Une brève histoire de l’OTAN
On dit souvent que l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a été créée pour faire face à la menace que constituait l’Union soviétique. C’est vrai, mais un peu réducteur. En réalité, la création de l’Alliance relevait d’un projet plus vaste, articulé autour de trois objectifs, à savoir : endiguer l’expansionnisme soviétique, empêcher le retour du militarisme nationaliste en Europe grâce à une présence forte de l’Amérique du Nord sur le continent et encourager l’intégration politique européenne.
On peine aujourd’hui à se représenter l’ampleur des ravages provoqués par la Seconde Guerre mondiale en Europe. Le conflit se solde par la mort de 36,5 millions d’Européens, dont 19 millions de civils. Les camps de réfugiés et le rationnement sont le lot quotidien d’une multitude de gens. Dans certaines régions, la mortalité infantile est d’un décès pour quatre naissances. Des millions d’orphelins errent dans les ruines calcinées des métropoles. Rien que dans la ville d’Hambourg, 500 000 personnes sont sans logis.
En outre, partout en Europe, les communistes soutenus par l’URSS menacent la démocratie. En février 1948, en Tchécoslovaquie, le parti communiste, secrètement appuyé par l’Union soviétique, parvient ainsi à renverser le gouvernement démocratiquement élu. Puis, en réaction au développement démocratique de l’Allemagne de l’Ouest, les Soviétiques imposent le blocus de Berlin-Ouest, qui est sous le contrôle des Alliés, afin de consolider leur emprise sur la capitale allemande. Le mémorable pont aérien de Berlin soulagera quelque peu les futurs Alliés, mais les privations continueront de peser lourdement sur la liberté de la population et la stabilité de la zone.
Pour en savoir plus sur l’action menée par les Alliés occidentaux, découvrez le reportage photo sur le blocus de Berlin.
UN TRAITÉ POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE L’ÉPOQUE
Fort heureusement, les États-Unis ont alors déjà renoncé à leur politique traditionnelle d’isolationnisme diplomatique. L’aide qu’ils fournissent au Vieux Continent, notamment dans le cadre du plan Marshall (officiellement baptisé « Programme de rétablissement européen ») contribue dans une certaine mesure à stabiliser l’économie. Cependant, pour pouvoir commencer à se parler et à commercer, les États européens doivent se sentir en sécurité. Il faut donc qu’ils intensifient leur coopération militaire, gage de sécurité, tout en progressant sur les plans économique et politique.
Dans ce contexte, plusieurs démocraties d’Europe de l’Ouest se regroupent pour exécuter divers projets visant à développer la coopération militaire et à mettre en place une défense collective ; c’est ainsi qu’est créée l’Union occidentale en 1948, qui devient en 1954 l’Union de l’Europe occidentale. On conclura finalement que seul un véritable accord de sécurité transatlantique pourra dissuader les Soviétiques de passer à l’attaque tout en empêchant le retour du militarisme européen et en jetant les bases d’une intégration politique.
Ainsi, après bien des débats, le Traité de l’Atlantique Nord est signé le 4 avril 1949. Aux termes du fameux article 5, les Alliés conviennent qu’une « attaque armée contre l’une ou plusieurs [parties] …sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties » et que si une telle attaque devait se produire, chaque Allié réagirait en prenant « telle action qu’[il] jugera[it] nécessaire, y compris l’emploi de la force armée ». Cependant, et cela n’est pas anodin, les articles 2 et 3 du traité énoncent des objectifs importants sans rapport direct avec la menace d’une attaque. L’article 3 esquisse un cadre de coopération entre les Alliés dans le domaine de la préparation militaire et l’article 2 leur donne une certaine latitude pour ce qui est de la coopération non militaire.
LA RAISON D’ÊTRE DE NOS INSTITUTIONS DE SÉCURITÉ N’EST PAS SEULEMENT DE DÉFENDRE NOS BIENS, NOS TERRITOIRES OU NOS DROITS, À L’ÉTRANGER OU EN MER. CE QUE NOS FORCES DE SÉCURITÉ PROTÈGENT AVANT TOUT, C’EST NOTRE MODE DE VIE.
