appliquer la résolution et de promouvoir le rôle des femmes dans les opérations dirigées par l’OTAN.
« L’intégration de la dimension de genre exige une stratégie globale, de la planification opérationnelle au processus de mise en œuvre », déclare le lieutenant colonel Pierre Duchesne, du Commandement allié Opérations (Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe-SHAPE), qui ajoute : « Au-delà du principe général selon lequel aucun préjudice ne doit être causé aux femmes et aux enfants, il s’agit de prendre en compte les effets des opérations et de développer des projets spécifiquement axés sur les femmes. »
L’OTAN n’a aucune influence sur les politiques menées par les pays, mais elle a adopté un code de conduite que le personnel déployé dans le cadre de ses opérations est tenu de respecter. Deux conseillers pour les questions de genre ont été affectés à la FIAS, ce qui est une première dans une opération dirigée par l'OTAN.
« Parfois, on fait uniquement le lien avec des normes de comportement, des codes de conduite et le nombre de femmes présentes dans les forces armées. Mais la dimension de genre est bien plus que ça : c’est une manière différente de regarder le monde qui nous entoure », précise-t-elle. « Si on adopte cette façon de penser, on n‘en est que plus efficace. »
« La dimension de genre devrait faire partie intégrante des activités de chaque division, de chaque opération, qu’elle soit planifiée ou en cours d’exécution ; elle devrait aussi être prise en compte dans les ressources, le renseignement, le budget et les finances », déclare l'amiral Giampaolo di Paola, président du Comité militaire de l’OTAN. « Elle devrait s’inscrire dans les mentalités – c’est ce qu’on appelle l’intégration de la dimension de genre ».
Le dialogue avec les populations locales
Fille d’un fermier néerlandais, élevée avec trois frères, la capitaine. van den Heuvel a été précédemment affectée, en 2005-2006, à une équipe de reconstruction provinciale (PRT ) dans la province de Baghlan, en Agfhanistan. C’est en découvrant à cette occasion la société afghane qu’elle dit avoir réalisé avec quelle facilité les femmes soldats pouvaient parler aux femmes afghanes.
« Nous devons prendre conscience du fait que ces femmes occupent une place importante dans leur famille, comme partout dans le monde. », déclare-t-elle, ajoutant qu’en tant qu’élément central de la famille, la femme joue un rôle clé dans l’éducation des garçons. « Nous voulons que ces garçons grandissent sur le bon chemin, et qu'ils ne s'en écartent pas pour aller rejoindre les insurgés. »
À son retour aux Pays-Bas, la capitaine van den Heuvel a entamé une formation dans les forces armées néerlandaises pour se spécialiser dans les questions de genre. Après un stage en Suède pour devenir conseiller dans ce domaine, elle a reçu une nouvelle affectation qui l'a conduite en 2009 à Kaboul, à l’IJC, où elle aide les commandants pour ce qui est de la prise en compte de la dimension de genre.
Si certains militaires étaient réticents, voire hostiles, quant à son rôle au sein de la FIAS, indique-t-elle, la plupart étaient simplement curieux de voir comment un conseiller pour les questions de genre pourrait améliorer l’efficacité. « Il est vrai que c’est un nouveau domaine » explique-t-elle et, « idéalement, le conseiller devrait être affecté auprès d’un général quatre étoiles, mais cela n’a pas été mon cas. On peut livrer un combat d’idées, mais ça n’a pas d’intérêt. Ce qu’il faut, c’est montrer qu’on est utile. »
« Associer les femmes aux opérations est capital », explique le lt.-col. Duchesne, ajoutant qu’il est essentiel de former et d’entraîner les militaires à interagir avec les femmes. « La sensibilisation à la dimension de genre devrait être considérée comme un outil de plus à notre disposition pour améliorer l’efficacité et la survivabilité de nos troupes sur le terrain », déclare pour sa part l’amiral di Paola.
Il ajoute : « Des avancées significatives en faveur des femmes ont également été faites par les forces nationales afghanes », et souligne que la première femme sous-officier de l’armée nationale afghane vient tout juste de prendre ses fonctions au commandement des forces multinationales.
Recruter des femmes
Selon la capitaine van den Heuvel, il faut inciter les jeunes filles à vouloir entrer dans l'armée. « Il est encore très difficile d'intéresser les femmes à la carrière militaire », ajoute-t-elle. « Je pense que c’est parce qu'elles se font encore des idées fausses sur l’armée. Lorsque je raconte mon expérience, et que je précise que j'aide les femmes afghanes, la plupart de mes collègues féminines me disent qu’elles aimeraient en faire autant. Mais la dimension de genre n'est pas seulement l'affaire des femmes. »
Elle cite à cet égard l’exemple édifiant d’un collègue masculin, retenu un soir au bureau, qui criait au téléphone « Pousse ! Pousse ! » à sa femme en train d'accoucher. « Il ne pouvait même pas rentrer à la maison », explique-t-elle. « Peu de mesures sont prises pour tenter de résoudre ce type de problème, alors que, pour les femmes, de nombreuses mesures de fidélisation ont été mises en place. Lorsque vous avez intégré des femmes dans l’armée, vous voulez les garder. Mais c’est extrêmement difficile. »
Consciente de la situation, l’OTAN va continuer à évaluer l’efficacité des conseillers pour les questions de genre dans le but d’améliorer les principes de l’intégration de la dimension de genre et les formations associées. Alors qu’elle s’apprête à retourner en Suède, cette fois pour animer le stage qu'elle a suivi précédemment, la capitaine van den Heuvel déclare que sa nouvelle « mission » est d’utiliser son expérience pour former les femmes et les inciter à entrer dans l’armée.