À la rencontre de la lieutenante-colonelle Lauranne, conseillère chargée d’intégrer la dimension de genre dans les activités de commandement de l’OTAN
Militaire de l’armée de Terre française, la lieutenante-colonelle (LCL) Lauranne est actuellement la conseillère pour les questions de genre auprès du Commandement Allié Transformation (ACT) à Norfolk, en Virginie (États-Unis), où elle aide les commandants et le personnel à intégrer la dimension de genre dans l’ensemble des travaux et projets du commandement de l’OTAN. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Comment est-elle devenue conseillère pour les questions de genre ? Quelles sont les initiatives les plus gratifiantes et les plus stimulantes auxquelles la LCL Lauranne a contribué, et en quoi ont-elles fait progresser l’égalité des genres ?
© État-major des Armées / France
Devenir conseillère pour les questions de genre
La LCL Lauranne a su dès l’âge de six ans qu’elle voulait devenir militaire. Issue d’une famille sans lien avec l’armée, elle grandit en Alsace-Lorraine (aujourd’hui un territoire du « Grand Est »), une région de l’est de la France qui porte encore les stigmates de la Première Guerre mondiale, ce qui n’est pas étranger à sa décision de servir son pays et d’aider à protéger ses compatriotes des affres de la guerre.
« Je me souviens très bien de la première fois que mes parents m’ont fait visiter Verdun, où s’est déroulée une bataille décisive de la Première Guerre mondiale, et de ce que j’ai ressenti lors de la visite du musée ainsi qu’à la vue des monuments et des immenses cimetières qu’abrite le site. Nous avons parcouru les bois environnants, encore criblés de cratères d’obus. Il n’était pas rare, à l’époque, de trouver des balles, des grenades ou des débris d’équipements militaires. Cette visite m’a fait prendre conscience qu’il fallait tout faire pour éviter le retour de la guerre, et que j’avais un rôle à jouer à cet égard. »
Cependant, son accession au métier de militaire n’a pas été des plus simples. La LCL Lauranne a dû surmonter deux obstacles : des problèmes de vue et le préjugé selon lequel les femmes ne sont pas faites pour servir dans l’armée. « Enfant, je voulais devenir pilote de chasse, mais mon ophtalmologue m’avait dit que cela serait impossible, parce que ma vue n’était pas parfaite et parce que j’étais une fille », se rappelle-t-elle. Elle a accepté le fait que sa mauvaise vue signait la fin de son rêve d’enfant, sans pour autant renoncer à son ambition d’intégrer l’armée. « Le fait de m’entendre dire que je ne pouvais pas exercer le métier de mon choix car j’étais une femme m’a donné la volonté et la force de ne pas accepter cette situation et de prouver que j’étais capable de faire ce que j’avais décidé. »
Après avoir fait ses premiers pas dans le milieu militaire à l’âge de 17 ans, la LCL Lauranne rejoint finalement l’armée de Terre française et exerce diverses fonctions au sein de l’Arme du Matériel : d’abord chef de section de réparation, elle devient ensuite officier adjoint puis commandant de compagnie de maintenance. En 2019, alors qu’elle est déployée au sein du contingent français de la Force Intérimaire des Nations Unies au Liban (FINUL), elle opère pour la première fois dans le cadre de la coopération civilo-militaire (CIMIC) afin d’être en contact plus étroit avec la population civile. Elle découvre alors les besoins spécifiques aux femmes et aux jeunes filles dans le cadre d’un conflit ou d’une opération militaire, et se passionne pour la dimension de genre. « Après avoir été nommée point de liaison pour les questions de genre de mon bataillon, j’ai suivi une journée de formation sur place. Ce fut une vraie prise de conscience et j’ai été immédiatement convaincue de l’importance de tenir compte de la dimension de genre, de mettre en œuvre le programme pour les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que de prévenir et combattre la violence sexuelle liée aux conflits », explique la LCL Lauranne. « Dès lors, j’ai compris que je ne pourrais plus jamais ignorer ces considérations et que je devais mettre en pratique ces enseignements. J’ai voulu en savoir plus encore, et agir concrètement. »
Un exemple pour la prochaine génération
Au cours de son dernier déploiement auprès de la FINUL dans le Sud-Liban en 2019, la LCL Lauranne décide de lancer, à l’intention des femmes, un programme de formation élémentaire aux premiers secours pour permettre aux participantes de parer aux divers types de blessures et d’incidents qu’elles et les membres de leur famille pourraient rencontrer. « Je voulais vraiment trouver une compétence particulièrement utile et intéressante que l’on pourrait aider à développer au bénéfice des femmes de la région », indique la LCL Lauranne. « En analysant l’environnement, j’ai remarqué que, de manière générale, le Liban disposait de très bons hôpitaux, mais que les services d’urgence médicale dans le sud manquaient de ressources et qu’ils tardaient donc à arriver en cas de besoin. Chez les militaires, on sait que les premiers secours sont d’une importance vitale. Voilà pourquoi j’ai décidé de lancer ce programme de renforcement des capacités au profit des femmes. »
La LCL Lauranne à la tête de sa compagnie de maintenance dans le cadre de la FINUL ©État-major des armées / France
