Des passeports sans passe droit
L'approche sociale, industrieuse et tous azimuts qu'il adopte pour exécuter un travail, voilà ce qui frappe au premier abord quand on rencontre le colonel Abdul Fatah, chef du Bureau des passeports de la zone 101 de Kaboul. Avec ses 250 à 300 demandeurs par jour, c'est le plus fréquenté des deux bureaux de passeport de la ville. M. Fatah a reçu beaucoup d'attention pour sa position envers la corruption, comme en témoigne les dizaines de certificats qu'il a en sa possession ; il en a même un du président Karzai !
Non pas que le colonel Fatah ait cherché cette reconnaissance. Il semble plutôt que ce soit un responsable d'une agence respectée de lutte anticorruption qui, faisant la queue pour obtenir son passeport, ait entendu le colonel dire à ses employés qu'il ne tolérerait aucun bakchich, de quelque nature que ce soit, dans son service.
Une responsabilité sociale
Mais ses vues sur la corruption, qui se distinguent par le fait qu'il attribue davantage ce mal à des problèmes de société comme la pauvreté qu'aux travers moraux des individus, prennent sens quand on voit comment il se démène pour améliorer l'efficacité de son service. On comprend alors que la petite corruption ne ferait que ralentir son travail. « Il existe plusieurs formes de corruption, précise-t-il. Arriver en retard au boulot est une sorte de corruption, un gestionnaire qui ne sait pas comment faire son travail en est une autre. » Les nombreux autres types de « corruption » qu'il énumère ont tous un point commun : ils entravent son organisation du travail. « Nous travaillons jusqu'à 18 ou 19 heures parce que si on ne fait pas le boulot, il faudra se le taper le lendemain », explique-t-il.
Quand il a pris ses fonctions il y a un an, le principal problème était qu'il n'y avait pas de passeports vierges dans son bureau. Le fournisseur, une société londonienne, était en rupture de stock. C'était le premier défi. Ensuite, le colonel a dû s'assurer que le bureau était doté d'une équipe d'employés modèles, dignes de confiance. Il semble motivé par le désir de bien administrer son service et, surtout, il tient également de tout cœur à aider les Afghans à voyager. « Nous avons connu beaucoup de guerres dans notre pays ; les Afghans ont besoin de voir d'autres cultures, de voir comment les autres vivent », dit-il.
Les demandeurs de passeport affirment que, en effet, il n'y a pas de corruption ici. « Je n'ai jamais versé de pot-de-vin à qui que ce soit ici pour retirer un passeport plus rapidement », dit l'un d'entre eux. Mais la situation de ce même demandeur révèle un autre problème avec le système de passeport, qui n'est pas informatisé et donc difficile à consulter : ce jeune homme détient plusieurs passeports sous le même nom.
Améliorations envisageables
Selon le colonel, l'explication de ces passeports multiples illégaux se trouve dans la rivalité entre l'Inde et le Pakistan, qui refusent l'entrée sur leur territoire aux Afghans ayant un visa de l'autre pays. Les Afghans contournent cette difficulté en se procurant plusieurs passeports. C'est facile à faire parce que même si le service du colonel Fatah conserve toutes les copies papier des documents et des photos des titulaires de passeport, il ne dispose malheureusement pas d'une base de données informatique ; la recherche dans les dossiers papier serait impensable.
Néanmoins, une base de données informatique est en cours d'élaboration, et en attendant le colonel Fatah donne l'exemple, de façon très sincère et pratique, du travail sans corruption et de ses dividendes. Une des caractéristiques révélatrices du fonctionnement de son service, c'est que les demandeurs ne paient pas directement leurs documents, mais font plutôt un versement à une banque publique, qui leur donne en retour un accusé de réception. Cette façon de procéder réduit vraisemblablement les transferts d'argent au Bureau des passeports et, partant, les possibilités de pratiques répréhensibles.
Bien qu'il se montre inflexible avec la corruption, le colonel Fatah ne l'est pas nécessairement avec les contrevenants. « La société est comme une famille, dit-il. Si un membre de la famille est corrompu, les gens qui l'entourent devraient essayer d'en faire une personne honnête. »