Discours

du secrétaire général de l’OTAN M. Anders Fogh Rasmussen à l’Institut français des relations internationale (IFRI)

  • 15 Oct. 2010
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  • Mis à jour le: 15 Oct. 2010 16:59

''Les défis de l'OTAN'' - Speech by NATO Secretary General Anders Fogh Rasmussen at the Institut Français des Relations Internationales (IFRI). Left to right: Xavier de Villepin, Vice-président secrétaire (IFRI);  NATO Secretary General Anders Fogh Rasmussen and Etienne de Durand, Directeur du Centre des études de sécurité (IFRI).

[Monsieur le senateur de Villepin, monsieur David, et monsieur de Durand]
Excellences,
Mesdames et messieurs,

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui et je vous remercie pour ces aimables paroles d’introduction.

L'Institut français des relations internationales (IFRI) joue depuis longtemps un rôle très important dans le débat public sur les questions de politique étrangère et de défense. L'IFRI est donc une enceinte idéale pour évoquer l'avenir de l'OTAN et la sécurité européenne.

Le 11 mars 2009, lorsque le président Sarkozy a prononcé son discours au sujet de « La France, la défense européenne et l'OTAN au vingt-et-unième siècle », j'exerçais encore les fonctions de premier ministre au Danemark. J'ai suivi ce discours avec une grande attention, car je savais qu'il signifiait d’importants changements pour la France, pour l'Alliance et pour la sécurité européenne.

Le président Sarkozy a soutenu avec force que le temps était venu pour la France de reprendre toute sa place au sein de l’Alliance atlantique. Une Alliance dont les membres partagent des valeurs communes. Une Alliance dont les membres se sont engagés à se défendre mutuellement en cas d'agression. Une Alliance dans le cadre de laquelle les liens qui unissent l'Europe et l'Amérique du Nord ont été forgés il y a plus de soixante ans.

Mais le président Sarkozy a également affirmé, à juste titre, qu'un changement s’imposait. Que l'OTAN devait s'adapter aux nouveaux risques et aux nouvelles menaces qui pèsent sur notre sécurité. Que l'Alliance devait adapter ses capacités pour assurer la sécurité. Et que la mise en œuvre d'une défense européenne solide était essentielle pour l'avenir de l'OTAN aussi.

À l'époque, je partageais déjà ces priorités et je les partage encore aujourd'hui. Dans quelques semaines aura lieu le sommet de l'OTAN à Lisbonne. J'attends de ce sommet qu'il rende l'Alliance plus moderne, plus efficace et plus capable de collaborer avec ses partenaires dans le monde, en particulier l'Union européenne.

Tout d'abord, le sommet devra transformer la manière dont l'OTAN conçoit la défense. La tâche fondamentale de l'OTAN a toujours été et restera d'assurer la défense territoriale et la dissuasion. Cela implique que nous disposions de forces performantes en nombre suffisant. Et tant qu’il y aura des armes nucléaires dans le monde, l'OTAN devra demeurer une alliance nucléaire. Le nouveau concept stratégique doit être très clair sur ces points.

Mais la défense territoriale ne s'arrête plus à nos frontières. Aujourd'hui, il se peut qu'elle commence, par exemple, dans le district de Kapisa en Afghanistan, loin de chez nous, là où des soldats français œuvrent aux côtés de leurs Alliés pour défendre l'Europe contre le terrorisme.

Grâce aux opérations menées par l'OTAN, Al-Qaida ne possède plus de sanctuaire en Afghanistan à partir duquel elle pourrait lancer ses attaques contre nous. Il s'agit là d'un élément essentiel de la lutte contre le terrorisme international.

L'Alliance continuera de jouer pleinement son rôle dans la lutte contre le terrorisme, que ce soit par des opérations sur le terrain dans des zones à risques ou grâce à notre mission navale en Méditerranée, ou encore par le partage du renseignement.

La défense moderne commence aussi dans le cyberespace. Les cyberattaques peuvent paralyser les banques, les services publics ou encore le contrôle du trafic aérien d'un pays. Elles représentent une menace pour notre mode de vie. Et elles peuvent prendre une ampleur susceptible de mettre en péril les intérêts de sécurité fondamentaux d'un pays.

Cela n'est pas de la science fiction. Nous sommes confrontés chaque jour à des cyberattaques. Que ce soit le gouvernement français ou l'OTAN, qui est, croyez-moi, la cible d'une centaine d'attaques par jour.