Dwight D. Eisenhower, 1954
La signature du Traité de l’Atlantique Nord crée certes une Alliance, mais le texte ne prévoit pas de structure militaire capable de coordonner efficacement l’action menée par ses membres. Alors que les intentions de l’Union soviétique suscitent des inquiétudes toujours plus vives, l’Alliance prend conscience de la nécessité d’une transformation avec l’explosion d’une bombe atomique soviétique en 1949 et le début de la Guerre de Corée éclate en 1950. L’OTAN se dote alors rapidement d’une structure de commandement intégrée dont le quartier général militaire est établi à Rocquencourt, près de Versailles, dans la banlieue parisienne. Le Grand Quartier général des Puissances alliées en Europe (SHAPE) est mis en place, avec à sa tête le général américain Dwight D. Eisenhower, Commandant suprême des Forces alliées en Europe (SACEUR). Peu après, les Alliés créent un secrétariat civil permanent à Paris et ils nomment le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Ismay (Royaume-Uni).
Sous l’effet combiné de l’aide économique et du parapluie de sécurité dont elle bénéficie, l’Europe de l’Ouest retrouve progressivement une stabilité politique et le miracle économique de l’après-guerre se dessine. D’autres pays adhérent à l’Alliance : la Grèce et la Türkiye en 1952, et l’Allemagne de l’Ouest en 1955. On assiste aux débuts hésitants de l’intégration politique européenne. En réaction à l’adhésion de l’Allemagne de l’Ouest à l’OTAN, l’Union soviétique et ses États satellites d’Europe de l’Est créent le Pacte de Varsovie, en 1955. L’Europe s’installe dans un face-à-face tendu, dont la construction du mur de Berlin en 1961 devient le symbole.
Pour en savoir plus, découvrez le reportage photo sur la construction du mur de Berlin.
C’est à cette époque que l’OTAN adopte la doctrine stratégique des « représailles massives », qui prévoit une riposte nucléaire en cas d’attaque de l’Union soviétique. Cette doctrine a pour objet de dissuader les deux parties de prendre des risques puisqu’une attaque, même limitée, pourrait entraîner un conflit nucléaire généralisé. En outre, elle permet aux membres de l’Alliance de concentrer leur énergie sur la croissance économique plutôt que sur le maintien d’énormes forces armées conventionnelles. L’Alliance commence aussi à assumer un rôle politique en plus de son rôle militaire. En effet, depuis la création de l’OTAN, les petits pays membres plaident pour une intensification de la coopération non militaire, et la crise de Suez, à l’automne 1956, va révéler clairement l’absence de consultations politiques au sein de l’Alliance, sujet de désaccord entre certains membres. En outre, le lancement du satellite Spoutnik par l’Union soviétique, en 1956, fait l’effet d’un électrochoc et pousse les Alliés à développer leur coopération scientifique. Dans un rapport qu’ils remettent au Conseil de l’Atlantique Nord, les ministres des Affaires étrangères de Norvège, d’Italie et du Canada – les « Trois sages » - recommandent alors que l’Alliance mette en place un dispositif plus solide de consultation et de coopération scientifique ; les conclusions de ce rapport sont notamment à l’origine du programme scientifique de l’OTAN.
Pour en savoir plus : Le traité fondateur de l’OTAN
DE LA DÉFENSE À LA DÉTENTE
Dans les années 1960, on se dirige vers une sortie de ce statu quo tendu mais stable. Les tensions de la Guerre froide sont ranimées lorsque le premier ministre soviétique, Nikita Khrouchtchev, et le président américain, John F. Kennedy, évitent de peu un conflit à Cuba et que les États-Unis envoient de plus en plus de troupes au Vietnam. En dépit de ce contexte difficile, à l’aube des années 1970, l’OTAN n’est plus seulement une organisation axée sur la défense mais le symbole d’un nouveau phénomène : la détente, un apaisement des tensions entre l’Ouest et l’Est, qui se résignent, bon gré mal gré, à accepter le statu quo.
