Les futures tâches de l’Alliance

Rapport au Conseil - 'Rapport Harmel'

  • 13 Dec. 1967 - 14 Dec. 1967
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  • Mis à jour le: 02 Dec. 2009 15:07

  1. Il y a un an, à l’initiative du Ministre des Affaires étrangères de Belgique, les gouvernements des quinze nations de l’Alliance ont décidé d’entreprendre «l’étude des futures tâches de l’Alliance et à prendre des mesures pour y faire face, afin de renforcer l’Alliance en tant qu’élément de paix durable». Le présent rapport expose la teneur générale et les grands principes qui se dégagent de cet examen des futures tâches de l’Alliance.
  2. Des études ont été effectuées par MM. Shütz, Watson, Spaak, Kohler et Patijn. Le Conseil tient à remercier ici ces éminentes personnalités pour les efforts qu’elles ont déployés et pour le travail d’analyse auquel elles se sont livrées.
  3. Cet exercice a montré que l’Alliance est une organisation dynamique et vigoureuse qui s’adapte constamment aux conditions changeantes. Il a également montré que ses futures tâches peuvent être menées à bien dans le cadre des dispositions du Traité en se fondant sur les méthodes et procédures dont de longues années d’expérience ont consacré la valeur.
  4. Depuis la signature du Traité de l’Atlantique Nord en 1949, la situation internationale a changé de façon notable et les tâches politiques de l’Alliance ont pris une dimension nouvelle. L’Alliance a notamment joué un rôle majeur dans l’arrêt de l’expansion communiste en Europe; l’Union soviétique est devenue l’une des deux superpuissances mondiales, mais le monde communiste n’est plus monolithique; la doctrine soviétique de la «coexistence pacifique» a modifié la nature de l’affrontement avec l’Ouest, mais non les problèmes fondamentaux. Bien que la disparité entre la puissance des Etats-Unis et celle des Etats européens subsiste, l’Europe s’est relevée et est en marche vers son unité. Le processus de décolonisation a transformé les relations de l’Europe avec le reste du monde; dans le même temps, des problèmes majeurs ont surgi dans les relations entre pays développés et en voie de développement.
  5. L’Alliance atlantique a deux fonctions essentielles. La première consiste à maintenir une puissance militaire et une solidarité politique suffisantes pour décourager l’agression et les autres formes de pression et pour défendre le territoire des pays membres en cas d’agression. Dès ses débuts, l’Alliance s’est acquittée avec succès de cette tâche. Mais la possibilité d’une crise ne peut être exclue tant que les questions politiques cruciales en Europe et par-dessus tout la question allemande n’auront pas été réglées. D’autre part, la situation d’instabilité et d’incertitude n’a pas encore permis une réduction équilibrée des forces militaires. Dans ces conditions, les Alliés maintiendront un potentiel militaire suffisant pour assurer l’équilibre des forces et créer ainsi un climat de stabilité, de sécurité et de confiance.

