L’IA au service des traducteurs : rencontre avec Audrey Possemiers

  • 29 Sep. 2023 -
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  • Mis à jour le: 03 Oct. 2023 14:36

Audrey Possemiers est coordonnatrice TAO (traduction assistée par ordinateur) au sein du Service Traduction du siège de l’OTAN. Cette Belge originaire de la province de Liège aide ses collègues traducteurs à tirer parti des technologies de traduction les plus récentes et elle s’emploie à faire en sorte que l’intelligence artificielle (IA) leur soit la plus utile possible.

Audrey Possemiers is a computer-assisted translation (CAT) coordinator in the Translation Service at NATO Headquarters.

Sa vie de coordonnatrice TAO

Audrey s’est intéressée très jeune aux cultures et aux langues étrangères et s’est donc tout naturellement dirigée vers un cursus universitaire en traduction et communication multilingue. Elle envisageait d’être traductrice, mais a très vite compris que les nouvelles technologies faisaient évoluer le métier.

« Lorsque j’ai commencé mes études, mes parents me disaient qu’un jour, les machines traduiraient à notre place », indique Audrey, avant d'ajouter : « Je peux dire maintenant que cela n’est pas totalement vrai. Certes, l’environnement traductionnel change, mais de nouvelles opportunités professionnelles voient le jour. C’est d'ailleurs aux technologies que je dois de travailler ici aujourd'hui ».

Les traducteurs de l’OTAN sont recrutés pour leur aptitude à établir avec soin un texte qui reflète fidèlement l’intention de l’original, sans perdre de vue les sensibilités liées aux divers travaux de l’Alliance. Pour cela, ils utilisent de nombreux outils d'aide à la traduction, qui font notamment appel à des mémoires de traduction et à des bases de données terminologiques. Le Service Traduction s’apprête aujourd’hui à déployer l’IA, tout d'abord pour les deux langues officielles de l’Alliance (anglais et français) puis, prochainement, pour d'autres combinaisons linguistiques.

Coordonnatrice TAO depuis 2016, Audrey sert d'interface entre les traducteurs et les informaticiens ; elle suit l’évolution, rapide, des technologies et veille à ce que les traducteurs disposent des meilleurs outils pour leur travail. Elle est ainsi le fer de lance de la transformation numérique de la traduction au siège de l’OTAN.

« L’OTAN est une organisation internationale qui promeut le multilinguisme et la diversité », rappelle Audrey, qui ajoute : « La diversité des sujets abordés et la sensibilité des informations traitées rendent passionnant l’environnement professionnel des traducteurs, qui doivent donner le meilleur d’eux-mêmes pour fournir le travail de haute qualité que l’on attend d’eux. Pour toutes ces raisons, l’OTAN est l’endroit idéal où déployer les technologies linguistiques au service des traducteurs afin qu'ils suivent la cadence pour faire ressortir les messages de l’Alliance au-delà des frontières, dans un monde complexe ».

Des origines de la traduction automatique à nos jours

La traduction automatique remonte aux années 1950. À l’époque, les machines traduisaient sur la base de règles : elles « apprenaient » le vocabulaire et la grammaire de diverses langues pour produire des traductions.

« Mais en matière de grammaire, l'on sait qu’il y a autant d’exceptions que de règles. Les machines faisaient donc trop souvent des erreurs qui nuisaient fortement à la qualité des traductions », précise Audrey.

Trente ans plus tard, dans les années 1980, la traduction automatique statistique a vu le jour. Cette technologie reposait sur l’accumulation des données et sur la mémoire toujours plus puissante des ordinateurs pour générer la traduction la plus probable. Il fallait des millions de mots pour l’entraîner dans chaque domaine. Elle donnait de bons résultats pour les textes scientifiques et techniques, mais présentait toutefois de nombreuses failles, étant notamment incapable d’interpréter le langage familier ou artistique.

En 2016 apparaît la « traduction automatique neuronale » (TAN), dernière étape en date de l’évolution des technologies de traduction. Alors que les anciens systèmes produisaient des traductions rudimentaires fondées sur des statistiques et des corpus de données, la TAN s’appuie sur l’IA, plus précisément sur l’apprentissage profond, pour reproduire la manière dont les signaux sont transmis entre les neurones humains.

