Déclaration sur une Alliance de l'Atlantique Nord renovée

publiée par les Chefs d’Etat et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord («Déclaration de Londres»)

  • 05 Jul. 1990 - 06 Jul. 1990
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  • Mis à jour le: 09 Jul. 2010 16:11

  1. L'Europe est entrée dans une ère nouvelle et prometteuse. Les pays du centre et de l'est du continent secouent leur joug. L'Union soviétique s'est embarquée pour le long voyage qui mène à une société libre. Les murs s'écroulent, qui enfermaient jadis les personnes et les idées. Les peuples d'Europe déterminent leur propre destin. Ils font le choix de la liberté, du libéralisme économique, de la paix. Ils font le choix d'une Europe entière et libre. Il faut donc que notre Alliance s'adapte à la situation, et elle ne manquera pas de le faire.
  2. De toutes les alliances défensives que l'Histoire a connues, c'est la nôtre qui s'est le mieux acquittée de sa tâche. Alors même qu'elle entame sa cinquième décennie et qu'un nouveau siècle s'annonce, elle doit continuer d'assurer la défense commune. Notre Alliance a grandement contribué à faire naître la nouvelle Europe. Nul ne peut cependant prédire l'avenir avec certitude. Nous devons rester solidaires, pour que se maintienne cette paix dont nous jouissons depuis quarante ans. Plus que jamais, pourtant, l'Alliance doit susciter le changement. Nous pouvons aider à l'édification des structures d'une Europe plus unie, en mettant au service de la sécurité et de la stabilité la force que nous donne notre foi commune dans la démocratie, le respect des droits de l'individu et le règlement pacifique des différends. Nous réaffirmons que la sécurité et la stabilité n'ont pas une dimension exclusivement militaire, et nous comptons renforcer l'élément politique de notre Alliance, en vertu de l'article 2 de notre Traité.
  3. L'unification de l'Allemagne signifie que nous sommes en train de surmonter la division de l'Europe. Une Allemagne unie, qui aura sa place au sein d'une alliance de démocraties libres, et qui sera associée à l'intégration politique et économique croissante de la Communauté européenne, constituera un facteur indispensable de stabilité au coeur de l'Europe. L'évolution de cette Communauté européenne vers l'union politique, et notamment vers l'affirmation d'une identité européenne dans le domaine de la sécurité, contribuera aussi à renforcer la solidarité atlantique et à établir un ordre pacifique, juste et durable dans l'Europe tout entière.
  4. Nous avons conscience de ce que, dans l'Europe nouvelle, la sécurité de chaque Etat est indissociablement liée à celle de ses voisins. L'OTAN doit devenir une institution où Européens, Canadiens et Américains travaillent ensemble non seulement pour leur défense, mais encore pour la création de nouveaux partenariats avec toutes les nations d'Europe. La Communauté atlantique doit se tourner vers les pays de l'Est, ses anciens adversaires du temps de la guerre froide, et leur offrir son amitié.
  5. Notre Alliance conservera sa nature défensive et, comme par le passé, protégera chaque parcelle du territoire de ses membres. Elle ne nourrit aucune intention agressive, et elle s'engage à privilégier, dans tous les cas, le règlement pacifique des différends. Quelles que soient les circonstances, elle ne sera jamais la première à recourir à la force.
  6. Les Etats membres de l'Alliance de l'Atlantique Nord proposent à ceux de l'Organisation du Traité de Varsovie une déclaration commune dans laquelle nous proclamerions solennellement ne plus être des adversaires et réaffirmerions notre volonté de nous abstenir de recourir à la menace ou à l'emploi de la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout Etat, ou d'agir de toute autre manière incompatible avec les buts de la Charte des Nations Unies et avec l'Acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE). Nous invitons tous les autres Etats membres de la CSCE à souscrire avec nous à cet engagement de non-agression.
  7. Dans cet esprit, et avec le souci de montrer que le rôle politique de l'Alliance évolue, nous invitons aujourd'hui le président Gorbatchev, pour l'Union soviétique, et les représentants des autres pays d'Europe centrale et orientale, à prendre la parole devant le Conseil de l'Atlantique Nord, à Bruxelles. En même temps, nous invitons des représentants des gouvernements de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, de la République fédérale tchèque et slovaque, de la République de Hongrie, de la République de Pologne, de la République populaire de Bulgarie et de la Roumanie à venir à l'OTAN, non pour effectuer une simple visite, mais pour y établir des liaisons diplomatiques régulières avec l'OTAN. Cela nous permettra de partager avec eux nos réflexions et nos délibérations en cette période de changement historique.
  8. Notre Alliance assumera ses responsabilités, dès lors qu'il s'agit de se défaire de l'héritage d'une longue période de suspicion. Nous sommes prêts à intensifier les contacts militaires, notamment ceux que les commandants militaires de l'OTAN pourraient avoir avec Moscou et avec d'autres capitales d'Europe centrale et orientale.
