La connaissance de la situation dans l'ionosphère au service des infrastructures critiques
Dans le cadre de ses activités destinées à faire progresser la connaissance de la situation dans l'espace, le programme OTAN pour la science au service de la paix et de la sécurité (SPS) cofinance un projet visant à établir en Europe un réseau unique regroupant des sondeurs ionosphériques de haute précision existants basés au sol, qui permettra de coordonner la surveillance de l'ionosphère afin de prévoir la propagation des ondes et d'avertir les utilisateurs d'éventuelles irrégularités. Ce projet sera lancé lors de la 11e semaine européenne de la météorologie spatiale, qui se déroulera à Liège (Belgique), du 17 au 21 novembre 2014.
Schéma : la complexité du système ionosphère-thermosphère-mésosphère de la Terre et toute la gamme des processus physiques en action. Crédits : NASA/J. Grobowsky
L'ionosphère est une partie chargée (« ionisée ») de la haute atmosphère qui a un effet sur les ondes qui la traversent. Les phénomènes émanant du soleil et des couches inférieures de l'atmosphère perturbent fortement l'ionosphère, ce qui représente une menace pour la paix et la sécurité puisque cela pourrait entraîner un dysfonctionnement des infrastructures critiques dans les domaines des télécommunications internationales, de la navigation, de la surveillance, des transactions financières et boursières, du transport aérien et de l'alimentation électrique. Dans certains cas, notamment celui des systèmes de radiocommunication et de radiodiffusion, l'ionosphère fait partie intégrante du système ; dans d'autres cas, notamment celui des systèmes de radiocommunication et de radionavigation transionosphériques, l'ionosphère est une véritable source de problèmes. Dans tous les cas, il est essentiel de disposer d'une description de l'ionosphère si l'on veut contribuer au bon fonctionnement des infrastructures critiques dont dépend notre monde moderne de haute technologie.
La « tempête magnétique Halloween »
En octobre 2003, juste avant Halloween, une série de phénomènes extrêmes résultant de l'interaction entre le Soleil et la Terre ont été enregistrés par les réseaux qui surveillent le géoespace. Une grande quantité d'énergie magnétique concentrée en provenance de l'intérieur du Soleil a formé une grande tache solaire, suivie d'une énorme éruption solaire. Le 28 octobre, la tache solaire a brusquement éjecté une masse concentrée de vent solaire possédant des propriétés de conduction de l'électricité, la projetant dans l'espace interplanétaire en direction de la Terre. Le lendemain, une tempête géomagnétique a perturbé la magnétosphère protectrice de la Terre. Cette série de phénomènes est connue sous le nom de « tempête magnétique Halloween ».
Cette tempête, l'une des plus importantes de ce genre au cours des 60 dernières années, a eu des incidences complexes sur les systèmes technologiques du monde entier, incidences que les scientifiques continuent d'analyser aujourd'hui encore. La précision du système GPS a été fortement dégradée, ce qui a perturbé les levés topographiques et océanographiques, ainsi que la navigation des appareils commerciaux et militaires. Des satellites civils et militaires ont été mis en mode sécurisé, d'autres satellites ont été endommagés, et un satellite scientifique japonais a été mis définitivement hors service. Les perturbations des communications ont par exemple obligé le Département de la Défense américain à annuler une mission maritime. Des interférences avec des liaisons radio transhorizon ont par ailleurs rendu les routes polaires inaccessibles pour les avions.
Atténuer les menaces
Plusieurs pays ont mis en place des services et des technologies de surveillance de l'ionosphère, ce qui a permis de réaliser des progrès significatifs dans la prévision des perturbations ionosphériques de grande ampleur. Cependant, pour les systèmes critiques nécessitant une précision plus importante (comme les systèmes de renforcement satellitaires ou SBAS), il est nécessaire de pouvoir prévoir les perturbations de moindre ampleur, comme les ondes de gravité atmosphériques, et les instabilités et les fluctuations du plasma ionosphérique. Ces phénomènes se produisent lors d'éruptions solaires, d'électrojets auroraux, mais aussi d'autres phénomènes géophysiques (séismes, cyclones tropicaux) ou d'origine anthropique (tirs de roquettes), car l'ionosphère n'est pas seulement touchée par l'activité solaire, elle subit également d'importantes influences provenant de la mésosphère. Ces perturbations peuvent notamment entraîner des dysfonctionnements dans la détection et la poursuite des avions, des missiles, des véhicules aériens sans pilote (drones), des satellites et d'autres cibles, et altérer les communications, la navigation, ainsi que les opérations de commandement, de contrôle et de surveillance à l'échelle mondiale.
L'OTAN apporte une contribution importante à l'amélioration de la connaissance de la situation dans l'ionosphère au travers de son programme SPS, qui s'emploie à établir un réseau pilote regroupant des stations ionosphériques terrestres présentes en Australie, en Belgique, en République tchèque, en Allemagne, en Grèce, en Espagne et aux États-Unis. Ces stations sont capables d'effectuer des observations de grande qualité et de haute précision, nécessaires à la détection des perturbations en mouvement. Au cours des trois prochaines années, les stations existantes seront modernisées, le personnel technique sera formé et des protocoles seront mis au point afin de faire en sorte que les experts disposent à tout moment d'une image haute résolution complète de l'ionosphère. Le système de surveillance permettra également que les perturbations soient signalées de manière priorisée et harmonisée, afin d'éviter toute confusion ou interprétation erronée. Ce système d'alerte rapide pourrait servir de modèle pour d'autres régions du monde, y compris le Japon, qui est déjà associé au projet en tant qu'observateur.
Parmi les utilisateurs possibles du système de surveillance ionosphérique, on peut citer le Centre de météorologie spatiale de l'Administration Nationale Océanique et Atmosphérique, le laboratoire de recherche des forces aériennes des États-Unis, l'Agence spatiale européenne et l'Organisation pour la science et la technologie de défense du Département australien de la Défense. Le système peut prévenir en cas de risques pour les communications de données sol-espace et espace-espace, et détecter les effets de souffle provoqués par des bombes ou des accidents industriels, ce qui permet de compléter les informations fournies par les systèmes terrestres conventionnels de surveillance mis en place sous l'égide de l'Agence internationale de l'énergie atomique.