L’inclusion et la participation ne suffisent pas : repenser les institutions grâce au programme FPS

Lauren Bean Buitta et Erin Connolly*

  • 16 Nov. 2020 -
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  • Mis à jour le: 26 Nov. 2020 12:26

Girl Security

La mission de l'ONG Girl Security est de combler l'écart entre les genres dans le secteur de la sécurité nationale par des activités d'éducation, de formation et de mentorat destinées aux filles. Pour faire advenir une nouvelle génération de femmes appelées à exercer des responsabilités en matière de sécurité nationale, il faut d'abord donner aux filles les moyens d'agir dans ce domaine. Tout comme les disciplines STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), le secteur de la sécurité nationale offre de nombreux débouchés, et le modèle utilisé par Girl Security (modèle « SEA »), axé sur les activités mentionnées ci-dessus, permet d'aborder cette mission importante en tenant compte de tous ses enjeux. Girl Security est convaincue que l'autonomisation des filles dans le domaine de la sécurité nationale aura un pouvoir de transformation sans égal en ce XXIe siècle. Elle œuvre en faveur d'un monde dans lequel les femmes sont aux commandes de la sécurité des pays et de la planète.

De plus amples informations sont disponibles via ce lien.

Cette année marque le 20e anniversaire du programme pour les femmes, la paix et la sécurité. Alors qu'elle a débuté il y a peu, l'année 2020 est déjà fortement perturbée. Dans un monde secoué par une pandémie, une récession et des manifestations antiracisme, les idéaux de sécurité sur lesquels les États ont été bâtis ne cessent de fluctuer. Les pays se retrouvent face à des systèmes qui ne servent plus leurs intérêts, voire qui n'ont jamais servi les intérêts de la communauté dans son ensemble. Le programme pour les femmes, la paix et la sécurité (FPS) offre la possibilité de remanier des institutions qui peinent à évoluer et qui ont été établies selon les idéaux de sécurité d'un groupe homogène. L'Alliance doit repenser ses idéaux institutionnels en fonction de ce dont le monde prend enfin conscience : inclure et faire participer les femmes ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est un changement systémique.

Les femmes semblent s’être révélées dans la lutte contre la pandémie. Ainsi, le rôle que jouent les femmes politiques1 dans le contexte de cette crise mondiale est applaudi et étudié, ce qui ne fait que confirmer ce que les défenseurs de la cause FPS ont longtemps soutenu : les contributions des femmes à la sécurité ne sont valorisées que lorsqu’il n’est plus possible de les ignorer. Alors que le rôle moteur des femmes au cœur de l’un des défis de sécurité les plus urgents de l’histoire récente devrait être reconnu et célébré pour son efficacité, l’expertise de celles-ci en matière de sécurité demeure systématiquement sous-exploitée et sous-estimée. Même si le programme FPS a permis bien des avancées2 ces vingt dernières années, la liste des résolutions en lien avec la cause FPS est encore appelée à évoluer.

Ces dix prochaines années, la cause FPS peut devenir plus qu'un simple programme : elle peut constituer le fondement des nouvelles normes, stratégies et institutions de sécurité et de défense nécessaires pour faire face aux menaces plus diffuses, et parfois imprévues, qui pèsent sur la sécurité mondiale. Tout comme la notion masculine de protection « des corps et des frontières »3 a défini le fonctionnement des institutions de sécurité au cours du siècle dernier, la vision féminine de la sécurité peut ouvrir une nouvelle voie pour les cent ans à venir.

Il est important de savoir que dans de nombreux pays, les filles et les femmes ne jouissent d’aucun droit, ou voient leurs droits bafoués. Aux États-Unis, par exemple, les systèmes destinés à protéger ces droit sont trop souvent failli à leur mission ; parmi eux, les systèmes judiciaire et politique. C’est pourquoi il arrive souvent que les filles et les femmes agissent en dehors des institutions et des systèmes existants pour assurer leur propre sécurité, voire celle de leur famille et de leur communauté. Elles ne s’en tiennent donc pas à la vision stricte de la sécurité qui imprègne tant d’institutions et de sociétés. Elles s’adaptent, elles innovent.

« Repenser la sécurité ne signifie pas seulement faire participer les filles et les femmes au système actuel, cela suppose aussi d'inciter ces dernières à redéfinir elles-mêmes le système. »

Cet effort d’adaptation répond en partie à une défaillance générale du système lorsqu'il s’agit de reconnaître les besoins des femmes et des filles. Aux États-Unis, la pandémie de COVID-194 a touché de façon disproportionnée les femmes et les communautés marginalisées5 , aggravant les inégalités liées à la race, au genre ou à la rémunération. Les femmes sont les plus vulnérables6 dans les milieux où elles sont majoritaires : à la maison et dans le monde des soins de santé. Cela étant, les initiatives destinées à les encourager à opter pour des secteurs d’activité dominés par les hommes sont insuffisantes. Le nombre de femmes qui envisagent de faire carrière dans les domaines des sciences, des technologies, de l'ingénierie, des mathématiques ou de la médecine diminue de 20 % au terme de l’enseignement secondaire supérieur. Pourtant, c’est souvent le phénomène du « tuyau percé » qui est pointé du doigt pour expliquer le faible nombre de femmes occupant des postes de direction. En fait, ces tendances sont liées et montrent qu’essayer d’« inclure » les femmes dans un système conçu par et pour les hommes ne permet pas de créer le changement nécessaire pour tous, ni même pour quelques-un(e)s. Le plan d’action 2020 pour les femmes, la paix et la sécurité publié récemment par le département d’État américain reconnaît7 qu’« alors que de plus en plus de femmes demandent à pouvoir participer pleinement aux processus politiques, y compris en tant que cadres, elles sont confrontées à des niveaux croissants de harcèlement, d’intimidation et d’abus ». En bref, le système actuel ne fonctionne pas.