  9. Nous nous réjouissons de l'invitation faite au secrétaire général de l'OTAN, M. Manfred Wörner, de se rendre à Moscou et d'y rencontrer les dirigeants soviétiques.
  10. Des responsables militaires venus de toute l'Europe se sont réunis au début de l'année, à Vienne, afin de parler de leurs forces et de leurs doctrines. L'Alliance propose la tenue d une réunion similaire à l'automne prochain, dans le but de favoriser la compréhension mutuelle. Nous nous proposons d'instaurer en Europe une transparence d'une qualité toute différente, avec en particulier la conclusion d'un accord sur le régime du "Ciel ouvert".
  11. La présence en Europe d'importantes forces conventionnelles nord-américaines et de nombreuses forces nucléaires des Etats-Unis atteste le contrat politique qui lie implicitement le destin de l'Amérique du Nord à celui des démocraties européennes. Toutefois, à mesure que l'Europe se transforme, nous devons modifier radicalement notre conception de la défense.
  12. Il est essentiel, pour réduire nos besoins militaires, de parvenir à de bons accords sur la maîtrise des armements. C'est pourquoi nous accordons la plus haute priorité à la conclusion, dès cette année, du premier traité réduisant et limitant la présence de forces conventionnelles en Europe (FCE), ainsi qu'à la mise au point d'un ensemble significatif de mesures de confiance et de sécurité (MDCS). Les négociations menées à cet égard doivent se poursuivre sans relâche jusqu'à leur aboutissement. Et nous espérons aller plus loin encore. Nous proposons que, dès la signature d'un traité sur les FCE, soient entamés de nouveaux pourparlers, avec les mêmes participants et sur la base du même mandat, le but étant d'établir, dans le prolongement de l'accord existant, des mesures supplémentaires, et notamment des dispositions visant à limiter les effectifs présents en Europe. Compte tenu de cet objectif, un engagement concernant les niveaux d'effectifs d'une Allemagne unie sera pris au moment de la signature du traité sur les FCE.
  13. Notre objectif sera de mener à son terme la suite des négociations sur les FCE et les MDCS aussi rapidement que possible, en prévision de la conférence-bilan de la CSCE qui doit se tenir à Helsinki en 1992. Par de nouvelles négociations sur la maîtrise des armements conventionnels, menées au sein de la CSCE dans les années quatre-vingt-dix, nous nous efforcerons d'aboutir à d'autres mesures ambitieuses visant à limiter le potentiel offensif des forces conventionnelles en Europe, de manière qu'aucun pays ne puisse maintenir une puissance militaire disproportionnée sur le continent. Le Groupe de travail de haut niveau de l'Alliance définira une position détaillée pour la suite de ces entretiens sur la maîtrise des armements conventionnels. Nous prendrons les dispositions nécessaires, selon les régions, pour corriger les disparités et faire en sorte qu'il ne soit jamais porté atteinte à la sécurité d'aucun pays. De plus, nous continuerons d'envisager des possibilités plus larges en matière de maîtrise des armements et de renforcement de la confiance. Il s'agit là, certes, d'un programme ambitieux, mais il est conforme au but que nous nous sommes fixé: installer une paix durable en Europe.
  14. A mesure que les troupes soviétiques quitteront l'Europe de l'Est et qu'un traité limitant les forces conventionnelles sera appliqué, la structure militaire intégrée de l'Alliance et sa stratégie se modifieront profondément:
    • L'OTAN déploira des forces d'active moins nombreuses, qui seront restructurées. Grâce à de telles forces, qui se caractériseront par leur grande mobilité et par leur polyvalence, les dirigeants alliés disposeront de la plus grande souplesse pour décider de la conduite à tenir face à une crise. L'Organisation aura de plus en plus recours à des corps multinationaux, composés d'unités nationales.
    • L'OTAN abaissera le niveau de préparation de ses unités d'active en réduisant les normes d'entraînement et le nombre des exercices.
    • L'OTAN tablera davantage sur la capacité de mobiliser des forces plus importantes au cas où les circonstances viendraient à l'exiger.
  15. Pour sauvegarder la paix, l'Alliance doit conserver, à échéance prévisible, une combinaison appropriée de forces nucléaires et conventionnelles basées en Europe et maintenues à niveau, là où ce sera nécessaire. Mais l'OTAN, qui est une alliance défensive, a toujours souligné qu'elle n'utiliserait jamais aucune de ses armes, sauf en cas de légitime défense, et qu'elle entendait ramener au niveau le plus bas et le plus stable les forces nucléaires requises pour la prévention de la guerre.
  16. L'évolution politique et militaire en Europe et la perspective de nouveaux changements permettent aux Alliés concernés de franchir de nouvelles étapes. Ils modifieront donc la taille de leurs forces de dissuasion nucléaire et adapteront les missions qu'ils leur confient. Ils sont arrivés à la conclusion que, dans le nouveau contexte politique et militaire européen, les systèmes nucléaires préstratégiques des plus courtes portées verront leur rôle considérablement réduit. Ils sont convenus plus spécifiquement que, dès l'ouverture des négociations sur les forces nucléaires à courte portée, l'Alliance proposera, en échange des mesures réciproques de la part de l'URSS, l'élimination de tous ses obus nucléaires en Europe.
