« Ice Ice Navy » – En patrouille au Groenland à bord du HDMS Triton danois
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La marine royale danoise patrouille dans les eaux groenlandaises toute l’année. Une visite à bord du HDMS Triton permet de se faire une idée de ce à quoi ressemble la vie de l’équipage en service dans ce paysage majestueux – d’importance stratégique – qu’est l’Arctique.
En patrouille au large de la plus grande île au monde
La mer est agitée. Si agitée en fait que la lampe du carré des officiers se balance d’avant en arrière, dans un jeu d’ombres et de lumières croisées. Si vous dites à l’équipage que le bateau tangue, la seule réponse que vous obtiendrez sera un sourire entendu – comme pour dire « Vous vous y habituerez vite ».
Les quelque 55 membres d’équipage du bâtiment HDMS Triton de la marine royale danoise sont rompus à ces mers agitées. Depuis sa mise en service en 1990, le bâtiment n’a presque jamais cessé de patrouiller dans les eaux bordant le Groenland et les îles Féroé, tous deux territoires autonomes au sein du Royaume du Danemark et donc partie intégrante du territoire de l’OTAN.
Le Triton remplit une mission essentielle dans la défense de cette vaste zone très contestée et d’importance stratégique appelée Grand Nord, en menant des patrouilles pour ne rentrer à son port danois que pour sa maintenance et son ravitaillement. Bien qu’il ne s’agisse pas techniquement d’un brise-glace, ce bâtiment a été spécialement équipé d’une double coque renforcée capable de percer jusque 80 cm de glace. Il est également très manœuvrable, ce qui est essentiel sur les voies navigables et dans les ports étroits du Groenland. Le Triton patrouille au large de la côte ouest du Groenland pour surveiller la zone et repérer d’éventuels bateaux de pêche hors-la-loi ou d'autres bâtiments et sous-marins suspects, et, si possible, nouer des contacts avec les communautés locales.
Ce n’est pas une mince affaire. Le Groenland est immense, c’est la plus grande île au monde. Cinq fois la taille de l’Allemagne. Cinquante fois plus grand que le Danemark. En fait, si on le superposait à l’Europe sur une carte, il s’étendrait du Portugal à la Pologne. Mais sa population n’est que de 56 000 habitants, soit moins de 1 % de la population du Danemark, qui compte près de 5,9 millions d’âmes. Inhospitalier, inaccessible, couvert de glace, éloigné, le Groenland est une destination principalement réservée aux amateurs de froid, aux scientifiques et aux explorateurs intrépides – et, bien sûr au peuple inuit groenlandais, qui vit sur cette vaste île depuis des milliers d'années. Le Groenland est aussi un endroit magnifique, riche de panoramas étincelants, de spectaculaires vallées enneigées et d'autoroutes de glace surplombant des champs de glace.
À bord du Triton, la vue est tout aussi spectaculaire. Alors que nous quittons le port de Nuuk (la capitale du Groenland), des glaciers couverts de neige se dessinent de part et d'autre du bâtiment. L’homogénéité du paysage et l’absence de caractéristiques de terrain identifiables modifient la perspective – les glaciers et les paysages vallonnés semblent à la fois immenses et menaçants, quoique proches et accessibles. Tandis que les infrastructures de Nuuk disparaissent derrière nous, elles semblent emporter avec elles toute trace de civilisation humaine.
Changements et défis dans le Grand Nord
Le Triton est l’un des quatre navires de patrouille déployés en permanence dans la région. Ces navires relèvent du Commandement arctique interarmées (JACO), un commandement opérationnel danois basé à Nuuk. Le JACO regroupe également 650 avions de patrouille Challenger ainsi que la patrouille de traîneaux à chiens Sirius – une unité navale d’élite constituée de Danois et Danoises expérimentés qui patrouillent le long de la côte est du Groenland en traîneaux à chiens, par rotations de deux ans.
Les vastes champs de glace groenlandais sont restés pratiquement intacts pendant des siècles. Mais cela est en train de changer. La hausse des températures et le réchauffement des océans accélèrent la fonte des glaciers groenlandais. La fonte des glaces ouvre des routes maritimes jusque-là inaccessibles, qui attirent l’attention au niveau international. Les paquebots de croisière commencent à apparaître plus régulièrement. Le trafic maritime augmente.
