Le rapport des Trois Sages et les origines du programme OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité

  • 13 Dec. 2016 -
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  • Mis à jour le: 11 Jan. 2017 16:00

Le 13 décembre 1956, le Conseil de l’Atlantique Nord entérinait un rapport sur le renforcement de la coopération non militaire au sein de l’OTAN. Le texte, connu sous le nom de rapport des Trois Sages ou encore rapport du Comité des Trois, proposait des mesures concrètes pour accroître la coopération dans les domaines politique, économique et scientifique. L’une des conséquences directes de ce rapport a été la création du programme scientifique de l’OTAN. Soixante ans plus tard, cet héritage continue de vivre au travers du programme OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité.

« Nous vous pensions sages avant de vous demander d’entreprendre ce travail. Nous pensons que vous vous êtes acquittés sagement de votre tâche, et nous pensons que votre sagesse perdurera » : c’est en ces termes que s’exprimait M. Selwyn Lloyd, ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, à la réunion du Conseil de décembre 1956, où le rapport du Comité des Trois a été entériné. Ces paroles restent vraies aujourd’hui, en particulier pour la coopération scientifique et technique à l’OTAN, qui s’est institutionnalisée suite aux recommandations des Trois Sages.

Le Comité des Trois a été constitué officiellement le 5 mai 1956 pour donner corps aux articles 2 et 4 du traité de Washington, qui prévoyaient collaboration et consultation entre Alliés. Trois ministres ont ainsi été chargés de rédiger un rapport à l’intention du Conseil sur les moyens d’améliorer et de développer la coopération non militaire au sein de l’OTAN. Les trois ministres des Affaires étrangères désignés étaient Lester B. Pearson (Canada), Gaetano Martino (Italie) et Halvard Lange (Norvège). Très vite, ils ont été dénommés « les Trois Sages ».

Renforcer la coopération scientifique et technique

La question de la coopération scientifique et technique était à l’ordre du jour de l’OTAN dès le début des travaux liés au rapport. Un questionnaire couvrant des domaines très variés devait être rempli par chacun des pays membres et permettre de recueillir leurs positions sur diverses propositions de coopération non militaire. Étaient ainsi abordés des aspects politiques, économiques et culturels ainsi que des questions concernant la coopération scientifique. L’idée de renforcer la coopération scientifique entre Alliés était largement soutenue. Certains pays estimaient que cette coopération pouvait contribuer « à stimuler l’initiative privée ou à réaliser des objectifs communs essentiels tels que la préservation de la supériorité scientifique et technologique de l’Occident » et que « la formation de techniciens ainsi que les échanges de membres du personnel et d’étudiants » étaient un objectif prioritaire.

Les débats ayant conduit au rapport des Trois Sages rendaient compte aussi des préoccupations qui étaient celles des Alliés en période de Guerre froide s’agissant de la science. Par exemple, une note explicative jointe au questionnaire indiquait que « les dirigeants soviétiques [avaient] investi des sommes importantes dans le développement rapide de l’enseignement afin d’assurer à long terme le recrutement de savants, de techniciens et de spécialistes » et, un peu plus loin, qu’ « il serait peut-être utile de voir dans quelle mesure et de quelle façon l’OTAN [pouvait] coopérer à la solution de ce problème ». Dans ce questionnaire, les Alliés étaient également invités à donner leur avis sur la coordination « de mesures de longue haleine destinées à développer le recrutement et la formation de savants, de techniciens et de spécialistes, eu égard aux progrès accomplis dans ces domaines dans les pays communistes ».

Surmonter les défis politiques

Toutefois, étant donné le climat politique de l’époque et la difficulté de la tâche qui attendait le Comité des Trois, la réussite de l’entreprise n’était pas évidente. Certains pays membres de l’OTAN craignaient de voir leur liberté de réagir en situation d’urgence restreinte s’ils étaient tenus de consulter les autres Alliés sur les questions de politique étrangère. M. Martino lui-même se montrait très ouvert et très franc au sujet des défis à relever. Ainsi a-t-il été dit dans un rapport verbal du Comité des Trois : « M. Martino, s’exprimant en sa qualité de président du Comité, a parlé de la difficulté de la tâche qui attendait le Comité. Il s’agissait pour l’essentiel d’assurer la collaboration dans les domaines politique et économique entre les gouvernements des quinze pays membres, ayant chacun ses propres préoccupations et intérêts. »

Les divergences d’intérêts des pays sont apparues au grand jour quelques mois plus tard : alors que les Trois Sages rédigeaient leur rapport, la crise de Suez éclatait, dévoilant les dissensions et les positions contradictoires de certains Alliés. Le 29 octobre 1956, la France et le Royaume-Uni ainsi qu’Israël envahissaient l’Égypte pour défendre le canal de Suez, mais sans en avoir informé préalablement les autres membres de l’Alliance. Une solution fut finalement trouvée à la crise de Suez, qui avait cependant fait apparaître la nécessité d’une meilleure coordination et rappelé l’importance de la consultation pour aplanir les désaccords entre Alliés.

