Entretien avec la sergent-chef Violeta Nikonovė, parachutiste comptant plus de 5 000 sauts à son actif
En 1985, à 15 ans, Violeta Nikonovė sautait d'un avion pour la première fois. Sept ans plus tard, elle était recrutée comme parachutiste dans les forces armées lituaniennes. Aujourd'hui, près de 40 ans et 5 000 sauts plus tard, la sergent-chef Nikonovė est instructrice en chef à l’école des troupes aéroportées de l’armée lituanienne. Elle nous parle de son expérience en tant que « Parachute Master » et nous explique ce qu'elle aime dans le fait de former la prochaine génération de parachutistes.
Toutes les photos © Sergent-chef Violeta Nikonovė
Au départ, le parachutisme était un hobby pour Violeta, une passion dans laquelle elle s’est littéralement jetée à corps perdu. Quand elle a rejoint l’unité aéroportée de la brigade de combat de l’armée de terre lituanienne en 1992, elle avait déjà mille sauts à son actif, ce qui représentait pas moins de 142 sauts par an. Grâce à ce solide bagage, elle s’est vu attribuer le titre honorifique de « Parachute Master » peu de temps après son entrée dans l’armée. Cette passion découverte à l’âge de 15 ans, Violeta en a fait son métier.
Ayant intégré les forces armées lituaniennes en 1990, soit deux ans à peine après que le retour à l’indépendance, la sergent-chef Nikonovė a participé au processus historique qui a conduit son pays à devenir membre de l’OTAN en 2004. Ainsi, au cours de sa carrière, elle a été amenée à moderniser les régiments parachutistes pour qu'ils répondent aux normes OTAN et à contribuer au développement de l’école des troupes aéroportées.
Cette école, où elle travaille actuellement, ne se limite plus uniquement à la formation des forces armées lituaniennes — viennent également s'y entraîner des soldats de pays partenaires de l’OTAN, tels que l’Arménie, la Géorgie, le Kazakhstan, la République de Moldova et l’Ukraine. Par son ardeur infatigable, Violeta a joué un rôle déterminant dans la formation et l’encadrement de plusieurs générations de soldats lituaniens et de militaires venus de pays partenaires.
Pourquoi avoir voulu devenir parachutiste ? Quand avez-vous commencé et comment s’est passé votre premier saut ?
Mon frère était parachutiste amateur et m’a invitée à rejoindre son club quand j’avais 15 ans. J’ai passé trois mois à étudier la théorie et d’autres aspects du parachutisme et puis, au printemps de cette année-là, il m’a accompagnée pour mon premier saut. Je m’en souviens très bien. Au moment du décollage, mes jambes tremblaient, puis mon frère m’a fait signe qu’il était temps d'y aller. C’était extrêmement grisant, mais c’était aussi assez difficile parce qu’il y avait beaucoup de vent ce jour-là et que, étant très légère, j’ai été déportée et j'ai fini par atterrir dans une ferme.
Avez-vous su tout de suite que vous auriez envie de recommencer ?
Oh oui ! Malgré le stress au moment du décollage, j’ai tout de suite voulu remonter dans l’avion. Ce jour-là, je n’ai sauté qu'une fois, mais j’ai effectué mon deuxième saut dès le lendemain. Celui-là m’effrayait davantage, mais mon frère et d’autres membres du club m’ont encouragée à y aller. Pour ce deuxième saut, j’ai eu beaucoup de mal à décrocher mon parachute après avoir touché terre et j’ai été traînée sur le sol pendant un long moment avant que mon frère n’arrive pour m’aider.
Depuis ce deuxième saut, vous avez fait du chemin. Quel entraînement physique faut-il suivre pour devenir parachutiste ? Quelles sont les compétences les plus importantes à avoir ?
Il faut suivre un entraînement physique complet. Pour être un bon ou une bonne parachutiste, il faut avoir un dos et des épaules solides et des bras et des jambes assez musclés pour pouvoir faire plus d'un saut par jour.
Pouvez-vous expliquer ce qu’est un saut en parachute à « ouverture automatique » ? Quelle différence avec le saut en chute libre ?
Il s’agit d'un parachute hémisphérique dont la voilure s’ouvre automatiquement à une altitude prédéfinie. Cela limite le risque d’erreur humaine et rend le saut plus sûr pour les soldats. Les parachutistes qui veulent se perfectionner peuvent suivre une formation à la chute libre dans notre école et apprendre à ouvrir leur parachute manuellement. Chaque année, nous formons environ 200 parachutistes au saut en ouverture automatique et une vingtaine au saut en chute libre. Ça en fait du monde, en 30 ans !
Vous avez plus de 5 000 sauts au compteur. Y en a-t-il qui se sont mal passés ?
Oui, parfois, tout ne se passe pas comme prévu. Il m’est arrivé trois fois de devoir déployer mon parachute de secours parce que mon parachute principal ne s’était pas bien ouvert. J’ai aussi vécu deux atterrissages particulièrement rudes, auxquels je dois les deux vis que j’ai dans le genou.