Cela signifie qu'en tant qu'Alliance, nous devons moderniser nos défenses. Il s'agit là d'une menace transnationale, face à laquelle la meilleure réaction est la coopération multinationale. J'espère que le sommet de Lisbonne confiera un mandat clair à l'OTAN dans ce domaine.

J'espère également qu'à Lisbonne, nous pourrons décider que l'Alliance doit être capable de défendre les populations et le territoire de l'Europe contre les missiles.

À l'heure actuelle, plus de trente pays possèdent ou s'efforcent d'acquérir des missiles balistiques. Certains sont déjà en mesure d'atteindre l'Europe.

Nous ne pouvons pas ignorer ce problème. Il est réel. Il va en s'aggravant. Et nous devons avoir les moyens d’empêcher un tir de missiles sur l'une de nos villes et nous ne devons pas être l'otage d'un régime qui aurait les moyens et la volonté de nous attaquer ainsi.

Nous devons, selon moi, prendre la décision, en tant qu'Alliance, de construire un système capable de protéger les populations et le territoire de l'Europe contre les missiles.

La défense antimissile territoriale est indispensable à notre sécurité.

La défense antimissile est une démonstration d’une défense collective résolue.

La défense antimissile ne remplace toutefois pas la dissuasion, mais elle la complète.

Bien entendu, la question qui vient spontanément à l’esprit à propos de la défense antimissile est celle de son coût. E en tant qu'ancien ministre de l’économie, j'estime que cette question est tout à fait légitime. Et je pense également que l'on peut y apporter une réponse plutôt satisfaisante.

Les Alliés ont déjà décidé de construire un système permettant de protéger nos forces déployées contre une attaque de missiles. Élargir ce système pour qu'il puisse protéger l'ensemble de l'Europe coûterait moins de 200 millions d’euros supplémentaires, financés sur le budget commun de l'OTAN, sur dix ans, et à répartir entre vingt-huit nations. Cela me semble supportable, même en ces temps de restrictions budgétaires. En fait, c'est exactement le genre d'investissement qui s'avère judicieux – beaucoup de sécurité à un très bon prix.

Ceci m'amène à un deuxième domaine fondamental : la réforme. Le sommet de Lisbonne devra prendre des décisions et donner des orientations pour la poursuite des travaux.

Dans son discours du 11 mars 2009, le président Sarkozy a déclaré, à juste titre, que l'Alliance devait devenir plus efficace et assurer une plus grande sécurité en contrepartie des fonds investis dans la défense. C'était l'un des principaux arguments qui l'ont conduit à prendre la décision que la France devait prendre toute sa place au sein de l'OTAN.

Je partage tout à fait son point de vue. Et la crise financière a donné plus de poids encore à cet argument.

Je pense que la réforme de l'OTAN repose sur une base très solide.

L'OTAN apporte déjà d’excellents retours sur investissement à tous les Alliés.

L’OTAN est économique.

L'OTAN est un multiplicateur de forces.

Lorsque nous nous consultons, que nous achetons des équipements en commun, que nous menons des opérations ensemble, nous obtenons davantage de sécurité que si nous agissions seuls.

Cela nous semble une évidence. Mais nous ne devrions jamais l'oublier.

Bien entendu, nous pouvons et nous devons mieux faire.

Nous devons réformer la structure de commandement de l'OTAN, la rendre plus légère et plus efficace.

Nous devons rationaliser nos agences. L'Alliance possède quatorze organismes de soutien dénommés « agences » ; je pense que trois devraient nous suffire.

Nous devrions acheter et exploiter plus d'équipements ensemble, comme des avions ou des hélicoptères, qui sont trop coûteux pour les Alliés individuellement.

Nous avons pris un bon départ au cours de l'année écoulée. Mais la réforme n'est pas un événement ponctuel, c'est un processus qui doit se poursuivre. J'espère que le sommet de Lisbonne me donnera un mandat clair et solide pour poursuivre la réforme. Et je sais que je peux compter sur un soutien actif de la France pour mener à bien la réforme de l'Alliance.

Cependant, j'aimerais souligner que le mot « réforme » n'est pas un euphémisme pour « réductions ». J'ai pleinement conscience de la pression à laquelle sont soumis tous les gouvernements qui doivent réaliser des économies. Je sais aussi que les budgets de défense ne sont pas épargnés lorsque les ministres des Finances cherchent à réduire les dépenses.