« La machine prend en charge des phrases complètes et fait des liens entre les mots pour mieux en saisir le sens », explique Audrey.

L’outil segmente les phrases, calcule des probabilités et trouve, pour chacun des mots, l’équivalent le plus correct en langue cible. Ses productions sont ainsi nettement meilleures que celles des anciens systèmes.

La TAN emmagasine des informations basées sur les traductions déjà réalisées, elle s’adapte au contexte, et elle apprend à partir des corrections que les traducteurs apportent à ses propositions.

« Toute organisation peut alimenter la machine avec des textes génériques, mais aussi avec ses propres données. Nous allons ainsi la familiariser avec le style et la terminologie propres à l’OTAN », précise Audrey.

Audrey Possemiers is a computer-assisted translation (CAT) coordinator in the Translation Service at NATO Headquarters.

Pourquoi la traduction automatique ne va pas remplacer les traducteurs

La TAN est capable de traduire rapidement et même d’utiliser des tournures idiomatiques usuelles, et c’est impressionnant. Cependant, même si elle ne cesse de progresser, elle a encore ses limites. La qualité de ses productions est fonction de la qualité des données utilisées pour son entraînement. On a donc encore besoin de bons traducteurs.

Dans les déclarations officielles et les autres documents de l’OTAN, qui engagent tout particulièrement l’image de l’Organisation, l’erreur n’a pas sa place. Or l’IA n’a pas connaissance des sensibilités des uns et des autres, elle ignore le contexte politique et historique dans lequel s’inscrit un texte donné et, surtout, elle méconnaît le non-dit à l’origine de l’emploi de certains termes, adjectifs ou expressions. Chacune de ses traductions devra donc toujours être vérifiée par un traducteur de chair et d’os.

« Comme l’OTAN est une organisation politique, les mots ont pour elle une importance capitale », explique Audrey. « Les termes utilisés dans nos textes ne sont pas choisis au hasard : certains comités peuvent négocier pendant des heures pour trouver le mot parfait, celui qui fera passer le bon message, ne heurtera aucune sensibilité, évitera toute équivoque ou, au contraire, entretiendra une ambiguïté. »

Chevronnés, les traducteurs de l’OTAN ont une expertise toute particulière, qui réside dans leur compréhension des contextes dans lesquels se placent les textes sources ainsi que dans leur connaissance approfondie de l’histoire et du langage particulier de l’Alliance. Le déploiement de la TAN leur permettra de rehausser encore la qualité de leurs traductions et d’en accroître encore la cohérence.

Des langues à la plongée sous-marine

« À mes yeux, l’enjeu de la traduction est d’ouvrir à d’autres cultures. Grâce à elle, des personnes de nationalités et d’horizons divers peuvent se comprendre ; en cela, nous sommes les soldats de la paix par excellence », s’enthousiasme Audrey.

Son intérêt pour les pays et cultures du monde ne s’exprime pas uniquement dans son travail au Service Traduction. Quand elle ne suit pas les dernières tendances concernant les technologies de la langue, elle aime éprouver sa connaissance du français, de l’anglais et de l’espagnol en voyageant sur les cinq continents pour découvrir les plus beaux sites de plongée sous-marine.

« La mer et la vie marine me passionnent. Avant de décrocher ma licence de plongée, j’aimais visiter les aquariums. Aujourd’hui, je peux observer les créatures marines dans leur habitat naturel. J’ai visité de nombreux pays d’Amérique latine ainsi que les États-Unis et la Nouvelle-Zélande. L’endroit que je préfère, c’est le Yucatán, au Mexique, où l’eau est cristalline et où s’étend une très grande barrière de corail. »

Audrey Possemiers is a computer-assisted translation (CAT) coordinator in the Translation Service at NATO Headquarters.

 

Audrey Possemiers is a computer-assisted translation (CAT) coordinator in the Translation Service at NATO Headquarters.