Au cours de cette décennie, l’OTAN et le SHAPE déménagent inopinément. En mars 1966, la France annonce son intention de se retirer de la structure du commandement militaire intégré de l’OTAN et demande que tous les quartiers généraux de l’Alliance quittent le territoire français. Un nouveau quartier général du SHAPE est établi à Casteau (Belgique) en mars 1967 et le siège de l’OTAN s’installe à Bruxelles en octobre de la même année. La France reste néanmoins membre de l’Alliance et réaffirme régulièrement son intention de se tenir aux côtés des Alliés en cas de conflit. Par la suite, elle se distinguera en outre comme l’un des principaux contributeurs de forces au service d’opérations de maintien de la paix. L’Alliance fait preuve d’adaptabilité — capacité qui a toujours été déterminante dans sa réussite — et le retrait de la France de la structure du commandement militaire intégré montre que l’OTAN, à la différence du Pacte de Varsovie, accepte que ses membres expriment des avis divergents.
En effet, en août 1968, l’Union soviétique dirige une invasion de la Tchécoslovaquie et met fin au Printemps de Prague, période de libéralisation politique dans ce pays. Elle poursuit ainsi, dans le droit fil de l’invasion de la Hongrie, en 1956 et de la répression militaire exercée à Berlin en 1953, une politique qui prend le nom de doctrine Brejnev : lorsqu’elle doit faire un choix entre le contrôle à court terme des États satellites d’Europe de l’Est et la réforme politique et économique à long terme, l’Union soviétique choisit de maintenir le contrôle à court terme. Il faudra un dirigeant soviétique disposé à choisir la réforme à long terme pour mettre fin à cette politique.
La détente a de nombreuses facettes. Au travers de son Ostpolitik, le chancelier ouest-allemand Willy Brandt cherche à rapprocher l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest pour favoriser la stabilité. La stratégie de « riposte graduée » du président américain John F. Kennedy vise quant à elle à remplacer la doctrine des représailles massives, selon laquelle la seule alternative possible à la paix est la guerre nucléaire généralisée. Adopté au lendemain de la crise des missiles de Cuba, le principe de la riposte graduée renforce le dispositif de défense conventionnelle de l’OTAN en apportant des réponses militaires qui ne vont pas jusqu’à la guerre nucléaire. Toujours pendant cette période, dans un rapport intitulé « Les tâches futures de l’Alliance », remis en décembre 1967 au Conseil de l’Atlantique Nord, le ministre belge des Affaires étrangères, Pierre Harmel, recommande que l’OTAN adopte une politique favorisant le dialogue et la détente entre les pays de l’Alliance et les pays du Pacte de Varsovie. Le rôle de l’OTAN ne consiste plus simplement à maintenir le statu quo, mais à contribuer à faire bouger les lignes.
Le rapport Harmel jette les bases de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe qui se tient en 1973 et aboutit, deux ans plus tard, à la signature de l’Acte final d’Helsinki. Cet acte oblige ses signataires – dont l’Union soviétique et les membres du Pacte de Varsovie – à respecter les libertés fondamentales de leurs citoyens, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction. Les dirigeants soviétiques, de leur côté, minimisent ces clauses de l’acte et attachent davantage d’importance à la reconnaissance par le monde occidental de la place de l’URSS en Europe de l’Est. Toutefois, les Soviétiques finissent par se rendre compte qu’ils se sont associés à des idées fortes et potentiellement subversives.