    Dans ce climat, l’Alliance peut s’acquitter de sa seconde fonction, c’est-à-dire poursuivre ses efforts en vue de progresser vers l’établissement de relations plus stables qui permettront de résoudre les problèmes politiques fondamentaux. La sécurité militaire et une politique de détente ne sont pas contradictoires mais complémentaires. La défense collective est un facteur de stabilité dans la politique mondiale. Elle est la condition nécessaire d’une politique efficace visant à un plus grand relâchement des tensions. Le chemin de la paix et de la stabilité en Europe consiste notamment à utiliser l’Alliance dans un esprit constructif dans l’intérêt de la détente. La participation de l’URSS et des USA sera nécessaire pour le règlement des problèmes politiques en Europe.
  6. Dès le début, l’Alliance atlantique a été un groupement d’Etats animés des mêmes idéaux et ayant de nombreux intérêts communs, et dont la cohésion et la solidarité constituent un élément de stabilité au sein de la zone atlantique.
  7. En tant qu’Etats souverains, les Alliés ne sont pas tenus de subordonner leur politique à une décision collective. L’Alliance fournit un forum et un centre efficace pour les échanges d’informations et de vues; ainsi, chacun des Alliés peut-il arrêter sa politique à la lumière d’une connaissance approfondie des problèmes et des objectifs de tous les autres. Pour y parvenir, il est essentiel d’approfondir et d’améliorer la pratique qui consiste à procéder en temps utile à des consultations franches. Chaque Allié devrait jouer pleinement son rôle dans l’amélioration des relations avec l’Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est, en tenant compte du fait qu’il ne faut pas laisser la recherche de la détente aboutir à une rupture de l’Alliance. Il ne fait aucun doute que les chances de succès seront les plus grandes si les Alliés continuent d’agir dans le même sens, en particulier pour les questions les touchant tous de très près; leurs actions n’en seront que plus efficaces.
  8. Aucun ordre pacifique n’est possible en Europe sans un effort énergique de tous les intéressés. L’évolution de la politique de l’Union soviétique et de l’Europe de l’Est permet d’espérer que ces gouvernements en viendront peut-être enfin à reconnaître l’intérêt qu’ils auraient à coopérer à la préparation d’un règlement pacifique. Aucun règlement définitif et stable en Europe n’est cependant possible sans une solution de la question allemande, qui est au coeur des tensions actuelles en Europe. Tout règlement de ce genre devra faire disparaître les barrières artificielles entre l’Europe de l’Est et l’Europe de l’Ouest, barrières dont la division de l’Allemagne constitue la manifestation la plus évidente et la plus cruelle.
  9. En conséquence, les Alliés sont résolus à tendre leurs énergies dans ce sens grâce à des mesures réalistes propres à encourager la détente dans les relations Est-Ouest. Le relâchement des tensions n’est pas l’objectif final, mais fait partie d’un processus à long terme visant à améliorer les relations et à favoriser un règlement européen. Le but politique ultime de l’Alliance est de parvenir à un ordre pacifique juste et durable en Europe, accompagné des garanties de sécurité appropriées.
  10. Actuellement, le développement des contacts entre les pays de l’Europe occidentale et de l’Europe orientale s’effectue principalement sur une base bilatérale. Certaines questions, bien entendu, requièrent par leur nature même une solution multilatérale.
  11. Le problème de la réunification de l’Allemagne et son rapport avec un règlement européen ont été normalement examinés au cours d’échanges de vues entre l’Union soviétique et les trois puissances occidentales qui ont des responsabilités spéciales dans ce domaine. Lors de la préparation de ces échanges de vues, la République fédérale d’Allemagne s’est jointe régulièrement aux trois puissances occidentales en vue de parvenir à une position commune. Les autres Alliés continueront de voir leurs points de vue pris en considération au cours de discussions qui auront lieu en temps voulu entre les Alliés sur la politique de l’Ouest à ce sujet, sans qu’il soit porté atteinte en aucune manière aux responsabilités spéciales en question.
  12. Les Alliés examineront et réviseront les mesures politiques propres à instaurer un ordre juste et stable en Europe, à mettre fin à la division de l’Allemagne et à favoriser la sécurité européenne. Cette tâche fera partie d’un processus de préparation active et constante en prévision du jour où les pays de l’Est et de l’Ouest pourront procéder bilatéralement ou multilatéralement à des discussions fructueuses sur ces questions complexes.
  13. Les Alliés étudient actuellement des mesures de désarmement et de contrôle pratique des armements, et notamment la possibilité de réductions des forces équilibrées. Ces études seront intensifiées. Ces efforts énergiques reflètent la volonté des Alliés de travailler à une véritable détente avec l’Est.
  14. Les Alliés examineront avec une attention particulière les problèmes de défense des régions exposées, par exemple le flanc sud-est. A cet égard, la situation actuelle en Méditerranée présente des problèmes particuliers, compte tenu du fait que la crise du Moyen-Orient relève de la compétence des Nations Unies.
  15. La zone du Traité de l’Atlantique Nord ne peut être considérée isolément du reste du monde. Les crises et les conflits qui surgissent en dehors de cette zone peuvent compromettre sa sécurité, soit directement, soit en affectant l’équilibre global. Au sein des Nations Unies et d’autres organisations internationales, les pays alliés contribuent individuellement au maintien de la paix et de la sécurité internationales et au règlement de problèmes internationaux importants. Conformément à l’usage établi, les Alliés, ou ceux d’entre eux qui le désireront, continueront également à se consulter sur ces problèmes sans aucun engagement et dans la mesure des besoins.
  16. Compte tenu de ces conclusions, les Ministres ont donné pour instruction au Conseil permanent de prendre dans les années qui viennent les mesures de détail découlant de cette étude. Il s’acquittera de cette tâche soit en intensifiant les travaux déjà en cours, soit en faisant entreprendre des études hautement spécialisées par le recours le plus systématique à des experts et à des fonctionnaires des pays membres.
  17. Les Ministres ont constaté que l’étude faite par le Groupe Spécial confirme l’importance du rôle que l’Alliance est appelée à jouer dans les prochaines années en vue du développement de la détente et du renforcement de la paix. Etant donné que d’importants problèmes n’ont pas encore été étudiés dans tous leurs aspects et que d’autres, non moins importants, issus des derniers développements politiques et stratégiques, doivent encore former l’objet d’examens, les Ministres ont chargé les Représentants permanents de mettre ces problèmes à l’étude sans délai, suivant les méthodes que le Conseil permanent jugera les plus opportunes, afin que des rapports ultérieurs soient fournis au Conseil en session ministérielle.