L'atout secret de l’armée de terre des États-Unis pour mieux distinguer ses amis de ses ennemis
Sur le champ de bataille, environnement stressant et complexe par excellence, les décisions se prennent en une fraction de seconde. Dans le brouillard de la guerre, il n’est pas toujours évident de distinguer ses amis de ses ennemis, surtout s’il s’agit d’identifier au loin un véhicule lancé à toute vitesse. Face à cette difficulté, le commandement de l’armée de terre des États-Unis responsable de l’instruction et de la doctrine (TRADOC) a conçu un jeu de cartes représentant 54 systèmes d’armes OTAN, soit toute une panoplie allant des chars aux hélicoptères, en passant par des pièces d’artillerie.
Prototype du jeu de cartes conçu par le TRADOC (armée de terre des États-Unis). Crédit photo : TRADOC.
Aider les troupes à identifier les équipements OTAN
L’idée derrière ce jeu de cartes est d’aider les troupes déployées sur le terrain à reconnaître les équipements OTAN utilisés par des pays non membres de l’Organisation, de manière à pouvoir les distinguer de ceux de l’ennemi et à éviter les tirs fratricides.
Le jeu a été mis en production avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine lancée par la Russie en février 2022. S’il n’a donc pas été conçu spécifiquement dans l’optique de la guerre en Ukraine, il offrira aux forces ukrainiennes un atout précieux dans le combat qu’elles mènent pour libérer leur territoire, occupé illégalement par la Russie.
Pour aider Kyïv à se défendre contre l’agression russe, les Alliés lui ont livré des équipements militaires d’une valeur totale de plusieurs milliards d’euros. Ils ont aussi formé des soldats ukrainiens à l’utilisation de systèmes d’armes, de véhicules et d’autres matériels de pointe. L’OTAN s’est elle-même chargée de coordonner les dons et les livraisons de moyens non létaux destinés à l’Ukraine, lesquels comprennent du matériel médical, du carburant, des rations de combat et des équipements de protection (voir la page consacrée à la réponse de l’OTAN à l’invasion de l’Ukraine par la Russie).
Le jeu de cartes aidera les troupes ukrainiennes à identifier certaines des principales pièces d’équipement et leur donnera des indications supplémentaires, à savoir le nom de l’équipement, l’armement principal, le pays de fabrication et les pays qui en ont fait l’acquisition. Le jeu contient 54 cartes, dont deux jokers. Chaque carte, à laquelle une couleur et un chiffre sont attribués aléatoirement, représente un équipement fabriqué par un Allié. Par exemple, le sept de pique représente un canon antiaérien allemand Gepard, le cinq de carreau un Eurocopter AS532 Cougar français et le huit de carreau un obusier Dana SPH slovaque. Le jeu ayant été mis en production avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, certains équipements livrés depuis par les Alliés n’y sont pas repris.
Sur chacune des 54 cartes figurent le nom d'un équipement, son armement principal, le pays de fabrication et les pays qui en ont fait l'acquisition. Crédit photo : TRADOC (armée de terre des États-Unis).
Le jeu de cartes est disponible dans la base de données centrale de l’armée de terre des États-Unis. Il est possible de l’imprimer pour s’en servir comme aide-mémoire ou pour jouer au solitaire, à la dame de pique ou encore au poker.
Les jeux de cartes sur le champ de bataille : une tradition historique
Les jeux de cartes sont un incontournable sur le champ de bataille, et ce depuis la Première Guerre mondiale au moins. Ils aident les soldats à tromper l’attente au fond des tranchées, confèrent une impression de normalité salutaire, favorisent les interactions sociales et chassent momentanément les idées noires. En outre, leurs règles sont simples à expliquer, même à quelqu’un qui parle une autre langue. Sans compter que leur format permet aux soldats de les glisser facilement dans leur poche sans avoir à se priver d’équipements importants.
Tous ces avantages expliquent pourquoi, en temps de guerre, les jeux de cartes ont servi à transmettre des informations aux troupes derrière les lignes ennemies. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les services de renseignement britanniques et américains ont conçu ensemble un jeu de cartes qui devait aider les soldats alliés captifs des Nazis à s’évader, notamment du château de Colditz, alors utilisé comme camp de prisonniers. Grâce aux conventions de Genève, des organisations telles que la Croix-Rouge ont pu envoyer des colis de Noël aux prisonniers de guerre.
Que contenaient les cartes à jouer envoyées aux prisonniers ? Bien plus que des clés pour lire l’avenir, elles dissimulaient des itinéraires d’évasion tracés sur des fragments de cartes géographiques délicatement insérés entre le recto et le verso de chaque carte à jouer. Humidifiés, le recto et le verso se séparaient et libéraient leur contenu.
Le jeu de cartes conçu par les services de renseignement britanniques et américains dissimulait des itinéraires d’évasion. Crédit photo : Musée international de l’espionnage.
Quelques exemplaires de ce jeu de cartes historique sont conservés au Musée international de l’espionnage, à Washington. Plus de 310 prisonniers l’ont utilisé pour tenter de s’évader du château de Colditz. Parmi eux, au moins 32 y sont parvenus.
Un vecteur de cohésion
Les jeux de cartes existent, sous une forme ou sous une autre, depuis plus d’un millénaire. Ils ont vu leur style et leur composition évoluer au fil du temps, mais la finalité est restée à peu près toujours la même : resserrer les liens sociaux par une saine émulation. Certains permettent même d’apprendre en s’amusant !
Il peut sembler étonnant que des jeux de cartes servent à des fins d’instruction militaire. Le jeu conçu par l’armée américaine pour reconnaître les équipements OTAN vient pourtant compléter utilement les formations plus formelles et plus détaillées qui sont dispensées aux troupes. Et son intérêt va bien au-delà : il aide les soldats à mieux se connaître les uns les autres, à former un groupe soudé et à bien travailler ensemble, sur le champ de bataille ou en dehors.