Relever ensemble les défis à venir
Discours prononcé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à l’université de Bucarest
C’est un grand plaisir pour moi d’être ici aujourd’hui et de vous présenter mes idées sur l’avenir de notre Alliance.
Il y a un an environ, alors que je me préparais à mes nouvelles fonctions de secrétaire général, j’ai consulté des ouvrages sur les origines de l’OTAN. C’est ainsi que mon attention a été attirée par un texte de Lester Pearson, ministre des Affaires étrangères du Canada et l’un des pères fondateurs de l’OTAN. Dans un article qu’il a publié en 1949, il donne l’une des définitions les plus brèves et les plus limpides des raisons de la création de l’Alliance : « La paix et la liberté ne peuvent être garanties que si ceux qui y sont attachés mettent en commun leurs ressources et restent solidaires ».
La solidarité qui unit en particulier les démocraties nord-américaines et européennes a déjà fait ses preuves à maintes reprises. La solidarité au sein de l’Alliance a empêché la Guerre froide de dégénérer en conflit ouvert. Elle a aussi apporté une garantie de sécurité qui a permis à d’anciens ennemis de devenir amis et de choisir la voie d’une intégration européenne toujours plus grande. Après la fin de la Guerre froide, cette solidarité a contribué à la construction de l’Europe en tant qu’espace de sécurité et de stabilité démocratique et uni.
C’est aussi grâce à la solidarité entre les Alliés qu’il a été mis fin aux guerres des Balkans dans les années 90 et que cette région a pu retrouver sa place dans le concert des nations européennes. Et aujourd’hui, la solidarité au sein de l’Alliance contribue à instaurer la stabilité en Afghanistan et à donner une nouvelle chance à ce pays déchiré par la guerre.
Il ne fait pas de doute que c’est avant tout en Afghanistan que cette solidarité doit se manifester. Jamais l’OTAN n’a entrepris une mission aussi exigeante et nombreux sont les Alliés qui ont subi de lourdes pertes. Il est donc d’autant plus rassurant de constater que non seulement nos pays membres continuent d’être solidaires, mais qu’ils augmentent même leur contribution. La Roumanie est à cet égard un cas exemplaire et je tiens à profiter de l’occasion qui m’est donnée pour la remercier de sa contribution actuelle mais aussi de la décision qu’elle a prise récemment d’augmenter cette contribution dans les prochains mois.
La logique qui préside à la décision de la Roumanie est simple mais imparable : nous devons en faire plus maintenant pour pouvoir en faire moins plus tard. Les effectifs de la FIAS continueront d’augmenter cette année. Un nombre toujours plus grand de pays participent à la mission – ils sont aujourd’hui 46.
Ensemble, nous protégerons la population et couperons l’herbe sous le pied des insurgés. Nous commencerons ensuite à transférer des responsabilités supplémentaires de sécurité aux forces afghanes elles-mêmes, district par district, province par province. Et à mesure que l’armée et la police afghanes gagneront en force et en efficacité, la FIAS réduira ses propres opérations de sécurité et se consacrera davantage au soutien et à la formation des Afghans.
L’Afghanistan restera longtemps encore notre priorité opérationnelle. Mais si nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réussir en Afghanistan, nous ne devons pas pour autant négliger les autres situations de sécurité qui risquent de nous concerner. Bref, nous devons relever les défis actuels, mais aussi regarder vers l’avenir.
La vrai question à se poser concernant l’avenir n’est pas : « Que devrais-je faire demain ? », mais plutôt : « Que devrais-je faire aujourd’hui pour relever les défis de demain ? »
Regardons au-delà de l’Afghanistan. Considérons certains des autres défis de sécurité auxquels nous devrons faire face, défis pour lesquels il est indispensable d’intervenir dès maintenant : je pense à la prolifération, à la sécurité énergétique et à la cyberdéfense.
Commençons par la prolifération. Les tendances actuelles montrent bien que la menace que fait peser la prolifération est réelle et qu’elle grandit – en effet, une trentaine de pays possèdent ou développent des moyens permettant de lancer des missiles dont la portée est de plus en plus grande. Dans de nombreux cas, ces missiles pourraient finir par menacer nos populations et nos territoires. Et plusieurs pays cherchent à se doter de l’arme nucléaire. Tout cela pourrait avoir des conséquences tragiques.