Retour de la Guerre froide
L’invasion de l’Afghanistan en 1979 par l’URSS et le déploiement par les Soviétiques de missiles balistiques SS-20 en Europe mettent la détente entre parenthèses. Face à ce déploiement, les Alliés prennent la « double décision » de positionner en Europe de l’Ouest des missiles de croisière à lanceur terrestre et des Pershing II dotés d’une capacité nucléaire tout en poursuivant les négociations avec les Soviétiques. Cette décision ne doit devenir effective qu’en 1983. Dans l’intervalle, les Alliés espèrent obtenir un accord sur la maîtrise des armements qui éviterait de déployer ces armes.
L’accord espéré avec les Soviétiques ne s’étant pas concrétisé, des dissensions internes apparaissent entre les membres de l’OTAN quand le déploiement commence en 1983. Après l’accession au pouvoir en 1985 de Mikhaïl Gorbatchev, les États-Unis et l’Union soviétique signent en 1987 le Traité sur les forces nucléaires de portée intermédiaire (FNI), qui prévoit l’élimination de tous leurs missiles nucléaires, balistiques et de croisière à lanceur terrestre de portée intermédiaire. Ce traité est aujourd’hui considéré comme un signe annonciateur de la fin de la Guerre froide. Les années 1980 voient aussi l’adhésion d’un nouveau membre à l’OTAN, ce qui n’était plus arrivé depuis 1955 : l’Espagne, qui vient de se doter d’un régime démocratique, rejoint ainsi l’Alliance en 1982.
Au milieu des années 1980, la plupart des observateurs internationaux estiment que le communisme soviétique a perdu la bataille des idées avec l’Occident. Les dissidents ont démantelé les piliers idéologiques des régimes communistes. On constate rétrospectivement que l’Union soviétique a facilité ce processus en voulant montrer qu’elle respectait les principes des droits de l’homme énoncés dans l’Acte final d’Helsinki. À la fin des années 1980, le gouvernement communiste de Pologne est forcé de négocier avec le syndicat indépendant « Solidarité », qui avait été victime de la répression, et avec son dirigeant, Lech Walesa. D’autres activistes démocrates en Europe de l’Est et en Union soviétique ne tarderont pas à réclamer les mêmes droits.
À cette époque, les économies dirigées des pays du Pacte de Varsovie se désagrègent. L’Union soviétique, dont l’économie ne représente que le tiers de celle des États-Unis, dépense trois fois plus qu’eux dans le domaine de la défense. Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir bien décidé à entreprendre une réforme de fond du système communiste. Quand le régime de l’Allemagne de l’Est commence à s’effondrer en 1989, l’Union soviétique n’intervient pas, dérogeant à la doctrine Brejnev. Cette fois, les Soviétiques renoncent au contrôle à court terme, qu’ils sont de moins en moins capables d’exercer, et choisissent la réforme à long terme, ce qui déclenche la cascade d’événements qui mèneront à la dissolution du Pacte de Varsovie.
Pour en savoir plus : La dissuasion et la défense pendant la Guerre froide
L’OTAN À LA CROISÉE DES CHEMINS
C’EST TOUT LE PARADOXE DE LA CHUTE DU COMMUNISME SOVIÉTIQUE : ALORS MÊME QUE LA MENACE DIMINUE, LA PAIX RECULE.
Manfred Wörner, 1993
Avec la chute du mur de Berlin, le 9 novembre 1989, une nouvelle ère semble s'ouvrir sous le signe du marché libre, de la démocratie et de la paix, et c’est avec une joie teintée d’incrédulité que les Alliés voient des manifestants enhardis renverser les gouvernements communistes des pays d'Europe de l'Est. Mais certaines incertitudes ne laissent pas d’inquiéter. Une Allemagne unifiée sera-t-elle neutre ? Que va-t-il advenir des armes nucléaires présentes sur le territoire des anciennes républiques soviétiques ? Le nationalisme va-t-il une fois encore empoisonner la politique européenne ? Pour l'OTAN, une question surtout est cruciale : l'Alliance atlantique est-elle encore nécessaire ?
