Créer une architecture de sécurité euro-atlantique
Discours prononcé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, au Forum de Bruxelles 2010 organisé par le German Marshall Fund à Bruxelles, Belgique
Cher Craig,
Ron,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
C’est pour moi un grand plaisir d’être parmi vous aujourd’hui au Forum de Bruxelles. Ce forum est rapidement devenu pour la communauté transatlantique un événement incontournable. Je suis reconnaissant au German Marshall Fund de son attachement indéfectible à un plus grand rapprochement de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Après de nombreuses années de mariage, il arrive que les époux ne se rendent plus compte de ce qu’ils représentent l’un pour l’autre. Il ne faut absolument pas que cela se produise dans les relations transatlantiques. L’Europe et l’Amérique du Nord partagent un socle fort et durable de valeurs communes, un attachement à la démocratie et la volonté de rester solidaires dans les périodes difficiles. En résumé, très peu de choses nous séparent et beaucoup nous rassemblent, et ce que nous avons en commun peut servir de base à une coopération.
Depuis plus de 60 ans, nous construisons sur ce socle une architecture solide de sécurité euro-atlantique. La réussite de l’Europe est exemplaire à cet égard. Après deux guerres mondiales et une Guerre froide, elle est devenue un continent de coopération et d’intégration ; or, l’ampleur de cette intégration et de cette coopération en fait un cas absolument unique au monde.
Aujourd’hui, je montrerai comment cette réussite peut se poursuivre. J’expliquerai brièvement comment nous pouvons développer davantage une architecture de sécurité euro-atlantique sans exclusive et aussi comment cela contribuera à faire de l’Europe un continent encore plus uni et plus sûr.
Mesdames et Messieurs.
La réussite de l’Europe aurait été inconcevable sans l’OTAN. Non seulement l’Alliance atlantique a empêché la Guerre froide de dégénérer en conflit ouvert, mais elle a aussi apporté une garantie de sécurité qui a permis à d’anciens ennemis de devenir amis, et elle a ouvert la voie à une plus grande intégration européenne.
Protégés par l’OTAN, les Européens ont entamé un ambitieux projet d’intégration qui allait devenir l’Union européenne. Après la fin de la Guerre froide, l’OTAN et l’UE ont contribué à la consolidation de l’Europe en tant qu’espace de sécurité démocratique et uni.
Les deux institutions ont accueilli de nouveaux membres et elles ont résolument tendu la main à la Russie.
Bien sûr, cette consolidation de l’Europe après la Guerre froide a connu des soubresauts. Il y a eu des effusions de sang, notamment dans les Balkans. Et l’OTAN a déployé des efforts considérables pour que cette région réintègre la dynamique européenne. Mais si l’on replonge dans l’histoire européenne, on constate que les changements dans les rapports de forces de l’ampleur de ceux que nous avons connus après 1990 étaient autrefois beaucoup plus violents. Il ne fait aucun doute que notre Alliance atlantique a joué un rôle essentiel qui a permis à l’Europe de sortir « en douceur » de la Guerre froide.
Nous nous fondons sur trois principes fondamentaux qui doivent garantir la construction d’une Europe en paix. Premièrement, le principe selon lequel la sécurité de tous les États de la communauté euro-atlantique est indivisible, ce qui veut dire que la sécurité d’un État est tout aussi importante que celle d’un autre, et qu’elle y est liée et en dépend étroitement. Deuxièmement, le principe selon lequel chaque État a le droit de choisir sur qui s’aligner pour ce qui est de sa sécurité. Et troisièmement, le principe selon lequel aucun État ou groupe d’États ne peut considérer qu’une partie quelconque de la région euro-atlantique constitue sa sphère d’influence.
Ces trois principes forment un cadre solide pour notre architecture de sécurité commune. En résumé, l’Europe est aujourd’hui essentiellement libre et en paix avec elle-même et il y a lieu de s’en réjouir.
Toutefois, nous ne devons pas nous reposer sur nos lauriers. Au contraire. Débarrassée de ses querelles intestines, l’Europe devrait à présent accepter de relever plus souvent les défis extérieurs.
Après la fin de la Guerre froide, un nouvel environnement de sécurité international a vu le jour. Il est apparu des défis de sécurité qui exigent un engagement actif de l’Europe aux côtés de nos Alliés nord-américains. On l’a vu clairement le « 11 septembre ».
