Un spécialiste du droit au service de l’OTAN : rencontre avec Eddy Groenen, ancien conseiller juridique délégué

  • 18 Dec. 2024 -
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  • Mis à jour le: 22 Jan. 2025 17:48

Pendant plus de trente ans, Eddy Groenen a œuvré en coulisses pour faire avancer les grands dossiers juridiques de l’Organisation. Dans le cadre de ses fonctions de conseiller juridique délégué, ce Belge a travaillé sur divers accords et autres documents majeurs devant être adoptés avec des pays partenaires, et il a supervisé la conclusion de nombreux mémorandums. Dans cet article, Eddy revient sur des événements marquants qui ont eu une influence sur son travail, et il explique pourquoi le Traité de l’Atlantique Nord et l’OTAN sont si importants à ses yeux.

 

Un chemin tout tracé

En 1980, Eddy obtient un diplôme de droit de l’Université de Louvain, en Belgique. Il suit ensuite un master en études internationales à l’Université Johns Hopkins, à Washington, dont il ressort diplômé en 1982. Avant de rejoindre l’OTAN, il travaille comme conseiller juridique dans le privé et dans le public, notamment à l’Observatoire européen austral (ESO), à Munich, où il développe une véritable expertise dans le domaine du droit international, qu’il saura mettra à profit dans ses fonctions à l’OTAN. Il passe également par la Croix-Rouge de Belgique, où il approfondit sa connaissance du droit international humanitaire, ce qui se révèlera utile lorsque l’OTAN lancera ses premières opérations hors zone (hors du territoire des pays de l’Alliance). Il acquiert par ailleurs de l’expérience dans le domaine des assurances et de la gestion des risques. Les fonctions variées qu’il occupe en début de carrière le préparent au large éventail de tâches juridiques qu’il sera amené à accomplir pendant ses trente années de service à l’OTAN.

« Le droit international public, le droit et le fonctionnement des organisations internationales et, plus largement, les questions de politique internationale m’ont toujours beaucoup intéressé. Quand j’ai eu la possibilité de travailler au siège de l’OTAN, à Bruxelles, je n’ai donc pas hésité une seconde », explique-t-il.

Eddy rejoint le Bureau du conseiller juridique (aujourd’hui devenu le Bureau des affaires juridiques) du siège de l’OTAN en 1991, deux ans après la chute du mur de Berlin, à une époque marquée par la réunification de l’Allemagne et l’effondrement de l’Union soviétique. « Certains se demandaient alors qui était l’ennemi et évoquaient une possible dissolution de l’OTAN. L’Histoire leur a donné tort ! », souligne-t-il.

À l’arrivée d’Eddy, le Bureau ne se compose que de trois personnes : un conseiller juridique, un conseiller juridique délégué – Eddy – et un assistant. L’équipe fournit un soutien juridique aux différentes divisions ainsi qu’aux bureaux indépendants et aux agences de l’OTAN. Elle travaille sur des questions juridiques ayant trait à des sujets très variés : opérations dirigées par l’OTAN, partenariats et élargissement, statut et fonctionnement des représentations de l’Organisation auprès de pays tiers, problématiques traitées par les comités OTAN, ressources humaines, ou encore sécurité de l’information, des locaux et du personnel.

 

Le droit comme cœur de métier

À ce poste, Eddy rend des avis juridiques et contribue à l’adoption de nombreux documents officiels liant l’OTAN et des tiers. Il est notamment amené à rédiger des accords se rapportant aux opérations menées par l’OTAN en dehors du territoire de l’Alliance. Il participe plus particulièrement à l’élaboration de conventions sur le statut des forces (SOFA), dans lesquelles sont énoncées les dispositions applicables aux forces armées d’un pays de l’OTAN qui opèrent sur le territoire d’un autre État. Il travaille également sur les accords de transit qui sont conclus lorsque les forces de pays de l’Alliance doivent traverser le territoire d’un pays tiers pour rejoindre une zone d’opérations. Il se charge aussi de finaliser des arrangements financiers entre l’Organisation et des partenaires souhaitant contribuer à une opération dirigée par l’OTAN.

Ce qui a toujours plu à Eddy dans ses fonctions, c’est la grande diversité des questions juridiques qu’il était amené à traiter. Il reconnaît toutefois que le travail de préparation et de négociation des accords comportait son lot de difficultés.

Certaines négociations se sont révélées particulièrement tendues et complexes en raison du grand nombre d’Alliés et de tiers impliqués. Mais comme l’explique Eddy, « il suffisait de rappeler aux différentes parties que si la volonté politique de parvenir à un accord est là, il y a toujours un moyen de surmonter les obstacles juridiques ». C’est ainsi qu’il s’y prenait pour faire avancer les discussions et faciliter l’émergence d’un consensus.

 

Les interactions avec les partenaires
 

Eddy Groenen (on the left), assisting in the signing of the security of information agreement between NATO and Qatar in 2018, Brigadier General Tariq Khalid M. F. Alobaidli, Head of the International Military Cooperation Department, Armed Forces of the State of Qatar (in the middle), Rose Gottemoeller, former NATO Deputy Secretary General (on the right)

Eddy Groenen (à gauche), le chef du Département Coopération militaire internationale des forces armées de l’État du Qatar, le général de brigade Tariq Khalid M. F. Alobaidli (au centre), et la secrétaire générale déléguée de l’OTAN, Rose Gottemoeller (à droite), lors de la conclusion de l’accord OTAN-Qatar sur la sécurité des informations, en 2018.