L'OTAN continue d'exister car même si l'Union soviétique a disparu, les deux autres missions d'origine de l'Alliance, bien qu'implicites, sont toujours d'actualité : empêcher la montée du nationalisme militant et servir de socle à la sécurité collective qui favorisera la démocratisation et l'intégration politique de l'Europe. La notion d’« Europe » recouvre simplement une réalité géographique plus vaste, élargie vers l'Est. Cependant, avant de pouvoir consolider la paix et la sécurité, il faut exorciser le spectre qui hante encore la politique européenne. Depuis la guerre franco-prussienne, l'Europe a du mal à accepter l'idée d'une Allemagne unie en son sein. L'intégration de l’Allemagne réunifiée dans l'Alliance apaise ce dilemme très ancien et destructeur.
En 1991 comme en 1949, l'OTAN doit être la pierre angulaire d'une architecture de sécurité paneuropéenne élargie. En décembre 1991, les Alliés créent le Conseil de coopération nord-atlantique, qui deviendra le Conseil de partenariat euro-atlantique en 1997. Les Alliés et leurs voisins d'Europe centrale, d'Europe de l'Est et d'Asie centrale disposent désormais d’une enceinte où mener des consultations. Bon nombre de ces pays récemment émancipés – bientôt appelés « partenaires » – voient dans la relation avec l'OTAN un moyen essentiel de concrétiser leurs aspirations à la stabilité, à la démocratie et à l'intégration dans les structures européennes. La coopération s'étend en outre vers le sud. En 1994, l'Alliance crée le Dialogue méditerranéen, auquel participent six pays de la Méditerranée non membres de l'OTAN : l'Égypte, Israël, la Jordanie, la Mauritanie, le Maroc et la Tunisie. Ils seront rejoints en 2000 par l'Algérie. Ce dialogue a pour objet de contribuer à la sécurité et à la stabilité dans la région méditerranéenne en favorisant la compréhension mutuelle.
Tous ces efforts de coopération vont bientôt être mis à l'épreuve. Depuis l’effondrement du communisme, on assiste à une montée du nationalisme et des violences ethniques, en particulier dans l'ex-Yougoslavie. Dans un premier temps, les Alliés hésitent à intervenir dans ce qu'ils considèrent initialement comme une guerre civile en Yougoslavie. Mais l’analyse du conflit évolue : considérant qu’il relève en fait d’une guerre d’agression menée dans un objectif de nettoyage ethnique, l'Alliance décide d'agir. L'OTAN commence par apporter son plein appui aux initiatives de l’ONU visant à mettre fin aux crimes de guerre, y compris au travers d’une intervention militaire directe, sous la forme d'un embargo maritime. Peu de temps après, à la suite de l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne, des frappes aériennes sont menées contre des armes lourdes déployées en violation des résolutions de l'ONU. Enfin, en septembre 1995, l'Alliance mène une campagne aérienne de neuf jours qui s'avère décisive pour mettre un terme au conflit. En décembre de la même année, l'OTAN déploie une force multinationale de 60 000 hommes opérant sous mandat de l'ONU afin de contribuer à la mise en application de l'Accord de paix de Dayton et de créer les conditions préalables à l'instauration d'une paix durable. En 2004, l'OTAN confiera la responsabilité de cette tâche à l'Union européenne.
Le conflit en ex-Yougoslavie – ainsi que d'autres conflits contemporains dans le Caucase et dans d'autres régions du monde – indiquent clairement que le vide du pouvoir qui caractérise l'après-Guerre froide est une dangereuse source d'instabilité. Les mécanismes de partenariat doivent être renforcés de manière à permettre aux pays non membres de l'Alliance de coopérer avec elle afin de réformer leurs institutions démocratiques et militaires en mutation et de remédier à leur isolement sur le plan stratégique. Dans le cadre de ce processus, les Alliés créent le programme du Partenariat pour la paix (PPP) en 1994. Le PPP permet aux pays non membres de l'OTAN, encore appelés « partenaires », de partager des informations avec les pays alliés et de moderniser leur secteur militaire pour qu'il réponde aux normes démocratiques. Les partenaires sont encouragés à définir eux-mêmes le niveau de coopération qu'ils souhaitent établir avec l'Alliance. La voie de l'adhésion restera ouverte à ceux qui choisiront de s’y engager.