Prenons le cas de l’Iran. Téhéran poursuit ses activités nucléaires au mépris de plusieurs résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU. Et parallèlement à ces projets nucléaires, l’Iran mène un vaste programme de développement de missiles. Des responsables iraniens affirment que leurs missiles Shahab-3 modifiés ont un rayon d’action de 2000 km, ce qui met déjà à leur portée des pays de l’Alliance comme la Turquie, la Grèce, la Bulgarie – et la Roumanie.
Qu’est-ce que cela signifie pour notre Alliance ? Deux choses.
Tout d’abord que nous devons maintenir une dissuasion nucléaire appropriée. J’aimerais que nous vivions dans un monde dénucléarisé. C’est la vision à laquelle j’adhère et nous devons œuvrer en ce sens. Mais il nous faut reconnaître que les armes nucléaires ne sont pas près de disparaître. Et tant qu’elles existeront, nous devrons en empêcher l’utilisation.
En outre, nous devons appréhender la défense antimissile sous un angle nouveau : en effet, elle ne vise pas à remplacer la dissuasion nucléaire, mais à la compléter.
Les États-Unis ont déjà un système de défense antimissile. Certains Alliés européens ont les moyens de protéger des forces déployées contre des attaques de missiles. Mais il nous faut aussi bien sûr protéger nos populations – toutes nos populations.
Si nous parvenions à relier les systèmes nationaux pour constituer un bouclier antimissile à l’échelle de l’OTAN qui protégerait tous nos Alliés, cela constituerait une démonstration très forte de la solidarité entre les membres de l’OTAN au XXIe siècle. Mieux encore, cela pourrait être le catalyseur d’une nouvelle dynamique de la sécurité européenne et euro-atlantique. Comment ? En coopérant avec la Russie.
Je sais parfaitement que, face à la défense antimissile, la Russie a une attitude qui oscille entre hostilité et ambivalence. Et je suis également conscient des obstacles techniques qu’il faudra surmonter pour relier nos systèmes.
Mais je ne pense pas que ces obstacles soient insurmontables. Lorsque la Russie commencera elle-même à ressentir les effets de la prolifération, je suis certain qu’elle considérera la défense antimissile comme une chance et non plus comme une menace. Et ce qui peut paraître aujourd’hui une proposition audacieuse sera peut-être demain une idée acceptée par la majorité : un dispositif de sécurité à construire ensemble, à soutenir ensemble et qui nous protège tous – grâce au raccordement de nos systèmes.
Mon deuxième exemple est la sécurité énergétique. Nous devons apprendre à mieux apprécier le volet sécurité. L’Amérique du Nord et l’Europe sont de plus en plus tributaires de l’énergie importée. Cette dépendance peut mettre un pays à la merci d’un chantage politique et économique. L’interruption des approvisionnements énergétiques peut gravement déstabiliser le tissu économique et social d’un pays. Et un nombre croissant de pays sont tributaires de modes d’acheminement vulnérables, comme les oléoducs et les superpétroliers.
C’est pourquoi la sécurité énergétique est devenue un sujet de débat légitime de notre Alliance – non seulement entre Alliés, mais aussi entre Alliés et pays partenaires.
Il est clair que la sécurité énergétique est un problème complexe qui fait intervenir producteurs, consommateurs et pays de transit. C’est pourquoi on ne pourra pas appliquer la même approche à toutes les situations. Il n’est pas non plus question d’accorder une importance excessive à l’aspect militaire de ce défi. La sécurité énergétique n’est certainement pas un appel aux armes, mais elle nous incite à réfléchir en nous projetant dans l’avenir.
Pour vivre en sécurité demain, il faut agir dès aujourd’hui. C’est pourquoi il nous faut prendre davantage conscience de la contribution que peut apporter l’OTAN à la sécurité énergétique. Car nous avons plus à offrir qu’on ne le pense généralement.
L’OTAN est un mécanisme unique qui permet de rassembler des informations de différentes origines. Grâce à nos partenariats, nous avons noué des relations de confiance avec de nombreux pays producteurs d’énergie. Nous avons les moyens de protéger des infrastructures énergétiques critiques. Nous avons une expérience dans le domaine de la gestion des conséquences, par exemple lorsqu’il s’agit d’atténuer les effets d’accidents. Nous pouvons dans ce domaine offrir aux pays intéressés formations et renforcement des capacités. Et nous avons à notre actif une solide expérience de la sécurité maritime – une expérience qui s’étend même aujourd’hui à la lutte contre la piraterie.
