La désescalade commence sur le terrain
Article du secrétaire général de l'OTAN, Anders Fogh Rasmussen
Le premier discours que j'ai prononcé en tant que secrétaire général de l'OTAN s'intitulait « L'OTAN et la Russie : un nouveau départ ». Mon but était de mettre en place un véritable partenariat stratégique avec la Russie, en développant la coopération pratique dans des domaines où nous avions des intérêts de sécurité communs tout en insistant auprès de la Russie pour qu'elle se conforme pleinement à ses obligations internationales, y compris le respect de l'intégrité territoriale et de la liberté politique de ses voisins.
Au fil des ans, nous avons fait des progrès importants, collaborant sur des questions telles que la lutte contre le terrorisme, la contre-piraterie et la sécurité en Afghanistan. Mais l'annexion de la Crimée par la Russie a coupé court à ce nouvel élan et a sapé les fondements mêmes du partenariat que nous avons mis tant d'énergie à construire.
Aujourd'hui, la Russie parle et se comporte non pas comme un partenaire mais comme un adversaire.
Alors que des dizaines de milliers de soldats russes sont postés, prêts à se battre, à la frontière de l'Ukraine, la Russie se livre à une campagne de propagande sans équivalent depuis la fin de la Guerre froide. L'objectif est de déformer la vérité, de détourner l'attention des agissements illégaux de la Russie et d'affaiblir les autorités ukrainiennes.
Ces dernières semaines, les responsables russes ont accusé l'OTAN de ne pas tenir ses promesses en s'ingérant dans les affaires intérieures de l'Ukraine et en contribuant à l'escalade de la crise. Il est temps de dire la vraie nature de ces affirmations : un écran de fumée destiné à masquer les promesses non tenues par la Russie, l'ingérence de la Russie et l'escalade provoquée par la Russie.
Promesses non tenues
La Russie accuse l'OTAN de manquer à une promesse de 1990 selon laquelle l'Organisation ne s'étendrait jamais en Europe centrale et orientale. En d'autres temps, les responsables russes ont prétendu que cette promesse avait été faite en privé par l'ancien chancelier allemand, Helmut Kohl, par son ministre des Affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, et par le secrétaire d'État américain de l'époque, James Baker.
Or en 1990, il était question uniquement de la réunification de l'Allemagne. L'élargissement de l'OTAN n'était pas à l'ordre du jour, le Pacte de Varsovie n'ayant été dissous qu'un an plus tard. De plus, un tel engagement aurait nécessité de modifier le traité fondateur de l'OTAN par consensus entre tous les Alliés.
En vérité, un tel engagement n'a jamais été pris, et les dirigeants russes n'ont pas été en mesure de produire le moindre document à l'appui de cette allégation maintes fois répétée. Depuis sa création, l'OTAN a accueilli des États souverains qui avaient librement choisi d'adhérer à l'Alliance. Tel est l'esprit de la démocratie.
Depuis 70 ans, la Russie promet régulièrement de respecter la souveraineté, l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de tous les États. Elle l'a fait, par exemple, au moment de signer la Charte des Nations Unies de 1945, l'Acte final d'Helsinki de 1975 et l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997.
La Russie viole à présent l'intégrité territoriale de l'Ukraine en occupant la Crimée et viole la souveraineté de l'Ukraine en essayant de lui imposer un régime fédéral. La Russie n'a pas tenu parole. Elle a terni sa réputation, et il faudra des années pour la rétablir. Accuser l'OTAN n'arrangera rien, cela ne fera qu'aggraver les choses.
Ingérence
Les dirigeants russes affirment que l'OTAN se serait ingérée dans les affaires intérieures de l'Ukraine en l'incitant à l'adhésion.
Un bilan de l'action de l'OTAN montre combien cette affirmation est fausse. Lorsque l'Ukraine a exprimé son aspiration à rejoindre l'Alliance, il y a dix ans, nous nous sommes félicités de cette aspiration. Lorsque l'Ukraine a opté pour un statut « hors bloc », il y a cinq ans, nous avons respecté sa décision. Lors de la visite qu'il a effectuée récemment à Bruxelles, le premier ministre, M. Iatseniouk, a dit clairement qu'une adhésion n'était pas à l'ordre du jour. C'est là le choix souverain de l'Ukraine - et l'OTAN le respecte pleinement.
