L’OTAN et la science – Radar embarqué sur ballon stratosphérique
Entretien avec le scientifique Marco Martorella
Lieu : Pise (Italie)
Intitulé du projet : Radar à ouverture synthétique embarqué sur ballon stratosphérique (BALSAR)
Description du projet : L'OTAN a un rôle clé à jouer dans la réponse aux situations d'urgence ou dans les secours en cas de catastrophe. Il est alors essentiel d'avoir une vue d'ensemble du site touché pour pouvoir sauver des vies et limiter les dégâts. Jusqu'ici, le seul moyen d'obtenir une image depuis une très haute altitude était l'avion ou le satellite, deux solutions très coûteuses nécessitant des infrastructures. Désormais, les ballons stratosphériques équipés d'un nouveau type de radar vont nous faire gagner du temps et économiser de l'argent et du carburant. Dans cet épisode de « L'OTAN et la science », nous serons à l'Université de Pise, où des chercheurs parrainés par l'OTAN travaillent en partenariat avec l'Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie) et avec le soutien du programme OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité (SPS).
- Le projet de radar embarqué sur ballon stratosphérique (BALSAR) a été lancé en 2017. Depuis, quels sont les principaux enseignements que vous en avez tiré ou les principales avancées que vous avez réalisées ?
Depuis son lancement, nous avons tiré de nombreux enseignements du projet BALSAR, sur lequel nous travaillons en collaboration avec l'Université de Nouvelle-Galles du Sud (UNSW). Nous avons ainsi déjà pu constater que les missions stratosphériques se différencient très fort des missions spatiales (à partir de 100 km d'altitude) et aériennes (moins de 13 000 m d'altitude). Ces différences ont un impact important sur la conception du système car elles requièrent de prêter une attention accue aux conditions environnementales, qui changent radicalement entre le lancement de la plateforme et son arrivée dans la stratosphère. De nombreux engins ne peuvent pas être utilisés car ils ne répondent pas aux exigences liées à de telles variations de température et de pression.
Nous avons néanmoins pu progresser dans notre projet, à tel point que la plateforme et la charge utile ont été assemblées et que nous sommes prêts à intégrer notre système (le radar et la plateforme), ce que nous ferons dès que nous pourrons nous rendre en Australie, d'où le système décollera pour effectuer sa première mission.
- Dans le cadre de ce projet, quels sont les plus grands défis ou obstacles que vous avez surmontés (ou avec lesquels vous êtes toujours aux prises) ?
M. Elias Aboutanios, qui est professeur à l'UNSW (notre partenaire dans ce projet), et moi-même étions pleinement conscients des nombreuses difficultés que notre idée allait soulever. L'un de nos plus grands défis est lié à la dissipation de la chaleur à haute altitude. Dans un environnement où les températures baissent jusqu'à plusieurs dizaines de degrés en dessous de zéro, on pourrait penser que la température élevée de certains composants ne serait pas un problème. En réalité, certains éléments, tels que l'amplificateur de puissance, produisent énormément de chaleur, qui doit être dissipée. En règle générale, le flux d'air généré par des ventilateurs est suffisant pour refroidir ces composants. Le problème est qu'à une altitude aussi élevée, l'épaisseur de l'air est tellement faible (environ 1 % de la pression de l'air au niveau de la mer) que cela ne suffit pas à refroidir l'amplificateur de puissance. Nous avons donc dû adapter notre système pour veiller à ce que la température ne dépasse pas le seuil de sécurité.
- Si un problème survenait en vol, qu'arriverait-il au ballon et à la technologie radar qu'il transporte ?
Plusieurs choses peuvent mal tourner lors d'une mission. Quoi qu'il en soit, le ballon proprement dit est voué à être remplacé puisqu'il ne revient jamais au sol. Les prix du ballon et de l'hélium qui permet de le faire voler font partie des frais de la mission. La charge utile, composée du radar et des appareils qui l'accompagnent (batteries, système de télémesure, poursuite et commande (TT&C), stabilisateur, etc.), est attachée à un parachute, qui la ramène au sol. Si un problème survenait et que le ballon éclatait au cours d'une mission, le parachute s'ouvrirait automatiquement pendant la descente. Le système est équipé d'un GPS et d'un émetteur radio, qui donnent sa position toutes les secondes, ainsi que d'un dispositif de poursuite, qui permet au personnel au sol de le contacter et de le récupérer. Notons au passage que ce système de récupération est utilisé en principe pour toute mission se terminant après réception d'un signal venu du sol, et pas uniquement dans les situations d'urgence.