  17. Les Etats-Unis et l'Union soviétique devraient entamer de nouvelles négociations sur la réduction des forces nucléaires à courte portée, peu après la signature d'un accord sur les FCE. Les Alliés concernés définiront un cadre pour la maîtrise des armements qui tienne compte de leurs besoins considérablement réduits en armes nucléaires, et qui prenne en considération le fait que leurs systèmes nucléaires préstratégiques des plus courtes portées sont devenus moins nécessaires.
  18. Enfin, le retrait total des forces soviétiques stationnées en Europe et l'exécution d'un accord sur les FCE permettront aux Alliés concernés de moins dépendre des armes nucléaires. Celles-ci continueront de jouer un rôle essentiel dans la stratégie globale de l'Alliance - qui vise à prévenir la guerre - parce qu'elles assurent qu'en aucune circonstance on ne puisse négliger les représailles nucléaires que déclencherait une action militaire. Toutefois, ces mêmes Alliés seront en mesure d'adopter, dans une Europe transformée, une nouvelle stratégie de l'OTAN qui fasse véritablement des forces nucléaires l'arme du dernier recours.
  19. Nous approuvons les instructions données à Turnberry au Conseil de l'Atlantique Nord en session permanente, qui a été chargé de superviser les travaux en cours sur l'adaptation de l'Alliance aux circonstances nouvelles, et qui devra présenter ses conclusions dès que possible.
  20. A partir des plans de défense et de maîtrise des armements ainsi révisés, et en se fondant sur les avis des autorités de l'OTAN et de tous les Etats membres concernés, l'OTAN élaborera une nouvelle stratégie militaire alliée qui s'éloigne de la notion de "défense en avant", là où il le faut, pour s'orienter vers celle d'une présence en avant réduite, et qui modifie le principe de la "riposte graduée"; pour tenir compte d'une dépendance moins grande à l'égard de l'arme nucléaire. Dans ce but, l'OTAN établira de nouveaux plans de forces, adaptés aux changements révolutionnaires survenus en Europe. L'OTAN servira également de cadre aux consultations entre les Alliés sur les négociations prochaines qui seront consacrées aux forces nucléaires à courte portée.
  21. La CSCE, qui réunit les pays d'Europe et d'Amérique du Nord, devrait jouer un rôle plus marqué dans la construction de l'Europe. Nous sommes favorables à la tenue en fin d'année, à Paris d'un sommet de la CSCE au cours duquel serait signé un accord sur les FCE, et où seraient fixées de nouvelles normes pour l'établissement et la sauvegarde de sociétés libres. Il s'agirait d'y entériner notamment:
    • les principes de la CSCE sur le droit à des élections libres et loyales;
    • les engagements pris dans le cadre de la CSCE en faveur du respect et du maintien de la primauté du droit;
    • les directives de la CSCE pour un renforcement de la coopération économique, fondé sur le développement d'économies de marché compétitives et libérales;
    • la coopération entre les pays membres de la CSCE pour la protection de l'environnement.
  22. Nous proposons, en outre, que les participants au sommet de Paris fixent la manière dont la CSCE peut être institutionnalisée pour devenir le lieu d'un dialogue politique plus large dans une Europe plus unie. Nous recommandons que les gouvernements des Etats membres de la CSCE établissent:
    • un programme de consultations entre les Etats membres à l'échelon des chefs d'Etat et de gouvernement ou à celui des ministres; à ces rencontres tenues à intervalles réguliers - au moins une fois par an - seraient associées des réunions périodiques de hauts fonctionnaires chargés de préparer les consultations et d'en assurer le suivi;
    • un calendrier des conférences-bilans, convoquées tous les deux ans et destinées à évaluer le chemin parcouru vers la réalisation d'une Europe entière et libre;
    • un secrétariat léger, qui coordonnerait ces réunions et conférences;
    • un mécanisme de contrôle des élections dans tous les pays membres, établi sur la base du Document de Copenhague;
    • un centre pour la prévention des conflits, qui pourrait fournir un cadre pour des échanges d'informations militaires, pour l'examen d'activités militaires inhabituelles et pour le règlement, par la conciliation, des différends entre Etats membres;
    • un organe parlementaire - l'Assemblée de l'Europe - à établir sur le modèle de l'actuelle assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à Strasbourg, avec représentation de tous les Etats membres.

    Le lieu d'implantation de ces institutions devrait être choisi de façon à bien marquer que les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale font partie des structures politiques de l'Europe nouvelle.

  23. Aujourd'hui, notre Alliance amorce une profonde transformation. De concert avec tous les pays d'Europe, nous sommes déterminés à créer un état de paix durable sur ce continent.