Le bon sens dans la contre insurrection : développer la gouvernance à l’échelon tactique

Robert Crowley, conseiller pour la gouvernance et le développement auprès de l’équipe de conseil et d’assistance pour la lutte contre l'insurrection (CAAT)

  • 16 Dec. 2010 -
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  • Mis à jour le: 21 Dec. 2010 11:47

Hier soir, un commandant a indiqué qu’il était difficile de « cerner » la gouvernance, et de donner les meilleures instructions possibles sur l’exécution d’opérations de contre insurrection devant faciliter la gouvernance à l’échelon tactique. Et il a raison : il est difficile de conceptualiser le concept de gouvernance et de communiquer à ce sujet. Le tir, les manœuvres et la communication sont des actions concrètes et mesurables auxquelles on s’entraîne dès son entrée en fonctions. Par contre, la gouvernance n’est pas quelque chose qu’on fait (une action réalisable) mais quelque chose qu’on aide à permettre, et qui est difficile à mesurer. Mais qu’entend on en fait par gouvernance, et comment peut on faciliter la gouvernance à l’échelon tactique ?

Farah Provincial Gov. Roohal Amin stands in front of a group of local elders and men from the District of Bakwa during a shura, June 22. A small contingent of Regimental Combat Team 2 personnel, including Col. Paul Kennedy, RCT-2 commanding officer, and Lt. Col. Lasha Beriddze, the senior national representative and Georgian Contingent Commander of Afghanistan, took a day's trip to the District of Bakwa, where they met with the provincial and district governors. "The intent was to start the relationship between the elders and the Georgians," said Maj. Thomas Espinosa, RCT-2 civil affairs detachment officer-in-charge. According to Espinosa, they wanted to let the elders know building on security in this region is still a priority as well as bringing good governance to the area. During the shura, the provincial governor discussed the importance of accepting the responsibilities of providing security and not leaving it solely on the government. Shortly after the shura, Georgians and Marines were invited to the district governor's quarters for food and more discussion. The day ended with new partnerships and reinforced efforts on shaping Afghanistan's future for a better tomorrow.

En règle générale, il s’agit de permettre la participation des citoyens pour qu’ils servent de courroie de transmission avec le gouvernement de la République islamique d’Afghanistan, et d’aider celui-ci, à tous les niveaux, à assurer la sécurité, à dispenser des services et à instaurer un état de droit qui fonctionne au bénéfice de sa population. En résumé, lorsqu’un gouvernement remplit ces trois fonctions et que les individus et les communautés participent activement aux décisions qui influent sur leur vie et leur avenir, la gouvernance existe. Ce processus va dans les deux sens ; nous prenons de nombreuses mesures à l'échelon tactique pour permettre la gouvernance, et toutes ces mesures sont axées sur la population. Évoquons trois aspects : la sécurité, l’association des communautés et l’information.

La population de certaines régions n’ose toujours pas prendre parti en raison des manœuvres d’intimidation des insurgés. Pour paraphraser Frank Kitson, expert en contre-insurrection du début du XXe siècle, tant que la population n’aura pas la certitude d’être protégée indéfiniment, une participation et un soutien ouverts au gouvernement lui paraîtront risqués. Comme les insurgés n’hésitent pas à tuer des civils innocents et à menacer des communautés entières qui soutiennent les initiatives du gouvernement afghan de nature à améliorer leur avenir, garantir la sécurité de la population est absolument indispensable pour que la gouvernance puisse s’imposer – et la population doit avoir la conviction qu’elle ne sera pas abandonnée.

La première responsabilité de tout gouvernement consiste à assurer la sécurité de ses citoyens, et tandis que nous accompagnons les forces de sécurité nationales afghanes (ANSF) et travaillons en partenariat avec elles, elles sont, dans la plupart des communautés, le premier visage du gouvernement, ainsi que le symbole le plus cohérent de sa présence. Du point de vue de la contre-insurrection, nous devons, conjointement avec nos partenaires des ANSF, protéger la population et nouer des liens avec elle au niveau du voisinage et des communautés. Cela ne veut pas dire traverser un village à toute allure dans des véhicules blindés M-ATV ou Cougar, telles des créatures Borgs cachées derrière des lunettes de soleil Oakley, mais plutôt effectuer régulièrement des patrouilles à pied dans d’importantes zones de peuplement, chaque fois que c’est possible. Cela veut dire apprendre à connaître la population et acquérir une connaissance approfondie de ses griefs, que nous pourrons examiner conjointement avec nos partenaires des ANSF et du gouvernement afghan. Nouer des liens avec la population, cela veut dire faire preuve d’humanité, respecter et comprendre les besoins, les souhaits et les craintes de la communauté et aussi, comme tout bon voisin le ferait, donner un coup de main lorsqu’il y a lieu et lorsque c’est possible. Protéger la population – nos voisins – est un impératif qui ménage à celle-ci l’espace et le temps nécessaires pour permettre aux autres aspects de la gouvernance de s’enraciner profondément.