Pour ouvrir une nouvelle voie, les institutions de défense et de sécurité doivent s’efforcer de comprendre l’expérience qu’ont les femmes et les filles de la sécurité ainsi que les compétences qu’elles mettent à profit pour assurer leur propre sécurité, celle de leur famille et celle de leur communauté. Ces enseignements peuvent venir éclairer les politiques et les stratégies visant à remodeler les institutions, servir de feuilles de route pour la définition de nouveaux idéaux de sécurité en lien avec la défense, la gestion de crise et la sécurité coopérative, et être pris en considération dans les programmes de formation et d'entraînement à la sécurité destinés aux filles et aux femmes.

Pendant que l’OTAN réfléchit à la voie à suivre, les filles et les femmes restent vulnérables face aux diverses menaces pour leur sécurité physique, et elles sont exposées de manière disproportionnée8 aux menaces numériques liées au genre. Si l’OTAN veut innover et intégrer les priorités FPS dans ses idéaux, ses stratégies et ses instances, elle doit préparer le terrain dès à présent. Il convient de s’appuyer sur des partenariats stratégiques avec différents pays, avec le secteur privé et avec la société civile, et de mobiliser des fonds pour offrir aux filles et aux femmes une formation et une instruction en matière de sécurité au niveau local. Si 83 pays ont ancré leurs engagements en faveur de la cause FPS dans des plans d’action nationaux, moins de 25 %9 ont prévu des fonds pour les concrétiser à partir de 2020. De même, il est fréquent que les pays qui affirment soutenir financièrement les initiatives FPS et leur donner la priorité ne débloquent pas le budget nécessaire pour ce faire. Les 4 millions de dollars10 prévus en 2019 par les États-Unis pour favoriser l’intégration des femmes au sein du département de la Défense représentent à peine 1 % du budget total11 du département, qui s’élève à 1 300 milliards de dollars.

« Il arrive souvent que les filles et les femmes agissent en dehors des institutions et des systèmes existants pour assurer leur propre sécurité, voire celle de leur famille et de leur communauté. Elles ne s'en tiennent donc pas à la vision stricte de la sécurité qui imprègne tant d'institutions et de sociétés. Elles s'adaptent, Elles innovent. »

S’il est essentiel de définir des objectifs et des stratégies de mise en œuvre ainsi que de débloquer des fonds, il faut également veiller à la viabilité des initiatives envisagées, sans quoi l’OTAN et d’autres institutions continueront de souffrir d’une crise identitaire. Il existe deux grands vecteurs de viabilité. Le premier est vertical, ou transgénérationnel. Pour rester réactives, les institutions doivent faire participer toutes les générations, et donc collaborer étroitement avec les jeunes par un dialogue, un travail de sensibilisation et un mentorat de longue durée. Cela s’applique particulièrement aux filles, pour qui l’absence de mentorat est un obstacle. Ces efforts sont d’autant plus pertinents que l’environnement de sécurité actuel évolue rapidement et est fortement influencé par les technologies. Le programme OTAN pour les jeunes talents12 est une initiative qui doit permettre d’intégrer véritablement les jeunes, mais il faut aller encore plus loin.

Le second vecteur de viabilité est horizontal et concerne les femmes qui, partout dans le monde, œuvrent en faveur du programme FPS. De nouveaux modes de fonctionnement offriraient d'innombrables possibilités de réduire la discrimination systémique, mais l’innovation technologique pose également d’importants défis13 lorsqu’il s’agit de promouvoir la cause féminine. Comment s’en sortiront celles qui n’auront pas, ou guère, accès aux innovations et aux avancées technologiques par rapport à celles qui y auront accès plus facilement ? La technologie pourrait-elle perturber l’équilibre qui existe entre les femmes de différents pays ? Pourrait-elle créer des normes de sécurité qui ne seraient pas les mêmes pour toutes les femmes, et quelles incidences ces différences auraient-elles sur le programme FPS tel qu’il existe aujourd’hui ? Pour pouvoir anticiper les fractures susceptibles d’apparaître dans le cadre de la mise en œuvre du programme FPS, les défenseurs de la cause et les institutions doivent se livrer à des analyses prévisionnelles et discuter de l’avenir.

S'informer sur l'action FPS : « Les femmes, la paix et la transformation de la sécurité »

Cet article de Lauren Bean Buitta et Erin Connolly vous a plu ? Découvrez alors la dernière publication de l'Unité Sécurité humaine, intitulée « Les femmes, la paix et la transformation de la sécurité ». Cette publication rassemble diverses contributions majeures de membres de la Commission consultative de la société civile, de chercheurs, de représentants des secteurs public et privé, et de bien d'autres acteurs encore.

Cliquez ici pour en savoir plus : ENG | FRE

La crise que nous traversons a révélé la fragilité des idéaux et des institutions de sécurité dans un environnement mondialisé en constante évolution. Il convient donc d’adopter des approches innovantes qui soient fédératrices et qui tiennent compte de la nature interdisciplinaire complexe de l’environnement de sécurité du XXIe siècle. Grâce à leur expérience personnelle de la sécurité et à leur aptitude innée pour l’innovation, les filles et les femmes apportent une contribution essentielle, qu’il faut encourager par le dialogue, l’éducation et la valorisation, favoriser par des programmes, des partenariats et des financements gouvernementaux, et rendre possible par des politiques et des stratégies, et grâce aux institutions. Repenser la sécurité ne signifie pas seulement faire participer les filles et les femmes au système actuel, cela suppose aussi d’inciter ces dernières à redéfinir elles-mêmes le système.

  1. * Ce texte a été rédigé au printemps 2020