Dans les coulisses de l’élaboration des politiques : intégrer la dimension de genre dans l’armée
En tant qu’alliance politique et militaire, l’OTAN peut compter sur la solide assise institutionnelle que lui confère le dévouement de son personnel civil et militaire. Son état-major militaire et les forces armées de ses pays membres recourent à plusieurs outils pour faire en sorte que la dimension de genre soit intégrée de manière efficace dans tous les travaux d’analyse et de planification et dans l’ensemble des missions et opérations de l’Alliance.
Le général de corps d’armée Janusz Adamczak, Irene Fellin et Mircea Geoană participent à la 46e réunion du Comité OTAN sur la dimension de genre.
Cette volonté politique et cette réactivité militaire transparaissent au travers des politiques OTAN sur les femmes, la paix et la sécurité, sur la violence sexuelle liée aux conflits, et sur la prévention de l’exploitation et des abus sexuels et la réponse à y apporter, ainsi qu’au travers des directives militaires connexes. Nous avons souhaité mettre à l’honneur deux femmes qui consacrent leurs efforts à intégrer la dimension de genre dans les structures militaires de l’OTAN.
Pourquoi l'OTAN devrait-elle intégrer la dimension de genre dans ses structures militaires ?
Diana Morais : La complexité croissante de l'environnement stratégique nécessite de comprendre précisément en quoi les nouvelles pratiques de guerre, plus sophistiquées, touchent différemment les femmes, les hommes, les jeunes filles et les garçons. L'intégration de la dimension de genre dans nos travaux d'analyse et de planification opérationnelles nous permettra de mieux connaître les sociétés dans lesquelles nous évoluons ainsi que les modes opératoires de nos adversaires, ce qui aidera l'Alliance à identifier les menaces et les défis auxquels elle est confrontée et à y réagir. Il est par ailleurs primordial que les responsables du recrutement au sein des forces armées des pays de l'OTAN veillent à inclure aussi bien des hommes que des femmes.
Comment les armées des pays de l'OTAN intègrent-elles la dimension de genre dans toutes les phases de leurs activités ?
Diana Morais : Les directives que nous établissons à l'intention du Comité militaire couvrent quatre domaines. Le premier est l'élaboration de la doctrine : nous devons veiller à définir les principes fondamentaux devant guider l'action des forces armées. Le deuxième est la formation théorique et pratique : il s'agit de prendre conscience de la nécessité d'intégrer la dimension de genre dans tous les programmes de formation et d'entraînement, quels que soient le grade et la fonction des personnels. Le troisième est le développement de l'aptitude au commandement : tous les responsables militaires doivent être sensibilisés à la question du genre au cours de leur évolution professionnelle. Enfin, le quatrième concerne les ressources : nous devons disposer de ressources adéquates si nous voulons mener à bien nos missions et intégrer la dimension de genre à l'échelle de l'Alliance.
Katherine Prudhoe : Le réseau OTAN de GENAD veille à ce que la dimension de genre soit prise en compte dans la planification militaire, du niveau stratégique jusqu'au niveau de la planification et des opérations militaires, au Kosovo et en Iraq. Le Centre nordique pour les questions de genre dans les opérations militaires (NCGM) propose des stages consacrés à cette dimension. Le genre étant une thématique transversale, les études sur le genre menées dans les centres d'excellence s'inscrivent toujours dans le domaine de spécialité de ces derniers, par exemple la lutte contre le terrorisme ou les menaces hybrides.
Quel est le principal obstacle à l'intégration de la dimension de genre dans les structures militaires de l'OTAN ?
Katherine Prudhoe : Le plus difficile, c'est de faire comprendre aux novices l'importance de cette question. Ils doivent prendre conscience du fait qu'elle apporte une valeur ajoutée à tous les domaines de l'action militaire, y compris la planification et la conduite des opérations. Celles et ceux qui, comme moi, ont reçu une formation militaire traditionnelle il y a plus de vingt ans ont pu constater que la question du genre n'était pas abordée : cette thématique doit figurer dans tous les programmes de formation, quel qu'en soit le niveau, pour que ses liens avec les sujets clés soient bien appréhendés.
À quoi ressemble votre journée de travail type ?
Diana Morais : Le NCGP se réunit habituellement en session plénière trois à quatre fois par an, notamment à l'occasion de sa conférence annuelle, qui se tient au siège de l'OTAN et qui rassemble l'ensemble des délégués nationaux ainsi que des spécialistes venant des capitales. Si l'objectif principal de la conférence annuelle est de formuler des recommandations à l'intention du Comité militaire, elle permet aussi aux pays membres et aux partenaires de partager leurs bonnes pratiques et leur expertise concernant l'intégration de la dimension de genre. Cette année, nous avons prévu de nous réunir pendant la première semaine d'octobre pour débattre du nouveau concept stratégique et des aspects du conflit en Ukraine liés à la dimension de genre.
Katherine Prudhoe : Puisque mes fonctions relèvent du niveau stratégique, mon rôle est de veiller à ce que la dimension de genre soit prise en considération dans les directives militaires qui guident l'élaboration de nouvelles politiques. À cet effet, je participe à des réunions de haut niveau et à celles du Comité militaire, afin de signaler les domaines dans lesquels il faut tenir compte des questions de genre. Je travaille également avec les pays membres de l'Alliance et les pays partenaires, ainsi qu'avec des acteurs institutionnels. Par exemple, je coopère actuellement avec l'État-major de l'Union européenne à l'élaboration de recommandations militaires sur les liens entre le climat, la dimension de genre et la sécurité. Je collabore par ailleurs avec mes collègues du NCGP pour organiser notre conférence annuelle, ainsi qu'avec les centres d'excellence pour préparer des débats de fond destinés aux responsables de l'élaboration des politiques.
Qu'est-ce qui vous pousse à œuvrer pour la cause du genre dans le secteur de la sécurité et de la défense ?
Diana Morais : Pour moi, il s'agit là d'un élément incontournable si l'on veut que le secteur de la défense soit plus performant. Nous devons pouvoir faire appel à une grande diversité de compétences, d'expériences, de points de vue et d'approches pour être en mesure de relever les défis complexes engendrés par les conflits, et nous ne pouvons pas nous permettre d'exclure les femmes, soit la moitié de la population, lorsqu'il s'agit de recruter ou de sélectionner le personnel appelé à participer à nos missions. Les rôles différents que nous attribuons aux femmes et aux hommes et les stéréotypes de genre influent sur toutes nos activités, sans compter que nos adversaires tirent profit de nos propres préjugés et idées reçues. Si la dimension de genre vaut d'être prise en compte dans les efforts de consolidation et de maintien de la paix, c'est parce qu'elle met les armées au défi d'adapter leur réponse aux sociétés qu'elles ont pour mission de protéger en les forçant à repenser leur manière de planifier et de conduire leurs missions et opérations.
Katherine Prudhoe : Ce qui me donne du cœur à l'ouvrage, c'est de savoir que la dimension de genre est une clé de compréhension des conflits d'aujourd'hui. Les champs de bataille napoléoniens ne sont plus d'actualité. Les conflits de notre temps se déroulent sur les réseaux sociaux, et dans les villes et villages où vivent les civils. Nous devons nous demander en quoi les hommes, les femmes, les garçons et les jeunes filles sont touché(e)s différemment par les conflits, en tant que victimes ou que protagonistes. Les risques auxquels exposent les conflits, notamment la violence sexuelle, et les éléments déclencheurs de ces derniers, comme le terrorisme ou l'adversité entre États, doivent être envisagés à travers le prisme du genre si l'on veut comprendre comment mieux préparer notre riposte.