Mon troisième exemple est la cyberdéfense. Il n’y a pas d’autre domaine dans lequel la nécessité d’agir aujourd’hui plutôt que demain soit plus évidente. Une cyberattaque bien orchestrée peut provoquer une panne générale d’électricité dans votre maison, votre ville, votre pays. Elle peut paralyser le contrôle de la circulation aérienne et bloquer les transactions bancaires. Bref, une cyberattaque peut provoquer l’effondrement d’un pays sans qu’un seul soldat n’ait eu à franchir ses frontières.
Il ne s’agit pas de science-fiction, mais de la réalité. Il y a trois ans, notre Alliée l’Estonie a été victime d’une cyberattaque coordonnée qui a temporairement empêché l’État, les organismes financiers et les médias de fonctionner. Plusieurs autres pays membres et pays partenaires ont connu des attaques semblables, mais n’ont pas subi de perturbations aussi graves.
Il n’est donc pas exagéré de dire que les cyberattaques sont devenues une nouvelle forme de guerre larvée permanente. Le siège de l’OTAN par exemple est la cible de 100 attaques par jour.
Nous étudions bien sûr les menaces en provenance de l’Internet depuis bien avant l’attaque contre l’Estonie. Mais il faut reconnaître que cette attaque a été un coup de semonce. Depuis lors, nous avons considérablement amélioré nos méthodes. Nous pouvons répondre aux attaques de manière concertée et apporter une aide immédiate et efficace aux Alliés qui en font la demande.
Surtout, nous avons mis en place en Estonie le Centre d’excellence OTAN pour la cyberdéfense. Nous disposons ainsi d’un cadre qui nous permet de mettre au point des ensembles de mesures pratiques et de partager les enseignements tirés et les méthodes optimales – tant entre Alliés qu’avec les partenaires.
Ces mesures sont importantes. Mais j’estime qu’elles ne vont pas assez loin. Il nous faut disposer de moyens qui permettront de déceler une attaque dès ses prémices et de mieux en détecter l’origine. Je voudrais aussi voir les membres de l’OTAN coopérer encore plus étroitement entre eux, avec les pays partenaires, avec l’industrie et avec d’autres organisations internationales.
Mesdames et messieurs,
La défense antimissile, la sécurité énergétique et la cyberdéfense sont des domaines nouveaux pour l’OTAN. Et nous devons y travailler alors que d’autres tâches pressantes – notamment notre mission en Afghanistan – réclament notre attention sur le plan politique et exigent des ressources financières. Cela soulèvera inévitablement des questions sur le bon équilibre entre les différentes tâches de l’Alliance.
Nous décrirons dans un nouveau concept stratégique les tâches fondamentales de l’OTAN. Dans quelques jours, un groupe d’experts dirigé par Madeleine Albright remettra un rapport contenant des propositions et des recommandations. Ce rapport servira de base à mon premier projet de nouveau concept. Je soumettrai mon projet en septembre après avoir consulté les Alliés. Ce nouveau concept stratégique devrait voir le jour au sommet de Lisbonne en novembre.
Je ne vais pas préjuger du contenu du nouveau concept stratégique. Mais je serai très clair sur un point : nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de mettre en attente des questions telles que la défense antimissile, la sécurité énergétique ou la cyberdéfense – car les nouveaux défis n’attendent pas que nous soyons prêts à les relever. Nous avons la mission – je dirais même le devoir - de nous préparer. Nous devons regarder vers l’avenir pour empêcher que ne se produisent des situations dangereuses ou pour en atténuer les conséquences.
En résumé, nous devons aligner notre action sur l’observation que Lester Pearson a formulée en 1949 : « La paix et la liberté ne peuvent être garanties que si ceux qui y sont attachés mettent en commun leurs ressources et restent solidaires »
Oui, ce texte a été écrit il y a 61 ans. Certes, le monde a beaucoup changé depuis lors et les défis de sécurité auxquels nous sommes confrontés sont entièrement nouveaux. Mais l’appel à la mise en commun des ressources et à la solidarité – la solidarité au sein de l’Alliance - est aussi indispensable aujourd’hui qu’il l’était hier.
Je vous remercie.