Les attentats terroristes de New York et de Washington n’avaient pas pour seule cible les États-Unis. Ils visaient l’ensemble de la communauté transatlantique. Et cela est vrai aussi des attentats qui ont suivi – à Londres, à Madrid, à Istanbul et ailleurs. Ils ont montré que les grandes menaces qui pèsent sur notre sécurité n’émanent plus de l’Europe elle-même, mais de l’extérieur.
L’Alliance s’est déjà adaptée à cette nouvelle réalité. L’OTAN a, pour la première fois, invoqué l’article 5 après les attentats terroristes du « 11 septembre ». Et elle a pris la direction de la Force internationale d'assistance à la sécurité en Afghanistan. Ces mesures montrent clairement que l’Alliance n’est plus une organisation purement « eurocentrique ». Nous devons être prêts à relever les défis de sécurité qui viennent de l’extérieur de l’Europe pour que la défense territoriale des nos États membres et de nos populations soit efficace et crédible.
Mais le terrorisme n’est pas la seule caractéristique de notre nouvel environnement de sécurité. Il existe d’autres menaces contre lesquelles nous devons nous protéger. Je pense notamment aux armes de destruction massive et à leurs vecteurs.
Jusqu’à présent cette menace est restée essentiellement abstraite. Mais un examen des tendances actuelles montre que le risque de prolifération est réel et qu’il grandit – plus de 30 pays possèdent ou mettent au point des missiles qui ont des rayons d’action de plus en plus grands. Dans de nombreux cas, ces missiles pourraient un jour menacer nos populations et nos territoires.
Prenons le cas de l’Iran. Il a signé le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires en tant qu’État non doté d’armes nucléaires et il développe un programme nucléaire qui est, selon lui, destiné à des fins civiles seulement.
L’Iran est toutefois allé bien au-delà de ce qui est nécessaire pour un programme exclusivement civil. Il a dissimulé plusieurs installations nucléaires à l’Agence internationale de l'énergie atomique. Il joue à cache-cache avec la communauté internationale et il a rejeté toutes les offres de coopération que les États-Unis, l’UE et d’autres lui ont faites.
Et très récemment, Téhéran a annoncé qu’il enrichira son uranium à des niveaux qui semblent incompatibles avec un usage civil et ce, au mépris de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
L’Iran possède également un important programme de développement de missiles. Des responsables iraniens affirment que leurs missiles Shahab-3 modifiés ont un rayon d’action de 2000 km, ce qui met déjà à leur portée des pays de l’Alliance comme la Turquie, la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie.
En février 2009, Téhéran a mis en service le lanceur spatial SAFIR 2. Il s’agit là d’une étape clé du développement de missiles de portée intermédiaire et intercontinentale. Si l’Iran menait ce programme à son terme, l’ensemble du continent européen, de même que toute la Russie seraient à sa portée.
Il faut que les pays proliférateurs sachent que notre attachement à la défense collective est inébranlable et que cette défense passe par la dissuasion nucléaire.
Mais alors que nous devons faire face à la propagation de la technologie des missiles et à l’imprévisibilité de certains régimes et de certains dirigeants, il est de notre devoir, vis-à-vis de nos populations, de compléter nos moyens de dissuasion par une capacité de défense antimissile efficace.
Nous ne partons pas de zéro. Les pays membres de l’Alliance examinent depuis un certain temps diverses solutions pour la défense antimissile. L’OTAN elle-même met au point des protections pour les troupes qu’elle déploie.
Mais grâce à la nouvelle approche qu’ont adoptée les États-Unis en matière de défense antimissile, les possibilités de mettre en place un système efficace à l’échelle de l’OTAN sont bien meilleures. Ce système serait en mesure de mieux défendre le territoire et la population de nos pays.
Une véritable défense antimissile commune à l’échelle euro-atlantique serait la preuve de notre volonté collective non seulement de nous défendre contre les nouvelles menaces d’aujourd’hui et de demain, mais aussi d’assumer les responsabilités qui s’imposent.
Cela ferait clairement comprendre aux pays proliférateurs qu’ils n’ont rien à gagner de la prolifération des missiles.
Cela donnerait à l’Europe l’occasion de prouver à nouveau aux États-Unis que les Alliés sont prêts et disposés à se doter des moyens dont ils ont besoin pour se défendre.
Et cela permettrait aux Européens de jouer un rôle actif dans un processus qui, jusqu’à présent, est conduit, sans qu’ils soient consultés, par les États-Unis et la Russie.