Une étape importante est franchie en 1999, au sommet de Washington, lorsque trois anciens partenaires – la Tchéquie, la Hongrie et la Pologne – deviennent membres à part entière de l'Alliance après avoir mené à bien leur programme de réformes politiques et militaires. Au travers de cet élargissement, l'OTAN a joué un rôle essentiel dans la consolidation de la démocratie et de la stabilité en Europe. Cependant, avant même que les nouveaux Alliés aient rejoint l'OTAN à Washington, une nouvelle crise éclate.
À la fin de 1998, plus de 300 000 Albanais du Kosovo ont fui leur foyer durant le conflit qui oppose les séparatistes albanais du Kosovo aux militaires et à la police serbes. Après l'échec des efforts intenses menés par la communauté internationale pour résoudre la crise, l'Alliance mène des frappes aériennes pendant 78 jours et effectue 38 000 sorties dans le but de permettre à une force multinationale de maintien de la paix d'entrer au Kosovo et de faire cesser l'épuration ethnique qui a lieu dans la région. Le 4 juin 1999, l'OTAN suspend sa campagne aérienne après s'être assurée que l'armée serbe a entamé son retrait du Kosovo, et peu de temps après, la Force pour le Kosovo (KFOR) se déploie. Aujourd'hui, des soldats de la KFOR sont encore présents au Kosovo, où ils contribuent à maintenir un environnement sûr et à préserver la liberté de mouvement de tous les citoyens, quelle que soit leur origine ethnique.
LE CATALYSEUR DU 11-SEPTEMBRE
Ce qui s'est passé en Bosnie et au Kosovo montre que le débat sur la question de savoir si l'OTAN doit ou non imposer la paix en Europe est dépassé : les événements eux‑mêmes ont obligé l'Alliance à intervenir. Avant la chute du mur de Berlin, l'OTAN était une organisation statique dont la seule existence suffisait à dissuader l'Union soviétique. L'intervention dans les Balkans est le point de départ de la transformation de l'Alliance, qui gagne en dynamisme et en réactivité. La doctrine des représailles nucléaires qui prévalait à l'époque de la Guerre froide appartient au passé ; il s’agira plutôt désormais de faire usage de la force de façon mesurée et avec discernement pour mettre un terme à un conflit, quand tous les moyens pacifiques ont échoué, tout en menant des efforts sur les plans diplomatique et humanitaire, y compris au-delà de la sphère nord-atlantique habituelle de l'OTAN si cela s'avère nécessaire.
L'OTAN adopte par conséquent un nouveau concept stratégique décrivant l'objectif et les priorités de l'Alliance. Presque tous les concepts stratégiques précédents étaient classifiés. En 1991, au lendemain de l'effondrement de l'Union soviétique, l'Alliance produit pour la première fois un concept stratégique non classifié. Le concept stratégique suivant, publié en 1999, précise que depuis la fin de la Guerre froide, le monde est confronté à « de nouveaux risques complexes pour la paix et la sécurité euro-atlantiques, risques liés à des politiques d'oppression, à des conflits ethniques, au marasme économique, à l'effondrement de l'ordre politique, et à la prolifération des armes de destruction massive. » Il va rapidement s'avérer que cette analyse était prémonitoire.