La disponibilité de ces nouveaux itinéraires arctiques pourrait entraîner une concurrence entre les pays et compromettre la sécurité de la région tout entière. La Russie conserve des capacités militaires importantes dans l’Arctique, et sa capacité à entraver le renfort d’Alliés par le nord de l’Atlantique ainsi que la liberté de navigation dans cette zone constitue un défi stratégique pour l’Alliance. La Chine s’est autoproclamée « État du proche-Arctique », et elle est en train de développer de nouveaux brise-glaces afin d’accroître sa présence en Arctique. Cette nouvelle situation préoccupe l’OTAN de plus en plus. Après tout, sur les six pays riverains de l’océan Arctique, cinq sont des Alliés : le Canada, le Danemark, l’Islande, la Norvège et les États-Unis.
Sur la passerelle du bâtiment, nous sommes accueillis par le pacha. Le capitaine de frégate Peter Krogh sillonne ces eaux depuis longtemps, et a, par le passé, commandé le 1er Groupe permanent OTAN de lutte contre les mines (SNMCMG1). Il s’exprime sans élever la voix et se retrouve souvent une tasse de café fort à la main, mais il dégage également la présence et l’autorité qu’exige son grade.
Nous le rejoignons tandis que le bâtiment traverse un fjord situé juste au large de la côte ouest du Groenland, qui porte le nom incongru de Disco Bay. Peter, comme l’appelle son équipage (à bord du Triton, chacun s'appelle par son prénom, quel que soit le grade – un écart peu courant par rapport aux usages appliqués de manière stricte dans la plupart des forces armées), nous montre l’une des rares communautés côtières vivant à la limite de la terre.
« Dans la Disco Bay où nous nous trouvons à présent, les habitants d’Ilulissat se rendaient sur l’île de Disco à pied ou en utilisant des traîneaux à chiens, » nous précise-t-il. « Mais cela fait très longtemps qu’ils ne peuvent plus le faire. »
Le changement climatique a de multiples conséquences sur la région – non seulement en faisant fondre la glace, mais en provoquant aussi des tempêtes plus fréquentes et plus violentes. Nous sommes emmenés vers le pont d’envol, où l’équipe de sécurité est occupée à préparer l’hélicoptère du bâtiment, un MH-60R Seahawk, pour un vol d’entraînement. Le temps est épouvantable. Des nuages gris déversent un torrent de neige. Il y a du vent. Des rafales d’embruns balaient le pont, et du fait de la présence d’une nappe de brume, il y a peu de visibilité. Pas besoin d’être un expert pour savoir que les conditions de vol ne sont pas idéales.
Les deux pilotes procèdent aux dernières vérifications avant de monter dans leur hélicoptère, puis démarrent les moteurs et prennent doucement leur envol au-dessus de la mer agitée. Il est vital pour les pilotes de se familiariser avec ces conditions, car ils doivent être en mesure d’effectuer des missions de sûreté maritime, des transferts de personnel et de fret ainsi que des opérations de recherche et sauvetage.
La vie à bord du Triton
Dans la soirée, l’équipage organise une petite fête. Les officiers de marine, les officiers mariniers et les appelés se rassemblent dans la zone du bâtiment appelée « le bar ». Les boissons sont complétées par de la glace prélevée dans l’océan (cette glace, qui semble noire lorsqu’elle flotte à la surface de l’eau, est apparemment l’une des plus pures au monde). En tant qu’invités à bord, on nous initie à des chants de marins et d'anciens jeux de dés qui se transmettent entre marins de génération en génération.
La marine royale danoise cultive l'absence de formalisme et l’inclusivité, en favorisant une atmosphère familiale et détendue à bord. Lorsque vous passez six semaines en mer dans les eaux les plus reculées au monde, cela est essentiel pour maintenir le moral et forger la camaraderie.
Une coquille de noix face à l’immensité de la mer
Le lendemain, avant de rejoindre la terre ferme, certains membres d'équipage nous emmènent faire un tour en mer dans une petite embarcation. Alors que nous nous éloignons doucement de la coque du Triton pour nous aventurer au large, défilent sous nos yeux des icebergs aussi hauts qu’un immeuble, de tailles et de formes différentes et tous vieux de plusieurs dizaines de milliers d’années. Aussi impressionnant soit le Triton avec ses 112 mètres de long, il semble insignifiant face à aux blocs de glace que nous croisons. C’est une leçon d’humilité et une expérience impressionnante.
La marine royale danoise opère dans les eaux groenlandaises depuis 1605, date à laquelle les trois premières unités navales furent déployées par le roi Christian IV. Au fil des siècles, les forces danoises ont adapté leurs procédures et leurs équipements, pour devenir des experts de l’environnement maritime arctique. Cette expérience, partagée avec les Alliés, s’est révélée extrêmement utile – et elle le sera d'autant plus lorsque le changement climatique rendra le Grand Nord plus accessible, ce qui continuera de transformer l’Arctique dans les décennies et les siècles à venir.