D’« étoiles solitaires » à Alliés : formation des pilotes de chasse de l’OTAN au Texas
Dans le cadre de l’Euro-NATO Joint Jet Pilot Training Program, implanté à Wichita Falls (Texas), des aviateurs en herbe de 14 pays membres de l’OTAN découvrent s’ils ont l’étoffe pour intégrer l’élite de l’Alliance.
Sur la base aérienne de Sheppard, des avions T-38C Talon participent à un vol d’entraînement dans le cadre de l’Euro-NATO Joint Jet Pilot Training Program – Wichita Falls (Texas).
Au cœur d’une mission d’entraînement transatlantique
A priori, le nom de Wichita Falls ne devrait pas évoquer grand-chose à un pilote de chasse européen. Mais si vous demandiez à Jade, lieutenant de l’armée de l’air belge, si elle connaît cet endroit, elle vous adresserait sans doute un sourire complice.
Car c’est là qu’elle a appris à piloter.
Sur la base aérienne de Sheppard, des avions aux lignes épurées fendent l’air dans un grondement, virant à gauche pour se préparer à atterrir sur la piste. L’espace aérien au-dessus de la base, qui accueille la 80e escadre aérienne d’entraînement de l’US Air Force, est le plus fréquenté des États-Unis. Dans un ballet ininterrompu, des avions atterrissent, décollent ou font la queue sur les longues voies de circulation. Sur le pare-chocs arrière d’une voiture, un autocollant porte l’inscription : « J’aime le bruit des avions de chasse ».
L’école de l’Euro-NATO Joint Jet Pilot Training Program (programme Euro-OTAN de formation commune de pilote de chasse [ENJJPT]) forme les pilotes de chasse de l’OTAN depuis 1981, date de sa fondation par sept Alliés sur la base aérienne de Sheppard, à Wichita Falls. La plupart des initiatives conjointes de l’OTAN sont implantées en Europe (où se trouvent 30 des 32 pays membres de l’Alliance), mais la base de Sheppard offrait un cadre idéal à l’ENJJPT du fait des installations de formation qui s’y trouvaient déjà, des bonnes conditions météorologiques qui y règnent toute l’année et de l’ouverture du ciel texan. Aujourd’hui, plus de 40 ans plus tard, 14 drapeaux flottent à l’extérieur du petit bâtiment en briques qui abrite les bureaux du programme. Ces drapeaux sont ceux des pays de l’OTAN participants : la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Allemagne, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas, la Norvège, le Portugal, la Roumanie, l’Espagne, la Türkiye, le Royaume-Uni et les États-Unis.
À l’intérieur, des pilotes italiens déambulent dans le dédale des couloirs, croisant des groupes de Roumains, de Norvégiens, d’Espagnols et de Danois. Dans la salle des équipements, des instructeurs grecs enfilent leur gilet de combat et leur combinaison anti-g (dont le pantalon est doublé de poches d’air gonflables qui évitent aux pilotes de perdre connaissance lors des virages à grande vitesse) et attendent leurs élèves. En quittant la pièce, ils croisent des groupes d’élèves canadiens et turcs de retour d’une sortie d’entraînement, les cheveux plaqués par la sueur, le visage empourpré par l’exploit réalisé : chaque vol de plus au compteur les rapproche de leur objectif ultime.
Demandez à l’un de ces apprentis aviateurs venus d’Europe s’il aime vivre dans le Lone Star State (« l’État de l’étoile solitaire »), et il lâchera sûrement, dans un drôle de sourire : « Oui, ça me plaît bien ». Ce qui pourrait être une manière polie de dire : « Je viens d’un petit village d’Allemagne et je n’avais encore jamais entendu quelqu’un s’exclamer "yeehaw" ("c’est parti !") ».
Se préparer à voler : un programme d’entraînement exigeant
Quoi qu’il en soit, les élèves n’ont pas souvent l’occasion de goûter à la culture locale. À peine ont-ils posé leurs valises à Sheppard qu’ils n’ont déjà plus une minute à eux. Ils commencent par apprendre les fondamentaux de la science de l’aviation à l’école de formation au sol. Équipés d’un casque, d’un harnais et d’une combinaison anti-g, ils grimpent ensuite dans leur premier avion, le T-6 Texan II.
Les élèves pilotes prennent alors les commandes pour la première fois, sous le regard attentif de leur instructeur, installé à l’arrière. Ils apprennent à décoller, à voler en formation et à atterrir, en maintenant la vitesse et la trajectoire de l’appareil. C’est l’époque des premières fois, chacune ayant sa propre tradition : le premier vol est appelé Dollar Ride (« vol à un dollar ») parce que les élèves sont censés donner à leur instructeur une pièce d’un dollar en argent. Après qu’un élève a effectué son premier vol en solo, ses camarades le jettent dans un plan d’eau jouxtant la base pour un bain bien mérité.
Certains élèves quittent alors Wichita Falls pour apprendre à piloter des avions de transport multimoteurs tels que le C-130 Hercules. En revanche, ceux qui se destinent au pilotage d’avions de chasse doivent encore venir à bout du T-38 Talon.