Les attentats terroristes perpétrés le 11 septembre 2001 contre le World Trade Centre et le Pentagone prouvent aux Alliés que le chaos politique dans des régions éloignées du globe peut avoir des conséquences désastreuses sur leur propre territoire. La clause de défense collective (l’article 5) est invoquée pour la toute première fois dans l’histoire de l’OTAN. Des acteurs sub-étatiques – en l’occurrence, le groupe terroriste Al-Qaida – ont utilisé l'Afghanistan comme base pour exporter l'instabilité vers le monde industrialisé. Ils ont détourné des avions de ligne pour les transformer en armes de destruction massive et faire des milliers de victimes civiles. Malheureusement, l’histoire ne s’arrête pas là : les attentats à la bombe perpétrés en novembre 2003, à Istanbul, le 11 mars 2004 dans des trains de banlieue à Madrid et le 7 juillet 2005 dans le réseau de transport public à Londres démontrent que de violents extrémistes sont déterminés à prendre pour cible les populations civiles.
DANS UN CONTEXTE BIEN DIFFÉRENT DE CELUI QUE LES RÉDACTEURS DE L’ARTICLE 5 AVAIENT EN TÊTE EN 1949, LES PAYS DE L’OTAN ONT FAIT FRONT AUX CÔTÉS DE LEUR ALLIÉ ATTAQUÉ. LE 11-SEPTEMBRE AVAIT CHANGÉ LE MONDE ET FAIT SONNER L’HEURE DE LA TRANSFORMATION POUR L’OTAN.
Lord Robertson, 2011
À l'automne 2001, au lendemain des attentats du 11 septembre, une coalition de pays – dont de nombreux membres de l'OTAN – intervient militairement en Afghanistan. L’opération Enduring Freedom a pour objectifde priver Al-Qaida de sa base d'opérations et de capturer un maximum de ses dirigeants. En décembre 2001, après le renversement du régime des talibans, la résolution 1386 du Conseil de sécurité de l’ONU autorise le déploiement de la Force internationale d'assistance à la sécurité (FIAS), force multinationale opérant dans Kaboul et aux alentours pour contribuer à stabiliser le pays et à créer les conditions d'une paix durable. En août 2003, l'OTAN reprend le commandement de la FIAS et assure la coordination de ses opérations.
Parallèlement, l'OTAN continue à accepter de nouveaux membres et à instaurer de nouveaux partenariats. Le Conseil OTAN-Russie est créé en 2002 pour permettre aux États membres de l'OTAN et à la Russie de travailler ensemble, en tant que partenaires égaux, sur des questions de sécurité présentant un intérêt commun. En 2004, l'Alliance lance l'Initiative de coopération d'Istanbul, qui offre aux pays du Moyen-Orient au sens large des possibilités de coopération pratique bilatérale avec l'OTAN dans le domaine de la sécurité. Enfin, d'autres vagues d'élargissement feront entrer davantage de pays dans le giron euro-atlantique –la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la Slovénie en 2004, l’Albanie et la Croatie en 2009, le Monténégro en 2017, la Macédoine du Nord en 2020, la Finlande en 2023, puis la Suède, en 2024.
Pour en savoir plus : Partenariats
NOUVEAU SIÈCLE, NOUVELLE APPROCHE
En Afghanistan, tout comme en Bosnie et au Kosovo, les Alliés ont compris que la puissance militaire ne suffisait pas à asseoir la paix et la stabilité. Il est en effet devenu au moins aussi difficile de maintenir la paix que de la rétablir. Durant la période de la Guerre froide, assurer la sécurité des Alliés revenait à défendre leur territoire ; dans le monde contemporain, la notion de « sécurité » s'est nettement élargie et englobe la protection des individus contre l'extrémisme violent alimenté par l'instabilité et la faillite des États-nations. Par exemple, en 2011, une grande partie de l’attention de la communauté internationale s’est portée sur la crise en Libye, où l’OTAN, agissant sous mandat de l’ONU, a joué un rôle déterminant en contribuant à protéger les civils qui subissaient les attaques de leurs propres autorités. La violence dont les forces de sécurité libyennes ont fait preuve à l’égard des manifestants prodémocratie était telle que la communauté internationale a décidé de mener une action collective. Il n’était tout simplement pas possible de fermer les yeux.