Mais je crois qu’il y a encore une autre raison qui justifie la mise en place de la défense antimissile : créer une nouvelle dynamique dans la sécurité européenne et euro-atlantique.
On parle beaucoup aujourd’hui de l’architecture de sécurité euro-atlantique. La Russie en particulier fait porter ses efforts sur les traités, les conférences et les arrangements politiques.
Il ne fait pas de doute que tous ces éléments peuvent être utiles et importants. Il faut se rencontrer et parler. Il faut que nous cherchions des approches politiques communes, nous en avons déjà adopté un certain nombre et nous pourrions facilement en avaliser d’autres encore.
Mais à mon avis, l’architecture doit dépasser le stade du projet. Elle doit être concrétisée et la défense antimissile y contribuera.
À cet égard, les informations reçues hier émanant de Washington et de Moscou concernant les suites données au traité START arrivent à point nommé. Non seulement cet accord contribuera à instaurer un monde plus sûr, mais il favorisera aussi la coopération avec la Russie dans d’autres domaines, notamment les relations OTAN-Russie.
Depuis mon entrée en fonctions l’été dernier, je consacre énormément de temps et d’efforts à la relance des relations entre l’OTAN et la Russie. C’est avec plaisir que je constate que nous avons progressé dans de nombreux domaines, notamment notre revue conjointe des menaces et des défis communs.
Le moment est venu d’aborder l’étape suivante. Nous devrions considérer la défense antimissile comme une nouvelle possibilité de rapprochement.
Il nous faut un système de défense antimissile qui n’intègre pas uniquement tous les pays de l’OTAN, mais aussi la Russie. Un dispositif de sécurité à construire ensemble, à financer ensemble et à exploiter ensemble. Un dispositif de sécurité qui nous protège tous.
Plus la défense antimissile pourra être considérée comme un dispositif de sécurité au service de tous, plus les citoyens de Vancouver à Vladivostok prendront conscience qu’ils appartiennent à une même communauté, une communauté qui partage une sécurité réelle contre une menace réelle et qui fait appel à des technologies réelles.
Un dispositif de sécurité unique serait un symbole politique très fort montrant que la Russie fait partie intégrante de la famille euro-atlantique, qu’elle en partage les bénéfices et les coûts – qu’elle n’est pas à la périphérie mais qu’elle est intégrée.
Voilà en quoi consisterait concrètement la nouvelle architecture de sécurité euro-atlantique.
Bien sûr, les problèmes pratiques sont nombreux. Il nous faudrait raccorder nos systèmes, partager les évaluations du renseignement et relier les technologies sensibles. Mais c’est justement de cela qu’il s’agit.
Si nous décidons que c’est la voie à suivre, alors nous relierons nos systèmes, nous partagerons les technologies et nous mettrons en commun les données du renseignement. Nous créerons ainsi une confiance mutuelle et réciproque.
Pour toutes ces raisons, je pense que le moment est venu de faire progresser la défense antimissile. Nous devons décider, avant le prochain sommet de l’OTAN en novembre, que la défense antimissile pour nos populations et nos territoires est une mission de l’Alliance. Et nous chercherons à exploiter toutes les possibilités de coopération avec la Russie.
Mais la Russie doit elle aussi prendre une décision – il faut qu’elle décide de considérer la défense antimissile comme une chance et non pas comme une menace.
Et quand tout cela aura été fait, nous pourrons entamer la mise en place d’un système de défense antimissile qui non seulement défendra la communauté euro-atlantique mais qui en plus la resserrera.
Mesdames et Messieurs.
La fin de la Guerre froide nous a offert une chance extraordinaire : atteindre notre objectif qui est de créer une Europe unie, libre et en paix. Nous n’y sommes pas encore tout à fait parvenus mais nous n’en sommes pas très loin. Notre communauté transatlantique a déjà permis de réaliser des progrès. Nous devons à présent pérenniser cette évolution positive et compléter le projet européen.
Deux mesures nous aideront à y parvenir. Nous devons expliquer clairement à la Russie qu’elle est la bienvenue dans le giron euro-atlantique et nous devons chercher des moyens qui permettront de protéger notre continent des dangers résultant d’un environnement mondial instable, notamment du fait de la prolifération des armes de destruction massive.
Je ne suggère rien moins qu’un changement radical de la manière dont nous concevons la sécurité européenne, la défense antimissile et la Russie. Je demande donc beaucoup, mais le résultat en vaudra la peine.
Je vous remercie.