Qu’avez-vous ressenti quand vous avez dû ouvrir votre parachute de secours pour la première fois ? Après un saut comme celui-là, ou après vos atterrissages difficiles, avez-vous eu envie de faire une pause ?
La première fois que j’ai dû utiliser mon parachute de secours, j’avais déjà réalisé 800 sauts. J’ai dû décrocher mon parachute principal, qui s’était mal ouvert, et déployer le ventral. Je savais quoi faire, mais au moment de l'ouvrir j’étais évidemment un peu stressée. J’ai fait très attention à chacun de mes gestes car le parachute de secours est notre seul filet de sécurité. Malgré ça, j’ai encore sauté deux fois ce jour-là. Le stress est retombé quand, après analyse, il est apparu que j’avais fait tout ce qu’il fallait. En fin de compte, ce fut une expérience plutôt positive.
Il faut être assez intrépide pour être parachutiste, on dirait... Avez-vous des phobies ou des peurs ?
J’ai toujours eu peur du sang. À sa simple vue, je pouvais m’évanouir. Toutefois, grâce à l’armée, j’ai eu la possibilité de suivre une formation paramédicale, que j’ai réussie. En plus d’être instructrice, je suis donc aussi auxiliaire médicale. Depuis lors, la vue du sang ne me fait plus rien ! Par ailleurs, alors même que le saut en parachute ne m’a jamais fait peur, la plongée sous-marine me terrifiait. Cependant, grâce à mon expérience dans l’armée, j’ai également suivi plusieurs formations et j'ai plongé à trois reprises avec nos plongeurs de combat. Les phobies, c’est dans la tête, et je suis convaincue qu'on peut réussir à les surmonter petit à petit.
Vous avez effectué 5 000 sauts. Combien de sauts par an cela représente-t-il ? Comment avez-vous atteint ce chiffre impressionnant ?
Il existe des compétitions de parachutisme, et il se trouve que j’ai été membre de l’équipe nationale et que j’ai participé à divers championnats du monde. À cette époque, je sautais beaucoup plus que d'habitude. Je faisais entre 200 et 300 sauts par an.
Pendant combien de temps avez-vous fait partie de l’équipe nationale lituanienne ? Avez-vous remporté des compétitions à titre individuel ou en équipe ?
Je suis restée dans l’équipe pendant une vingtaine d’années. J’ai remporté plusieurs fois le titre de championne de Lituanie, et j’ai également concouru dans la catégorie masculine car j’étais la seule femme à pratiquer le parachutisme professionnellement dans le cadre d'une carrière militaire. J’ai également fait des championnats en équipe, et nous avons remporté de nombreux titres ! Si nombreux que j’ai perdu le compte !
Comment fête-t-on son 5 000e saut ?
Généralement, on fait un petit quelque chose tous les mille sauts. Au millième saut, par exemple, on fait traditionnellement un vol relatif : on saute en chute libre à plusieurs et on se rejoint à mi-altitude pour faire une figure en se tenant les mains et les jambes.
Mon 5 000e saut était pour le travail – je formais un soldat –, mais après, mes collègues et moi avons fêté ça au sauna puis autour d'un bon repas. C’était très sympa !
L'école des troupes aéroportées forme des parachutistes de pays partenaires de l’OTAN. Est-ce que vous coopérez également avec des soldats d’autres pays de l’Alliance ?
Je participe à des sessions d'entraînement avec des soldats de pays de l’OTAN, et je les conseille en cas de besoin. Nous participons également à des conférences internationales, où l'on découvre les dernières innovations et où l’on peut échanger sur nos expériences et les difficultés que nous rencontrons. Nous coopérons également avec des parachutistes civils.
Qu’est-ce qui est le plus gratifiant dans votre métier ?
J’adore le fait de pouvoir partager ma passion et mon expérience avec les autres. J’ai eu la grande chance de pouvoir développer mes compétences, ce qui m’a permis de partager mes connaissances avec des parachutistes moins expérimentés, et d’apprendre de ceux qui avaient encore plus d’expérience que moi. C’est très gratifiant de voir les gens évoluer grâce au parachutisme et j’aime voir les débutants progresser petit à petit, apprendre à réagir dans des situations extrêmes et devenir plus forts, physiquement et mentalement. Pour beaucoup d’élèves comme pour moi, la pratique du parachutisme est un cadeau précieux, qui fait partie non seulement de notre carrière militaire, mais aussi de notre vie.
Deux nouveaux instructeurs ont récemment rejoint notre école : ce sont deux anciens élèves, que nous avons formés dès leur tout premier saut. Avoir pu les suivre tout au long de leur parcours, de leur premier saut jusqu’à l’obtention de leur brevet d'instructeur, me rend très fière de faire partie des forces armées lituaniennes et c’est très valorisant, tant sur le plan personnel que professionnel.