En 1990, les Alliés tendent la « main de l’amitié » à leurs anciens adversaires d’Europe centrale et orientale. « À la fin de la Guerre froide, la situation en Europe a changé : de nouveaux États sont apparus, avec à leur tête de nouvelles élites politiques qui ont fait de l’adhésion à une organisation de défense collective comme l’OTAN un objectif de premier plan », indique Eddy. Par le programme de Partenariat pour la paix (PPP) – mis en place au début des années 1990 en vue d’améliorer la stabilité et la sécurité de toute l’Europe – et la politique de la porte ouverte, les Alliés entendaient nouer des liens avec ces pays pour travailler avec eux sur des questions d’intérêt commun, au travers d’un partenariat sur mesure. Comme l’explique Eddy, « c’était le début d’une vague de demandes d’adhésion, qui a débouché sur l’intégration de 14 pays dans l’OTAN en moins de deux décennies ». Chaque processus d’élargissement suppose des consultations approfondies entre les Alliés, l’Organisation et le pays candidat. « Le rôle du Bureau des affaires juridiques dans les négociations d’adhésion est double », précise Eddy. « Il s’agit, premièrement, d’expliquer quelles sont les étapes officielles à franchir pour que l’État candidat puisse accéder au Traité de l’Atlantique Nord, et, deuxièmement, de fournir à ce pays les informations et l’aide dont il a besoin pour accomplir les formalités d’adhésion aux autres accords fondamentaux de l’OTAN et pour mettre en application le cadre juridique de l’Organisation. »

« Travailler avec différents pays partenaires n’ayant pas le même système juridique a été certes compliqué, mais aussi très enrichissant. J’ai pu constater de mes propres yeux la solidité des liens historiques entre certains pays d’Europe centrale et certains Alliés », ajoute Eddy.

 

Les opérations hors zone

Le 14 décembre 1995, l’accord de paix de Dayton est signé à Paris, mettant un terme à la guerre en Bosnie-Herzégovine, l’un des conflits les plus sanglants et les plus violents que l’Europe ait connus depuis la Seconde Guerre mondiale. La signature de cet accord est considérée comme un tournant dans l’évolution du rôle de l’Organisation après la Guerre froide, puisqu’elle a débouché sur le lancement de la première grande opération OTAN de réponse aux crises. « Il s’agissait d’une situation inédite pour l’OTAN, aussi du point de vue juridique », explique Eddy. « C’était la toute première fois qu’une opération sous commandement OTAN était menée en dehors du territoire de l’Alliance, et il a fallu établir un cadre de protection juridique pour les membres des forces armées des Alliés participant à l’opération. » Il a aussi fallu conclure des accords de transit avec d’autres pays, notamment avec des pays voisins, pour permettre aux forces OTAN de rejoindre le théâtre d’opérations. « L’expérience acquise et les instruments juridiques utilisés dans le cadre de l’IFOR (Force de mise en œuvre) puis de la SFOR (Force de stabilisation) ont servi de référence pour les opérations suivantes, comme celles menées par la Force pour le Kosovo et par la Force internationale d’assistance à la sécurité, en Afghanistan », souligne Eddy.

 

L’importance primordiale du Traité de l’Atlantique Nord

Eddy Groenen at NATO Headquarters, Brussels, Belgium, 2022

Eddy Groenen au siège de l’OTAN,
à Bruxelles, en 2022.

Signé le 4 avril 1949 à Washington par les douze membres fondateurs, le Traité de l’Atlantique Nord a institué l’OTAN, incarnation d’une alliance de défense collective dont la vocation est d’apporter sécurité et stabilité à ses membres. Le traité consacre le principe de défense collective, selon lequel une attaque armée contre un membre de l’Alliance est considérée comme une attaque contre tous les Alliés. Ce principe est le fondement même de la mission de l’OTAN, qui est de préserver la paix et la sécurité de ses États membres. « Le Traité de l’Atlantique Nord comportait tous les éléments et les mécanismes nécessaires à l’édification d’une Alliance solide, crédible et véritablement défensive. C’est le socle sur lequel tout a été bâti », souligne Eddy.

Et d’ajouter : « Soixante-quinze ans après sa création, l’OTAN n’a rien perdu de son attrait. Elle demeure indispensable à la protection et à la défense de ses États membres et de leurs populations. Et c’est à ces membres qu’il appartient de la faire perdurer ».

 

Le message d’Eddy Groenen à l’occasion du 75e anniversaire de l’Alliance

« Dans le monde d’aujourd’hui, l’OTAN est tout aussi indispensable – si ce n’est plus – qu’à sa création, en 1949. Elle nous offre, à nous et à nos proches, amis, voisins et compatriotes, la garantie que notre liberté et notre prospérité seront protégées et, si nécessaire, défendues. L’OTAN reste le meilleur moyen pour assurer la sécurité et la défense des pays de l’Alliance. »

Cet article fait partie d’une série de portraits publiés à l’occasion du 75e anniversaire de l’Alliance dans le cadre de la campagne #WeAreNATO.

D’anciens membres du personnel sont invités à revenir sur leur parcours et à nous raconter comment ils ont vécu les grands moments qui ont marqué l’histoire de l’Alliance et du monde, comme la fin de la Guerre froide et l’année 1989, les premières missions hors zone, la création des partenariats, ou encore le 11-Septembre.