Pour sa part, la Russie a tenté à plusieurs reprises de définir, voire de dicter, la voie à suivre par l'Ukraine. Des hauts responsables ont exigé que la constitution soit réécrite en vue de la création d'un État fédéral. Ils ont également exigé que l'Ukraine se déclare neutre, afin de préserver la sécurité de la Russie.
Cela est en contradiction avec l'un des principes fondamentaux de la sécurité euro-atlantique, à savoir que chaque État est libre de choisir ses alliances. L'Union soviétique a accepté ce principe lorsqu'il a signé les accords d'Helsinki en 1975 ; la Russie a hérité de l'obligation qui en découle.
L'Ukraine est seule habilitée à décider de ce qui est le mieux pour elle - dans le plein respect de l'ensemble de ses habitants, quelle que soit leur langue. D'autres pays peuvent contribuer à faciliter le dialogue, mais ils ne peuvent pas décider à la place de l'Ukraine.
Si la Russie est sincère dans sa volonté de dialogue, elle devra commencer par retirer les dizaines de milliers de soldats qu'elle a déployés, sans aucune justification, à la frontière avec l'Ukraine. Sinon, les pourparlers éventuels ne seront pas un dialogue, mais un diktat.
Escalade
Des responsables russes accusent l'OTAN d'avoir provoqué une escalade de la crise en envoyant des forces militaires en Europe centrale et orientale et en condamnant publiquement les agissements de la Russie. Le ministre des Affaires étrangères, M. Lavrov, a même écrit que « la désescalade commen[çait] par la rhétorique ».
La réalité, c'est que les actes sont plus éloquents que les paroles : l'escalade, comme la désescalade, commence sur le terrain.
Depuis le début de la crise, la Russie occupe la Crimée avec la présence de milliers de soldats, et elle a mis en scène un référendum truqué. Cela est clairement une escalade. L'OTAN a proposé de soutenir les réformes du gouvernement ukrainien dans le domaine de la défense et de renforcer la transparence et le contrôle démocratique des forces armées. Cela n'est clairement pas une escalade.
Les forces russes se sont emparées de bases et de navires militaires ukrainiens. C'est une escalade. L'OTAN a envoyé des experts civils chargés de prodiguer à l'Ukraine des conseils sur la sécurité des infrastructures critiques. Ce n'est pas une escalade.
La Russie a envoyé quelque 40 000 soldats à la frontière ukrainienne, avec l'appui de chars, d'avions de combat, d'artillerie et d'hélicoptères d’attaque : c'est une escalade. L'OTAN utilise des avions de surveillance AWACS pour le survol de la Pologne et de la Roumanie, et a envoyé six avions supplémentaires dans les États baltes pour assurer la protection de l'espace aérien de l'Alliance : ce n'est pas une escalade.
Dissiper l'écran de fumée
La propagande que fait la Russie à l'encontre de l'OTAN et de l'Occident n'est rien d'autre qu'un écran de fumée destiné à masquer ses propres agissements illégaux. Si l'on dissipe cet écran de fumée, la vérité sur le terrain apparaît clairement : la Russie a annexé la Crimée par la menace des armes, au mépris de tous ses engagements internationaux.
La Russie est à présent isolée, sa crédibilité sur la scène internationale est gravement entamée. Cela ne sert pas les intérêts de la Russie.
Celle-ci se trouve face à un choix : cesser de rejeter sur d'autres la responsabilité de ses propres actes, retirer ses soldats, en revenir à une situation de respect de ses obligations internationales et commencer à restaurer la confiance.
Ou ne pas suivre cette voie, et se retrouver encore plus isolée sur le plan international. Cela n'est dans l'intérêt de personne, et le monde en sera plus dangereux et plus imprévisible.
J'appelle la Russie à entamer une désescalade. Cela passe par des mesures concrètes.