Cependant, les dépenses de défense en Europe sont l'une de mes principales sources d'inquiétude. Les pays annoncent l'un après l'autre des coupes budgétaires dans ce domaine. Comme je l'ai dit, j'en comprends les raisons. Mais les effets cumulés seront considérables. Nous devons être bien conscients des risques qu’implique la diminution des budgets de défense; risques auxquels l'Union européenne est confrontée au même titre que l'OTAN.

Le président Sarkozy est un défenseur inconditionnel d'une défense européenne plus forte. Moi aussi. J'ai signé le Traité de Lisbonne en ma qualité de Premier Ministre du Danemark pour contribuer notamment à faire de l'Europe un acteur plus fort et plus performant sur la scène internationale.

Je crois profondément que l’Europe doit être capable d'agir tant sur le plan politique que militaire. Et je suis convaincu qu'une Union européenne forte dans ces domaines est bénéfique pour l'Alliance, en tant que partenaire de confiance sur le terrain, sans concurrence mais en pleine complémentarité.

Mais ce qui se passe aujourd'hui pourrait, selon moi, mettre à mal cette vision. Si les pays européens font des coupes excessives dans leurs budgets de défense, et s'ils le font de manière désorganisée, le Traité de Lisbonne pourrait devenir une coquille vide. L'Europe pourrait s'affaiblir, plutôt que de se renforcer.

Ce serait manifestement mauvais pour l'Europe, mais ce serait aussi mauvais pour l'OTAN et, de manière plus générale, pour les relations transatlantiques.

Ce serait mauvais sur le plan opérationnel, car les forces européennes auraient de plus en plus de difficultés à interagir avec les États-Unis sur le terrain.

Ce serait mauvais sur le plan politique également. Bon nombre d'Américains considèrent qu'il est injuste que les États-Unis assument une part toujours plus grande des responsabilités dans la défense de la sécurité internationale, bien qu'ils aient à faire face aux mêmes pressions budgétaires que nous tous.

Reconnaissons franchement qu'ils ont raison.

Il y a quelques années, les États-Unis craignaient une Europe trop forte. Aujourd'hui, c'est le risque d’une Europe qui serait faible qui les inquiète.

Certains pourraient hausser les épaules en entendant cela et dire que nous pouvons faire cavalier seul. Ce serait une grave erreur.

Tout d'abord, parce que l'Europe et l'Amérique du Nord partagent des valeurs fondamentales et que nous devons lutter ensemble pour les défendre.

Mais aussi parce que l'histoire, au siècle dernier, a montré clairement que l'Europe connaît davantage de stabilité et de paix quand les États-Unis y sont présents, au niveau politique et militaire.

Cela ne plaît pas à tout le monde. Mais c'est un fait.

Aujourd'hui, l'OTAN sert de cadre à cette présence. Nous devons préserver sa solidité.

Et à l'heure actuelle, cela requiert une Union européenne forte, et une relation solide entre l'UE et l'OTAN.

Par relation solide entre l'UE et l'OTAN, j'entends des consultations politiques plus larges. Une coopération accrue sur le terrain. Et une coordination entre les deux organisations en matière d'acquisition d'équipements de défense, afin d'éviter les doubles emplois et d'obtenir le meilleur rapport coût efficacité.

Ces démarches doivent se faire dans le respect de l'autonomie et des missions de chacune des deux organisations. Elles ne sont pas identiques. Mais elles ont vingt-et-un membres en commun. Et la manière dont elles coopèrent montre qu'il y a encore beaucoup de progrès à faire.

Mesdames et Messieurs,

La France a repris toute sa place dans l'Alliance atlantique, ce que je considère comme une étape historique. Cette décision a permis de dissiper les craintes persistantes quant à une éventuelle concurrence entre une Europe forte et une OTAN forte.

Elle traduit la reconnaissance du rôle important que joue la France au sein de notre Alliance, tant sur le plan politique que sur le plan militaire.

Et il s'agit d'un vote de confiance manifeste en faveur de l'OTAN, garant absolu de la sécurité de ses États membres, sur les deux rives de l'Atlantique.

L’OTAN est l’Alliance politico-militaire la plus efficace de tous les temps. J'ai la ferme intention de veiller à ce qu'elle le reste. C'est la raison pour laquelle j'espère et je crois que le sommet de Lisbonne tracera clairement la voie à suivre pour l'OTAN au cours de la prochaine décennie – une décennie d'engagement actif et de défense moderne.

Je vous remercie.