Rencontre avec la lieutenant-colonel Annukka Ylivaara, ancienne chef du bataillon finlandais Jaeger spécialisé dans le combat urbain
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En mai 2022, quelques jours à peine avant que la Finlande envoie sa demande d’adhésion à l’OTAN, la lieutenant-colonel Annukka Ylivaara prenait le commandement du bataillon Jaeger d’Uusimaa, l’unité d’élite de l’armée finlandaise spécialisée dans l’entraînement aux opérations de combat urbain. Aujourd’hui en poste au ministère finlandais de la Défense, elle s’occupe de coordonner l’état de préparation du pays dans le domaine de la sécurité au sens large. Comment son engagement militaire a-t-il débuté ? Et que signifie pour elle l’adhésion de son pays à l’OTAN ?
Annukka Ylivaara dans la zone de tir et d’entraînement de Rovajärvi (Laponie), en novembre 2023
L’engagement militaire de la lieutenant-colonel Ylivaara
Annukka est née à Sodankylä, en Laponie. Ses parents ont servi tous les deux dans les forces de défense finlandaises : sa mère était civile et son père soldat de métier. En 1999, inspirée par leur exemple, elle a décidé de faire son service militaire (en Finlande, il est basé sur le volontariat pour les femmes mais obligatoire pour les hommes). Alors qu’elle effectuait son service, jalonné de toute une série d’entraînements au combat et de formations à la survie aux côtés d’autres jeunes de tout le pays, Annukka a décidé de postuler à l’académie militaire pour devenir soldat de métier.
« Une carrière d’officier m’a semblé intéressante et utile au bien commun », explique-t-elle. « Cela comporte aussi des rotations, ce qui garantit des changements réguliers d’affectations, autant d’occasions d’évoluer et de se lancer des défis. »

Annukka Ylivaara dans la zone de garnison du bataillon Jaeger d’Uusimaa, au « Guard Jaeger Regiment »
Affronter le froid de l’Arctique
Annukka a commencé sa carrière militaire par son service volontaire dans la brigade Jaeger de Sodankylä, qui est spécialisée dans l’entraînement opérationnel des forces militaires en climat arctique et dans des conditions météorologiques difficiles. Ayant grandi dans la région de Finlande la plus au nord, elle a développé très tôt une passion pour la chasse, le ski de fond et d’autres sports d’hiver. Ces hobbies l’ont aidée à se préparer au premier chapitre de sa carrière, où elle a passé de nombreuses journées à l’extérieur, en pleine nature finlandaise.
« L’idée très répandue selon laquelle l’entraînement en climat arctique est réservé aux “plus résistants” n’est en fait qu’une légende », déclare-t-elle. « Ayant effectué mon service militaire volontaire en Laponie, je savais très bien comment opérer dans des conditions arctiques avant même d’entamer ma carrière professionnelle, mais je pense que tout le monde est capable d’y survivre. Il suffit d’être bien formé et bien préparé. »
Dans le nord de la Finlande, les températures extrêmement froides sont courantes et, dès qu’elles passent sous la barre des –30 °C, des précautions particulières doivent être prises à la fois pour les personnels et pour les équipements.
« Il faut superposer les couches de vêtements, éviter de transpirer et faire attention à soi-même et aux autres soldats pour prévenir les engelures », explique la lieutenant-colonel Ylivaara.
Elle se souvient avec amusement de la première nuit qu’elle a passée dehors, sous tente, lors de son entraînement.
« Cette nuit de janvier 1999, la température a chuté sous les –45 °C. Malgré le froid, nos instructeurs ont finalement décidé que nous passerions la nuit sous tente, mais à proximité de notre zone de garnison. Au milieu de la nuit, ils nous ont tous réveillés pour s’assurer que nous allions bien. C’était une sacrée expérience après seulement quelques semaines de service ! »
Jaeger un jour, Jaeger toujours
Après son entraînement aux opérations par temps froid, la lieutenant-colonel Ylivaara a occupé différents postes – notamment ceux de chef de l’équipe de sécurité nationale à la Force intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL) et d’aide de camp auprès du commandant des forces de défense finlandaises – avant de revenir à ses racines de Jaeger. À la tête du bataillon Jaeger d’Uusimaa, elle a dirigé l’entraînement au combat urbain pour pas moins de 650 militaires, afin d’assurer la préparation opérationnelle de l’armée finlandaise dans cette zone d’importance vitale.
Bien qu’ils opèrent sur des terrains différents, les bataillons de Laponie et d’Uusimaa perpétuent tous deux l’héritage des Jaeger finlandais. Les premières de ces unités ont été constituées à l’issue de la Première Guerre mondiale et elles ont joué un rôle clé dans le développement des forces finlandaises. Après la guerre, les Jaeger ont patrouillé dans une vaste zone frontalière avec la Russie. Leurs méthodes traditionnelles et leurs principes sont toujours bien ancrés au sein des unités d’entraînement qui leur succèdent aujourd’hui.
« Comme à l’époque des premières unités, les tactiques de toutes les unités Jaeger actuelles tirent parti du terrain et des points forts de l’unité, tels que l’activité, la manœuvrabilité et la connaissance des lieux », explique la lieutenant-colonel Ylivaara. « Cela vaut aussi bien en milieu urbain qu’en forêt », ajoute-t-elle.
Son entraînement au combat urbain lui a appris que le principal défi résidait dans la nature tridimensionnelle de l’espace de bataille. En effet, les combats ont lieu non seulement au niveau du sol et dans l’espace aérien, mais aussi à l’intérieur de bâtiments, dans des sous-sols et sur des toits – le tout dans des conditions de luminosité variables.
« Le terrain urbain donne l’avantage à la défense car les bâtiments offrent une meilleure protection », explique-t-elle. « En milieu urbain, l’attaquant a besoin de plus de troupes qu’en forêt. »