Des T-38C Talon virent à droite lors d’un vol d’entraînement dans le cadre de l’Euro-NATO Joint Jet Pilot Training Program – Wichita Falls (Texas).
Préparez-vous pour le décollage : apprendre à piloter le Talon
Le Talon est aussi affûté qu’un scalpel, et ses ailes sont si effilées qu’elles sont presque invisibles lorsqu’on le regarde de face. Son nez allongé se prolonge pour former l’habitacle, constitué d’une verrière renfermant deux sièges éjectables. Son allure véloce n’est pas qu’une apparence ; une fois la postcombustion allumée, il peut franchir le mur du son et faire retentir un bang sonique à travers les plaines du Texas septentrional. Un commandant néerlandais surnommé « Homer » le compare à une voiture de sport Mustang 1966, d’autant que, comme il le fait remarquer, le Talon est entré en service dans les années 1960.
L’avion sera remplacé dans les années à venir, mais en attendant, il reste un excellent professeur. Ses commandes de vol hydrauliques exigent de l’élève qu’il soit vigilant, qu’il « sente » l’avion à travers le manche et qu’il fasse continuellement des manœuvres de compensation pour assurer une bonne assiette. Ses ailes courtes sont conçues pour un maximum de vitesse – et non de stabilité : si un élève inattentif prend trop de vitesse dans un virage, l’avion tombera ou, comme le disent prosaïquement les instructeurs, il y aura « perte de contrôle après décollage ».
Lorsque le lieutenant Jade a décollé pour la première fois à bord du Talon, elle était encore habituée au T-6 Texan II et ne s’attendait pas à ce que les deux turboréacteurs de l’avion dégagent une telle puissance. Elle a dû freiner des quatre fers pour maintenir la stabilité de l’appareil tout en poussant la manette des gaz à plein régime. Elle a senti l’avion vibrer lorsque la postcombustion s’est allumée. Quand elle a relâché les freins, l’avion a fait une embardée.
« Ce jour-là, j’ai su que j’étais sur la bonne voie », se rappelle-t-elle.
Le lieutenant Jade, de l’armée de l’air belge, se prépare à décoller pour une sortie d’entraînement à bord du T-38C Talon.
Se remettre en selle
La formation au pilotage du Talon est la partie la plus ardue du programme. Lorsque les élèves ne volent pas, ils étudient. Lorsqu’ils n’étudient pas, ils sont dans le simulateur, où ils s’exercent au vol en formation serrée ou expérimentent le frisson procuré par le vol à basse altitude et à grande vitesse. Et lorsqu’ils ne sont pas dans le simulateur, ils dorment.
« Parfois, j’ai du mal à tenir le rythme », confie Jade. « C’est le plus grand défi que j’aie eu à relever à ce jour. Il m’arrive d’être un peu déprimée. Mais c’est encore plus gratifiant lorsque vous êtes capable de vous relever et de continuer à vous battre ».
Les élèves savent que le succès n’est pas garanti. Bon nombre cèdent à la pression et quittent le programme pour servir dans une autre entité au sein des forces armées de leur pays. Mais pour la plupart d’entre eux, l’échec n’est pas envisageable. Abandonner signifierait renoncer à ce à quoi ils ont aspiré toute leur vie.
« Nous voulons tous agir sur le monde », explique Jade. « Selon moi, c’est comme cela que j’aurai le plus d’impact ».
« Homer », un commandant de l’armée de l’air des Pays-Bas, se prépare à décoller pour une sortie d’entraînement.
Gagner ses galons
Les élèves qui ont démontré leur maîtrise du vol à grande vitesse à bord du Talon sont conviés à la Drop Night, une cérémonie au cours de laquelle ils découvrent quel avion ils vont piloter. Pour les recrues de l’US Air Force, qui exploite toute une série d’avions de chasse, de bombardiers et d’avions de transport, le suspense est entier. Certains élèves dont le premier vœu est exaucé sautent littéralement de joie, au comble du soulagement.
Pour Jade, la cérémonie a laissé peu de place à la surprise – l’armée de l’air belge utilise principalement le chasseur multirôle F-16 Fighting Falcon, un avion tactique, dont la flotte est en train d’être remplacée par des chasseurs furtifs de cinquième génération F-35 Lightning II – mais cela n’a pas tempéré sa joie d’avoir réussi un cursus exigeant. Lorsqu’elle a appris qu’elle allait piloter le F-16, elle a bondi en levant les poings, sous les acclamations de ses camarades, qui l’ont soulevée en l’air.
Jade a depuis quitté Sheppard pour apprendre à piloter le F-16. Peut-être sera-t-elle un jour déployée en Europe de l’Est, où les pays membres de l’OTAN ont augmenté de manière significative le nombre de chasseurs en alerte, prêts à intervenir face aux menaces aériennes dans le cadre de la mission de police du ciel menée sur le flanc oriental de l’Alliance. Mais en attendant, la prochaine génération de pilotes de chasse a déjà commencé à s’entraîner à Sheppard. Forts d’une tradition de plusieurs décennies, c’est ensemble qu’ils prendront leur envol.