En 2021, la LCL Lauranne est sélectionnée, par le ministère français chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances, pour l’octroi de la « médaille de l’égalité ». Il s’agit d’une récompense remise au titre de l’initiative française dite des #1000 possibles, laquelle vise à mettre à l’honneur 18 associations françaises soutenant des projets en faveur de l’égalité des genres, ainsi que 18 femmes – une par région – qui se sont révélées être des exemples à suivre et des héroïnes du quotidien. Dans le cadre de cette initiative, il a par ailleurs été demandé à plus de 80 femmes inspirantes – célèbres ou inconnues – d’écrire une lettre porteuse d’espoir et d’encouragement aux petites filles nées cette année-là en France le 8 mars, qui marque la journée internationale des droits des femmes. « Écrire cette lettre a été un grand moment d’émotion ! Même si je sais que bien d’autres femmes méritaient aussi la récompense que j’ai reçue, j’ai été très fière et heureuse de partager mon histoire et de représenter celles qui servent sous les drapeaux. En travaillant sur les questions de genre dans les opérations militaires, j’ai compris que beaucoup de femmes dans le monde n’avaient pas la chance de faire entendre leur voix, et j’ai donc décidé que, dorénavant, je saisirais toutes les occasions de m’exprimer. »
Contribution des conseillères et conseillers pour les questions de genre à la paix, à la sécurité et à la stabilité
Dans le cadre de diverses activités professionnelles et formations, comme le stage OTAN destiné aux conseillers pour les questions de genre, dispensé au Centre nordique pour les questions de genre dans les opérations militaires (implanté en Suède), la LCL Lauranne a fait de sa passion son travail quotidien. En 2021, elle devient conseillère pour les questions de genre au Commandement Allié Transformation (ACT), le commandement OTAN chargé de développer les capacités de combat et de piloter l’adaptation militaire de l’Alliance en prévision des défis et opérations de demain. À ce titre, son rôle consiste notamment à s’assurer que la dimension de genre est prise en considération dans tous les travaux d’ACT. Cela implique d’identifier les différents vécus et besoins des femmes, des hommes, des jeunes filles et des garçons, d’en tenir compte et de les intégrer dans tous les processus de prise de décision et de planification. Par ailleurs, la LCL Lauranne coordonne la mise en œuvre du programme pour les femmes, la paix et la sécurité, ainsi que des politiques de lutte contre l’exploitation et les abus sexuels et contre la violence sexuelle liée aux conflits, entre autres. « L’intégration de la dimension de genre dans les opérations et les activités militaires est essentielle pour plusieurs raisons », explique-t-elle. « Elle nous permet notamment de mieux comprendre la dynamique des conflits, de renforcer la sensibilisation aux spécificités culturelles et l’interaction avec la population locale dans son ensemble, de mieux protéger ou d’épargner le plus possible les civils, en particulier les plus vulnérables, témoignant de notre attachement aux droits humains et à l’égalité des genres. Sur le long terme, l’égalité des genres contribue à la stabilité et à la paix.« »
La LCL Lauranne (quatrième en partant de la gauche) dans les locaux de l’ACT à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes 2022. ©Commandement Allié Transformation (ACT)
Évoquant un projet dont elle est particulièrement fière, la LCL Lauranne présente AzuritOwl, une initiative en cours, porteuse d’innovation et liée à la thématique de l’édition 2023 de la Journée internationale des droits des femmes : « Innovation et technologies pour l’égalité des genres ». « Dans le cadre de la transformation numérique de l’OTAN, le projet AzuritOwl doit permettre d’exploiter les technologies afin de développer une solution qui pourrait non seulement faciliter mais également renforcer et enrichir le processus d’analyse comparative entre les sexes, et contribuer à mieux intégrer la dimension de genre dans tous les aspects des opérations militaires. Cet outil aiderait donc à mieux comprendre les situations opérationnelles, à éclairer la prise de décision et la planification des opérations, et ainsi à accroître l’efficacité militaire, sans perdre de vue l’intégration des politiques d’égalité hommes-femmes. »
Être aux commandes
En tant que femme avec des responsabilités de commandement, la LCL Lauranne n’hésite pas à évoquer le fait que les femmes et les hommes peuvent être perçus différemment dans les forces armées. « De manière générale, j’ai l’impression que, chez les militaires, on accorde plus naturellement son respect et sa confiance à des hommes. Nos pairs masculins peuvent bien sûr perdre leur crédibilité s’ils commettent plusieurs petites erreurs ou une faute grave, mais j’ai toujours eu le sentiment qu’en tant que femme, je pouvais perdre la mienne plus rapidement et plus facilement, et ce pour différentes raisons, et qu’au moindre faux pas, je prêterais le flanc à des généralisations sur l’inaptitude des femmes à bien commander. Du coup, je me mets en permanence une certaine pression pour toujours faire de mon mieux ! »
Quels sont les changements que la LCL Lauranne voudrait voir en matière d’égalité des genres ? « J’aimerais que cette question vienne naturellement à l’esprit, qu’elle soit systématiquement prise en compte, et qu’il ne faille pas constamment en rappeler le besoin. Ce serait un énorme progrès si, dans les sociétés du monde entier, les pouvoirs et les responsabilités étaient plus équitablement partagés entre les femmes et les hommes, et si toutes les personnes étaient traitées de la même manière, libres et protégées, indépendamment de leur genre. »