- En quoi votre parcours professionnel a-t-il été utile pour ce projet ?
Dans mon travail, je m'intéresse essentiellement aux radars et il était nécessaire, pour cette mission, de développer un modèle tout à fait spécifique. Nous avons combiné notre savoir avec celui de l'UNSW, qui avait l'expertise voulue pour la conception de la plateforme (ballon et appareils divers), afin de fabriquer et d'assembler tous les éléments du système BALSAR.
- Comment se déroule la collaboration entre des équipes situées en Italie et en Australie ? Est-ce difficile de gérer la distance et le décalage horaire ?
La distance est forcément un facteur à prendre en compte, car les réunions en présentiel ne sont possibles qu'à de rares occasions (une ou deux fois par an). Il est également difficile d'organiser des réunions virtuelles en raison du décalage horaire, l'une des équipes étant obligée de travailler en dehors de son horaire habituel pour pouvoir y participer. Cependant, le sachant à l'avance, nous avons planifié et réparti le travail afin de pouvoir développer des parties du système de manière indépendante et limiter le plus possible le besoin de coordination. Évidemment, la pandémie de COVID-19 nous a compliqué encore un peu plus la tâche, réduisant à néant notre capacité à nous rencontrer en personne. Actuellement, il nous est impossible d'achever l'intégration du système et d'entreprendre notre premier lancement de ballon stratosphérique.
- En quoi vos travaux et le projet BALSAR contribuent-ils à améliorer la sécurité ?
En temps de paix comme en temps de crise, il nous faut souvent recourir à des capteurs pour obtenir un niveau de connaissance de la situation opérationnelle qui puisse compléter l'image que nous en avons. Parmi ces capteurs, les radars ont l'avantage de pouvoir assurer une détection quelles que soient les conditions climatiques et de luminosité, car ils fonctionnent à des fréquences beaucoup plus basses. Cependant, comme tout capteur, les radars sont limités en termes de visibilité directe et de portée. C'est pourquoi ils sont généralement embarqués sur des plateformes qui peuvent les rapprocher de la zone d'intérêt et la mettre dans leur champ de visibilité. Les plateformes généralement employées pour de telles missions sont les avions, les hélicoptères et les satellites, même si, de nos jours, les drones et autres appareils sans pilote (UAV) sont de plus en plus utilisés. Néanmoins, recourir à des ballons permet de surveiller de vastes zones à moindres frais. Cette technologie peut être utilisée pour élargir la couverture des capteurs et ainsi obtenir pour un faible coût un système de surveillance plus efficace, qui peut servir en temps de paix ou en temps de crise et contribuer, entre autres, au contrôle des frontières et à l'évaluation des dégâts en cas de catastrophe.
- Comment pensez-vous que la technologie issue de ce projet pourrait-être utilisée à l'avenir ?
Cette technologie pourrait contribuer à la surveillance de la mer Méditerranée. Par exemple, la lutte contre la traite des êtres humains et le trafic d'armes et de stupéfiants exige une observation constante de vastes zones maritimes. Un système de radar embarqué sur un ballon serait une solution idéale car il serait lancé depuis un navire en mer avant de s'élever dans la stratosphère, où il commencerait à collecter des données radar et terminerait sa mission après avoir parcouru quelques centaines de kilomètres. Le système serait ainsi capable de couvrir de vastes zones, et les données collectées seraient utilisées pour détecter des objets en mer, en capturer des images et identifier les auteurs d'actes illicites. Un deuxième navire servirait à récupérer la charge utile, réutilisable pour une autre mission. Plusieurs de ces systèmes seraient nécessaires pour garantir une surveillance constante de la zone, et le faible coût du BALSAR permettrait de respecter les exigences budgétaires de ce type d'opération.
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