Détecter l'utilisation d'armes biologiques
Un voyant rouge s'allume sur le tableau d'alarmes du système de surveillance épidémiologique. Le médecin d'une unité navale de la Bundeswehr à Djibouti vient de signaler une augmentation anormale du nombre de cas de diarrhée : 13 personnes touchées sur un total de 70 hommes en moins de 48 heures. Le Centre de surveillance de l’état sanitaire en opérations (DHSC) valide cette information et donne l'alerte. Ce système d'alerte rapide, breveté par le Service de santé des armées (France), pourrait équiper les forces armées de l'OTAN et détecter l'utilisation d'une arme biologique. Nom de code : ASTER.
Le lieutenant-colonel Benjamin Queyriaux, médecin épidémiologiste, est le chef de service adjoint du Centre de surveillance de l'état sanitaire en opérations (DHSC) situé à Munich, en Allemagne. À la tête d'une équipe de quatre personnes, il a pour mission de mettre en place pour le compte de l'OTAN un système de surveillance épidémiologique capable d'analyser la situation sanitaire des troupes de l'Alliance en opérations. Les expériences récentes sur les théâtres en Afrique, dans les Balkans et en Afghanistan ont montré l'importance critique de la surveillance en temps réel de la situation sanitaire et des menaces pesant sur les militaires pendant leur mission.
En Afghanistan, par exemple, l'OTAN ne dispose pas toujours d'un moyen de connaître le nombre exact de cas de malaria dans les forces alliées et de déterminer si cette maladie a un impact sur la capacité opérationnelle de l'Alliance sur le terrain.
« La nécessité de mettre en place un système d'alerte et de surveillance épidémiologique en temps réel, dispositif essentiel surtout en cas d'attaque biologique, est née d'un besoin exprimé au sommet de Prague en 2002 », explique Benjamin Queyriaux. « Un état des lieux des capacités OTAN de lutte contre les menaces NBC (nucléaire, biologique et chimique) avait en effet révélé que nous ne disposions pas des moyens de détecter une attaque biologique avant plusieurs jours ».
C'est pour cette raison qu'en 2010, le DHSC – branche du Centre d'excellence OTAN pour la médecine militaire (NATO MILMED COE) situé à Budapest, en Hongrie – a été mis en place à la suite d'une initiative franco-allemande visant à améliorer l'analyse de la situation sanitaire des forces sur le terrain, la détection des épidémies, et l'évaluation de l'efficacité des mesures de prévention. Le DHSC a pour mission de concourir au renforcement de la protection des forces de l'OTAN en opérations extérieures contre les menaces de maladies infectieuses et d'attaques bioterroristes.
« Le but n'est pas seulement d'identifier les épidémies provoquées par des agents infectieux utilisés intentionnellement, mais aussi de détecter, de gérer des événements naturels comme les épidémies de grippe ou de malaria qui ont éclaté par le passé », poursuit Benjamin Queyriaux.
En opération, si une épidémie de grippe devait éclater à l'intérieur des forces d'un pays par exemple, il est certain que les forces incorporées de l'OTAN seraient toutes contaminées très rapidement. L'Organisation ne pouvant pas dépendre systématiquement de capacités nationales des Alliés, il est donc capital que l'Alliance dispose de données de surveillance en temps réel pour détecter et, dans un deuxième temps, faire face à toute situation sanitaire.
Certaines difficultés doivent encore être aplanies avant que l'OTAN dispose d'un système de surveillance sanitaire en temps réel qui soit multinational. Ce système unifié devra conjuguer pratiques médicales et règles de sécurité de l'information qui diffèrent d'un pays à un autre. La récupération d'informations nationales transmises par des médecins et des infirmiers, qui ne sont pas standardisées et qui sont soumises au secret médical, peut également se révéler complexe, tout autant que la conversion de ces informations en analyses épidémiologiques présentant un intérêt pour l'OTAN.
Le système semble cependant prometteur. « ASTER est un maillon important du futur système d'alerte et de surveillance épidémiologique de l'OTAN », ajoute le commandant du DHSC, Hans-Ulrich Holtherm. « C'est aussi un bon exemple de l'application du concept de défense intelligente à la santé publique : plutôt que de tenter de rassembler des données fragmentaires provenant de quelques pays de l'Alliance, l'OTAN crée un système unique qui offrira une vue d'ensemble complète de la situation sanitaire des troupes en opérations extérieures ».
Aujourd'hui, le nouveau système ASTER est utilisé pour les forces françaises et allemandes à Djibouti. Lorsque les problèmes d'interopérabilité auront été résolus, l'OTAN pourra employer ce système au quotidien. Le développement du DHSC éveille également l'intérêt d'autres pays, notamment les États-Unis, la Pologne et le Canada. Le Royaume-Uni, quant à lui, participe même physiquement à ce projet, un officier britannique devant rejoindre le DHSC à Munich cet automne.
Le DHSC devrait être pleinement opérationnel en 2013.