Le programme SPS de l’OTAN, fruit du travail des Trois Sages

Dans la section de leur rapport final consacrée à la coopération scientifique et technique, les Trois Sages mentionnaient d’emblée la « particulière importance » de la science et de la technique pour la communauté atlantique et leur rôle dans la sécurité et les affaires internationales. Pour eux, il était « urgent » d’accroître la qualité et le nombre de scientifiques, d’ingénieurs et de techniciens. Des progrès dans ce domaine étaient jugés indispensables et « si décisifs pour l’avenir de la communauté atlantique que les membres de l’OTAN devraient veiller à ne laisser sans examen aucune possibilité de coopération fructueuse ».

Le programme scientifique de l’OTAN a été une conséquence directe des recommandations formulées en 1957 par les Trois Sages, alors qu’était lancé Spoutnik I et que se révélait ainsi l’écart entre les Soviétiques et les Alliés en matière de technologies de missile. Le programme visait à promouvoir les projets scientifiques et la collaboration entre scientifiques des pays de l’OTAN de manière à faciliter les échanges et à optimiser le rendement des capitaux investis dans la recherche. Un an plus tard, le Comité scientifique de l’OTAN, qui devait permettre d’accroître la coopération scientifique entre Alliés, voyait le jour.

Année après année, le programme scientifique a suivi l’évolution de l’environnement politique, stratégique et de sécurité de l’Alliance. Aujourd’hui, le programme pour la science au service de la paix et de la sécurité (SPS) de l’OTAN est un programme de partenariat unique en son genre. Il réunit des scientifiques et des experts de pays membres de l’OTAN et de pays partenaires afin de répondre à des préoccupations de sécurité communes au travers d’une coopération pratique dans le domaine de la science, de la technologie et de l’innovation civiles.

Le programme scientifique puis le programme SPS ont permis, au cours des dernières décennies, d’aider financièrement de nombreux scientifiques, qui se sont ensuite fait un nom et dont beaucoup ont reçu le prix Nobel. Dernier cas en date, le professeur Aziz Sancar, à qui l’OTAN a octroyé une bourse de recherche scientifique dans les années 1970 ainsi qu’une subvention pour la recherche en coopération en 1986 et une autre en 1990, s’est vu récompensé du prix Nobel de chimie en 2015 pour ses travaux sur les mécanismes de réparation de l’ADN, ouvrant des pistes de recherche entièrement nouvelles. Lester Pearson, l’un des Trois Sages, s’est quant à lui vu décerner le prix Nobel de la paix en 1957 pour avoir apporté une solution pacifique à la crise de Suez et « sauvé le monde » selon les termes du Comité Nobel. C’est lui qui eut l’idée d’envoyer des forces d’urgence des Nations Unies dans la zone du canal, forces qui préfiguraient les missions de maintien de la paix qui seraient ensuite déployées par l’ONU.

Lauréats du prix Nobel

Prix Nobel de physique

1989    Norman Ramsey (États-Unis)
Premier président du Comité scientifique en 1958 et 1959

1991    P.G. De Gennes (France),
Directeur d'un stage d'étude de haut niveau de l'OTAN en 1988

1997    Claude Cohen-Tannoudji (France)
William D. Phillips ((États-Unis)
Bénéficiaires d'une subvention de l'OTAN en 1986 et en 1994 respectivement

Prix Nobel de chimie

1995    Paul Crutzen (Pays-Bas), Directeur d'un atelier en 1994

1996    Harold Kroto ((Royaume-Uni)
Robert Curl (États-Unis)
Richard Smalley (États-Unis)
Bénéficiaires de diverses subventions de l'OTAN entre 1963 et 1987

1999    Ahmed Zewail (États-Unis - Egypte),
Bénéficiaire de deux subventions de l'OTAN dans les années 1980

2015    Aziz Sancar (Turquie - États-Unis),
Bénéficiaire d'une bourse de recherche scientifique (1971-1973)
et de deux subventions pour la recherche en coopération (1986 et 1990)

Les trois prix Nobel suivants ont été membres de la commission sur la science à l'échelle du nanomètre, qui a été en activité de 1991 à 1996

1973    L. Esaki

1985    K. von Klitzing

1986    H. Rohrer

           

Les huit prix Nobel suivants ont participé à l'atelier sur les découvertes en physique des particules qui s'est tenu en 1994 :

1957    T-D. Lee
C.N. Yang

1969    M. Gell-Mann

1976    S.C.C. Ting

1979    S.L. Glashow
S. Weinberg

1988    M. Schwartz

1990    J.I. Friedman