La lieutenant-colonel Ylivaara passe en revue le bataillon Jaeger d’Uusimaa lors d’une parade à l’occasion de l’anniversaire du bataillon, en 2024
À la tête d’un bataillon
En mai 2022, la lieutenant-colonel Ylivaara est devenue la première femme chef de bataillon dans l’armée finlandaise. À la tête du bataillon Jaeger d’Uusimaa, elle était chargée non seulement d’entraîner des troupes très diverses – depuis les militaires professionnels jusqu’aux réservistes, en passant par les appelés et les volontaires dont elle avait fait partie – mais aussi d’assurer la préparation opérationnelle du bataillon. Elle a dirigé la planification opérationnelle du temps de guerre et supervisé les principaux exercices du bataillon, ainsi que d’autres de ses activités.
« Il n’y a pas de journée type pour un chef de bataillon », explique-t-elle. « Il faut tout planifier très soigneusement, mais aussi pouvoir intégrer des changements très rapidement en fonction des informations reçues. C’est ce que j’ai trouvé intéressant dans ce poste. »

Cérémonie d’adhésion de la Finlande à l’OTAN, Bruxelles (Belgique), le 4 avril 2023
Faire front ensemble pour assurer la défense et la sécurité
Le 18 mai 2022, alors que la lieutenant-colonel Ylivaara venait juste de prendre ses fonctions, la Finlande et la Suède déposaient simultanément leur demande d’adhésion à l’OTAN. La Finlande a rejoint l’Alliance moins d’un an plus tard, le 4 avril 2023 (suivie de la Suède le 7 mars 2024).
« L’ensemble du processus a été très rapide – notamment notre processus politique de demande d’adhésion et de ratification », se souvient-elle. « J’ai d’abord été surprise de la rapidité et la fluidité de tous ces événements. Je pense qu’il n’est pas exagéré de dire que le consensus national concernant l’adhésion a été obtenu en un temps record. »
Actuellement, la lieutenant-colonel Ylivaara occupe au ministère finlandais de la Défense le poste de secrétaire générale adjointe du Comité de sécurité, un organe d’harmonisation qui coordonne de manière proactive la préparation nécessaire pour assurer la sécurité au sens large. Elle estime que la Finlande contribue à la sécurité de l’Alliance et continuera à y contribuer, grâce à son expérience et à ses éclairages particuliers, car il s’agit du pays Allié qui partage la plus longue frontière avec la Russie.
« Nous avons toujours assuré et développé notre défense nationale, et nous avons de précieux enseignements à partager avec les autres pays de l’Alliance. Je suis aussi convaincue que nous avons beaucoup à apprendre de nos Alliés. L’adhésion de la Finlande à l’OTAN signifie que nous ne sommes pas seuls, mais unis pour la défense et la sécurité communes. »