Pour assurer le maintien de la paix, il faut aujourd’hui aller au-delà du cadre des activités de sécurité traditionnelles et contribuer à l’édification du monde moderne. L'ampleur de cette tâche dépasse l'OTAN, et les Alliés le savent. L'Alliance n'est pas et ne peut pas être un organisme chargé de la reconstruction civile, mais elle peut apporter une contribution non négligeable, pour autant que celle-ci s'inscrive dans le cadre d'une réponse cohérente de la communauté internationale. Dans le nouveau concept stratégique qu’elle a adopté en 2010, l’Alliance s’est engagée à gérer « tous les stades d’une crise – avant, pendant et après », et ce principe général implique de mettre l’accent sur la sécurité coopérative. Cette idée est au cœur même de la notion d'« approche globale ».
L'instabilité géopolitique exige des remèdes complexes qui associent puissance militaire, diplomatie et stabilisation post-conflit. Seule une coalition aussi large que possible d'acteurs internationaux peut apporter des contributions sur ces trois plans. Par conséquent, l'Alliance ne se contente pas de mettre en place des partenariats de sécurité avec des pays de la région méditerranéenne, de la région du Golfe, voire de la région du Pacifique, mais s'ouvre aussi aux autres organisations internationales et aux organisations non gouvernementales qui remplissent des missions dans des domaines tels que la mise en place des institutions, la gouvernance, le développement et la réforme du secteur judiciaire. Ainsi, lorsqu’il s’agit de contribuer à instaurer une paix durable à Pristina, de sécuriser la mer Méditerranée ou de fournir une assistance à l’Union africaine, l’OTAN renforce sa coopération avec d’autres organisations internationales disposant d’un savoir-faire spécialisé en matière de reconstruction et d’édification d’une société civile.
Mais le XXIe siècle n’est pas seulement celui de la consolidation de la paix. L’annexion, illégale, de la Crimée par la Russie, en 2014, et l’attaque injustifiable que ce pays a lancée contre l’Ukraine, en l’absence de toute provocation, nous rappellent toute l’importance que revêt la tâche fondamentale de l’OTAN : celle d’assurer la défense collective. Cette réalité, à laquelle se superposent le conflit en Syrie, la montée en puissance de l’EIIL et du terrorisme (souvent endogène), s’impose avec brutalité sur plusieurs continents. En parallèle, les tensions montent alors que les migrants cherchent à trouver refuge dans des pays mis à mal par les querelles ethniques et religieuses, la pression démographique et les difficultés économiques. Tandis que les cyberattaques se multiplient et font toujours plus de dégâts, des acteurs hostiles aux sociétés libérales ouvertes se servent notamment des médias sociaux à des fins de propagande et diffusent de fausses informations pour saper les valeurs que l’OTAN porte et défend depuis sa création. Dans un environnement de sécurité si complexe, la capacité d’adaptation de l’OTAN est à nouveau mise à l’épreuve.
C’est précisément grâce cette capacité d’adaptation, énoncée en creux dans le traité de Washington, que l’Alliance a su évoluer avec son temps depuis sa création, en 1949. Dès les années 1950, l'OTAN se définit par sa vocation purement défensive. Dans les années 1960, elle est un instrument politique au service de la détente. Dans les années 1990, elle œuvre pour la stabilisation de l'Europe de l'Est et de l'Asie centrale, en accueillant de nouveaux membres et en créant des partenariats. Dans la première moitié du XXIe siècle, l’OTAN est face à des menaces nouvelles et toujours plus nombreuses. En tant que pierre angulaire de la paix et de la liberté de part et d’autre de l’Atlantique, elle doit être prête à relever le défi.
Pour en savoir plus : Le 11 Septembre et le monde d’après
Une bonne photo vaut mieux qu’un long discours. Rendez-vous sur la page « L’histoire de l’OTAN en quelques instantanés », pour découvrir une série originale de clichés retraçant, année par année, l’évolution de l’Organisation.