Cet espace et ce temps permettent aux communautés d’assumer en toute sécurité un rôle actif et participatif au sein de leur société et pour leur avenir. L’association et la participation des communautés – le deuxième aspect de la gouvernance à évoquer– existent, dans les sociétés, tant au niveau formel (citons par exemple les conseil de développement communautaires, les assemblées de développement des districts) qu’au niveau informel (citons les chouras mises en place dans le domaine de l’agriculture). Elles bénéficient à la communauté dans son ensemble, et de ce fait, les individus en recueillent également les fruits. Les organismes fondés sur les communautés rattachent la population au gouvernement grâce à la hiérarchisation des besoins à soumettre au gouvernement, et ils rattachent le gouvernement à la population grâce à l’affectation des ressources disponibles à la concrétisation de ces besoins.

À l’échelon tactique, nous disposons de nombreux moyens pour faciliter la participation des communautés. Nous pouvons par exemple aider à organiser une coordination et à assurer la sécurité (si nécessaire) pour obtenir un lieu où tenir les chouras, ou encore observer celles-ci dans le but de mieux comprendre les questions communautaires. Tant que nous ne comprendrons pas les préoccupations de la communauté, nous ne pourrons pas contribuer à y répondre. Cela doit toujours être fait avec nos partenaires afghans.

Comme exemple de cette association des communautés, il faut citer les chouras agricoles mises en place dans la province de Paktika, une région économiquement tributaire des récoltes et de l’agriculture. Coordonnées par et dans de multiples districts et communautés avec l’aide de l’équipe de reconstruction provinciale (PRT), les chouras ont pour but de fixer les priorités agricoles au niveau local et d’optimiser les techniques afin d’accroître la production agricole. Elles prévoient notamment une formation coordonnée avec la PRT et dispensée par des conseillers agricoles afghans. La police nationale afghane assure le transport des conseillers dans toute la province afin qu’ils puissent former les communautés aux techniques agricoles (excellent exemple de partenariat), et un mentorat est organisé pendant les chouras au sujet des procédures à suivre en vue d’une inscription officielle auprès du gouvernement provincial. Cela n’est qu’un exemple de gouvernance – une participation communautaire, soutenue par les forces de la coalition, et dirigée par les Afghans – qui rattache la population au gouvernement et le gouvernement à la population.

Enfin, il me reste à évoquer l’information en tant que facilitateur de la gouvernance. Sur le plan culturel, nos hôtes vivent dans une société dotée d’une riche tradition orale qui fait la part belle aux métaphores et comparaisons, aux mythes et légendes, alors que nous venons d’une société fondée sur les livres et les cours, les dossiers d’information et les notes écrites. Nos prismes informationnels sont différents ; il est de notre responsabilité de combler le fossé qui nous sépare des Afghans en matière d’information et de veiller à ce que la population puisse rapidement recevoir les informations honnêtes et exactes du gouvernement afghan et de la FIAS, plutôt que les contre-vérités émises par notre ennemi commun. De toutes les manières, l’information, c’est le pouvoir, et en termes de gouvernance, l’information est un lien critique entre le gouvernement légitime et la population. Malheureusement, faire la part des choses entre les informations exactes et la propagande des insurgés peut s'avérer très difficile pour une population confrontée à deux sons de cloche distincts et contradictoires. Pour combler ce fossé, le gouvernement afghan et nous-mêmes devons systématiquement et précisément décrire les situations telles qu’elles sont à l’aide de médiateurs de confiance, d’une façon qui trouve un écho auprès de la population. Du point de vue de la contre-insurrection à l'échelon tactique, il faut toujours dire la vérité et écouter ce que la population perçoit comme étant la vérité. Il faut pour cela comprendre « le récit de l’autre », le point de vue des Afghans sur les événements qui touchent leur société, leur gouvernement, en ce qui concerne tant les vastes initiatives que les incidents ponctuels. Seule cette compréhension nous permettra de combler le fossé en matière d’information, par des opérations d’information cohérentes et synchronisées.

Les personnes les mieux placées pour véhiculer notre message légitime sont nos partenaires afghans et les principaux communicateurs au sein des communautés, aussi bien traditionnelles que gouvernementales. Lier les deux – les partenaires afghans et les dirigeants communautaires –permet non seulement de renforcer la gouvernance et la légitimité gouvernementale mais aussi de mettre en place un dialogue entre la communauté et le gouvernement. Les rapports les plus fréquents qu’a la population avec le gouvernement afghan se font par le biais de ses contacts avec les ANSF, nos partenaires quotidiens à l’échelon tactique. De ce fait, nous devons englober les ANSF dans notre action collective visant à recevoir et à transmettre l’information de façon cohérente et régulière afin de renforcer les liens entre les communautés et le gouvernement.

C’est ainsi qu’en tant que forces en partenariat, nous avons les moyens de faciliter la gouvernance à l’échelon tactique dans un environnement de contre-insurrection. Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’une liste exhaustive, il importe de nouer des liens avec la population en assurant la sécurité pour lui ménager plus d’espace, d’interagir avec la population pour générer et faciliter l’association des communautés, et de se servir des opérations d’information comme d’un multiplicateur de forces pour rattacher la population au gouvernement. C’est ainsi que nous contribuerons à édifier cette fameuse « gouvernance ».