Les femmes afghanes se forgent une carrière dans un monde dominé par les hommes

  • 08 Mar. 2011 -
  • |
  • Mis à jour le: 18 Mar. 2011 13:54

Sous une tente sombre, dans une ruelle crasseuse de Kaboul, Nos, mère de quatre enfants, correctement vêtue, alimente un scie industrielle en planches de bois. Elle marque souvent un temps d’arrêt pour réajuster son hijab et enlever la poussière de ses yeux. Autour d’elle, d’autres femmes afghanes scient, poncent et polissent des meubles, des jouets et des objets de décoration, travail qui leur permet à peine de gagner quelque quatre dollars par mois pour contribuer à la vie du ménage.

One female student prepares a varnished child's rocking horse for sale to a local trader.

Il ne s’agit pas d’un atelier dans lequel la main-d’œuvre est exploitée mais d’une entreprise commerciale créée pour former les femmes de la capitale à exercer un « métier d’homme ». L’instigatrice de ce projet est Fatema Akbari, une veuve afghane qui a été contrainte de trouver du travail sur des chantiers iraniens lorsque son mari est décédé il y a douze ans. Elle est rentrée au pays pour transmettre le savoir-faire qu’elle avait acquis en menuiserie à d’autres femmes victimes de trente ans de guerre afghane. Au nombre de douze environ, les femmes travaillant à l’intérieur ou a l’extérieur de la tente couverte de neige, qui est le seul endroit où elles peuvent s’abriter de la froideur de l’hiver à Kaboul, disent qu’elles ont le sentiment d’être privilégiées parce qu’elles peuvent apprendre un métier.

« Nous apprécions vraiment ce travail, » déclare Salima avec enthousiasme, alors qu’elle et une collègue, enfoncées dans une boue épaisse jusqu’aux chevilles, tracent des dessins compliqués au crayon sur une planche de bois destinée à la scierie de Nos. « Ce travail est intéressant et avec le salaire qu’il me procure, je peux scolariser mes cinq enfants et, un jour, ce sont eux qui pourront m’aider » déclare-t-elle.

Le mari de Salima a perdu une jambe et une main au combat et ne peut plus travailler et, de ce fait, c’est elle qui assure toute la responsabilité financière de la famille. Elle hausse les épaules en exposant la situation, comme si elle était banale. Elle sait que les femmes qui travaillent à ses côtés doivent relever des défis tout aussi grands. La vie est difficile en Afghanistan.

Une autre femme dénommée elle aussi Fatema, qui est vêtue de noir de la tête aux pieds et se trouve en face de Salima, ponce une chaise dans le but de gagner de l’argent pour rembourser les usuriers auprès desquels elle a été contrainte d’emprunter lorsque son mari a été tué par les talibans. « Comme nous n’avions rien dans la maison, il a dû sortir » explique-t-elle. « Il descendait la rue quand les talibans on lancé des roquettes sur les civils. Il a été soufflé. Son corps est resté trois jours dans la rue car il aurait été risqué de vouloir le récupérer. »

Fatema s’est donc trouvée seule avec quatre enfants à nourrir, sans pouvoir compter sur l’aide de qui que ce soit.

En Afghanistan, il est courant que les veuves soient rejetées et doivent se débrouiller seules à la mort de leur mari. Beaucoup d’entre elles finissent comme mendiantes dans la rue.

Fatema a quitté sa maison de Bamiyan pour Kaboul. « Je ne sais pas comment nous avons survécu » dit-elle. Lorsqu’on lui demande ce que pensent ses enfants de son travail de menuisier, elle répond qu’ils n’y pensent pas du tout. « Leur seule préoccupation est de savoir s’ils mangeront à leur faim tous les jours. »

L’école de menuiserie est une bouée de sauvetage pour des femmes comme Fatema. Elles font deux heures de marche chaque jour pour s’y rendre sans garantie de recevoir quelque argent à la fin du mois. « Si nous vendons une table ou un jouet, nous recevons de l’argent ; dans le cas contraire, nous ne percevons aucun salaire, » déclare une autre femme.

Ce sont les ouvrières qui, avec l’aide du fondateur de l’école, doivent établir des contacts commerciaux de manière à écouler leur production. Leur savoir-faire contribue à leur réputation et des commerciaux se fraient un chemin vers leur réserve pour acheter leurs marchandises.

Fatema Akbari, 45 ans, voyage dans son pays et à l’étranger pour faire connaître son entreprise, à la recherche de clients et de capitaux. À Kaboul, elle participe à des déjeuners de femmes d’affaires de manière à établir des contacts. « Nous manquons de matériel, » explique-t-elle, entourée de dizaines d’autres femmes afghanes qui n’ont de cesse d’imprégner leur marque sur le monde des affaires dans la capitale. « Nous ne pouvons pas investir davantage dans les affaires parce que les travailleuses ont besoin d’argent pour vivre et, de ce fait, il est fréquent que nous ne puissions pas acheter de quoi fabriquer nos produits, » dit-elle. « J’ai même envisagé de les envoyer dans les rues de Kaboul récupérer des matières à recycler. »

Les matières premières peuvent se mettre à manquer mais le nombre d’étudiantes potentielles ne diminue pas. « Nous ne refusons personne, » dit Fatema Akbari. « Nous sommes là pour aider les plus pauvres. »

Étant donné que les femmes ne peuvent certainement pas confier leurs enfants à une gardienne pendant leurs heures de travail, leur entreprise a ouvert une salle de classe. « Le nombre d’enfants est tel que nous devons organiser deux séances de classe, » s’exclame Fatema. « une le matin et une autre l’après-midi. »

Certains enfants viennent même apprendre le travail de menuiserie. Pour Hortena, âgée de 13 ans, c’est le job de vacances par excellence : « Je viens ici pour apprendre quelque chose, pas pour gagner de l’argent, » dit-elle en ponçant avec zèle les pieds d’une table. Mais certains enfants de sa classe déclarent avec force que la menuiserie n’est pas faite pour eux. « Je ne veux pas apprendre ce métier, » dit un garçon de 10 ans. « Je serai médecin. » « Moi aussi, » dit son copain. Une fille du même âge admet timidement qu’elle veut devenir pilote de ligne.

« Ceci n’est que le début de ma tâche, » déclare Fatema Akbari. « Je veux être active dans les 34 provinces d’Afghanistan. Nous comptons cinq implantations à ce jour, dont l’une se trouve même dans la province du Helmand. Mais je veux m’implanter dans tout le pays et aider les gens à se prendre en charge. »