L'OTAN et la Russie : partenaires pour l'avenir

Discours prononcé par le secrétaire général à l'Institut d'État des relations internationales de Moscou.

  • 17 Dec. 2009
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  • Mis à jour le: 07 Jan. 2010 15:34

Cher professeur Torkounov,
Cher Monsieur Trenine,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les membres de la Douma,
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Je suis particulièrement heureux d’être ici, et je voudrais commencer par remercier le MGIMO pour son invitation. La renommée de votre institut dans la sphère internationale n’est plus à faire et je me réjouis de pouvoir y prononcer mon premier discours en Russie en tant que secrétaire général de l’OTAN. En effet, j’étais impatient de vous rencontrer, vous qui étudiez ici et en qui je vois de futurs dirigeants, que ce soit en Russie ou ailleurs dans le monde. Je remercie également le Centre Carnegie pour sa contribution à l’organisation de cette manifestation.

Mais j’ai bien entendu une autre bonne raison de me réjouir d’être à Moscou. Les discussions qui figurent au programme de ces deux jours aideront à réaliser l’une des priorités que je me suis fixées dès les premières heures dans mes nouvelles fonctions, à savoir œuvrer à la transformation des relations OTAN-Russie en un véritable partenariat stratégique. Je me suis déjà longuement entretenu de cette question avec les dirigeants russes, à commencer par le Président Medvedev, le Premier ministre Poutine et le Ministre Lavrov. Et c’est de ce même sujet que je souhaite vous parler aujourd’hui.

Il y a une chose que vous ne savez peut-être pas, mais en fait j’ai une double casquette : l’une est celle de secrétaire général de l’OTAN, l’autre celle de président du Conseil OTAN-Russie – un organe où les 28 pays membres de l’OTAN et la Russie se retrouvent afin de débattre « à 29 », en toute égalité, des défis de sécurité communs et d’examiner comment agir ensemble pour y faire face.

Je dois vous avouer que, lorsque je réfléchissais à ma candidature au poste de secrétaire général de l’OTAN, la seconde fonction me tentait aussi beaucoup. En effet, je crois que les jalons d’un véritable partenariat pour la sécurité entre l’OTAN et la Russie sont déjà posés. Et je pense qu’une relation de confiance entre nos 29 pays peut faire énormément pour sécuriser la Russie, tout comme pour sécuriser les pays de l’Alliance, et aussi pour promouvoir réellement la sécurité mondiale.

Je sais que les étrangers qui viennent faire un discours en Russie sont souvent tentés de citer de grands auteurs de la littérature classique russe, comme Tolstoï, Pouchkine ou encore Dostoïevski. J’aimerais pour ma part me référer à une page tirée de l’œuvre des célèbres auteurs de science-fiction que sont les frères Strougatski, et tenter d’imaginer l’avenir. Ensuite, j’examinerai ce que nous devons faire pour nous y projeter.

Je vais donc essayer de dépeindre les futures relations OTAN-Russie… mettons en 2020. Dans ma vision, la coopération OTAN-Russie en matière de sécurité sera à cette date un trait marquant du paysage de la sécurité internationale. Nous partagerons les données du renseignement et nous collaborerons dans la lutte contre le terrorisme et le trafic de drogue. Nos forces navales coopéreront étroitement pour lutter contre la piraterie, tandis que des soldats russes seront déployés aux côtés des soldats de l’OTAN dans le cadre de missions de maintien de la paix menées sous mandat de l’ONU.

Je pense aussi que, d’ici à 2020, la coopération entre l’OTAN et la Russie en matière de défense antimissile se sera développée au point qu’il sera possible de relier nos systèmes et de créer ainsi un véritable bouclier antimissile dans la région euro-atlantique, ce qui non seulement nous protégera tous contre la prolifération, mais en outre instaurera entre nous un lien politique.

Enfin, je pense que le Conseil OTAN-Russie sera une importante enceinte de débat pour les questions de sécurité européenne et internationale. Un lieu propice à des discussions franches et ouvertes, à des débats ciblés et à des décisions pragmatiques.

Il y a des personnes qui disent que, quand on a des visions, on ferait bien de consulter un médecin. Et je peux imaginer que ma vision des « relations OTAN-Russie en 2020 » peut sembler à certains aussi fantastique que l’œuvre des frères Strougatski. Mais si ce que je viens de dire est sans doute ambitieux, je crois que c’est à la fois réalisable et souhaitable.

Et quand je dis souhaitable, je parle non seulement en tant que secrétaire général de l’OTAN, mais aussi avec ma casquette de président du Conseil OTAN-Russie. Je suis en effet convaincu que de meilleures relations entre l’OTAN et la Russie répondent aux intérêts directs de sécurité de la Russie tout autant qu’à ceux des 28 autres membres du COR.

Je voudrais faire une déclaration claire et nette en tant que secrétaire général : l’OTAN n’attaquera jamais la Russie. Jamais. Et nous ne pensons pas que la Russie attaquera l’OTAN. Nous avons cessé d’avoir des inquiétudes à ce sujet, et la Russie devrait elle aussi cesser d’en avoir.

Si nous parvenons à instaurer une relation de confiance réelle entre les partenaires au sein du COR, la Russie pourra cesser de nourrir des inquiétudes à propos d’une menace en provenance de l’Occident, qui est tout simplement inexistante. Elle pourra affecter ses ressources à la défense contre les menaces réelles auxquelles elle est exposée – comme le terrorisme, l’extrémisme, la prolifération de missiles et d’armes de destruction massive, ou encore le trafic de drogue.

Étant donné que les pays de l’OTAN sont précisément exposés aux mêmes risques, la Russie pourra compter sur les autres membres du COR en tant que véritables partenaires. Ensemble, nous pourrons contribuer de manière concrète et substantielle à préserver nos citoyens des dangers qui les menacent réellement aujourd’hui, au lieu de nous battre contre les fantômes du passé.

Mais pour y parvenir, nous devons envisager nos relations d’une autre manière. Je voudrais vous donner un exemple : celui de la politique de la porte ouverte de l’OTAN. Ce n’est pas un exemple anodin, parce que je sais bien que beaucoup de personnes, ici en Russie, croient y déceler une stratégie délibérée d’encerclement de leur pays.

Je dois vous dire que ceci n’est pas vrai. Je ne parviendrai sans doute pas à convaincre toutes les personnes présentes dans cette salle, mais je vais quand même tenter de vous expliquer pourquoi je pense que la Russie doit envisager la politique de la porte ouverte de l’OTAN d’une autre manière.

Un principe constant des relations internationales – que la Russie elle-même s’est plu à rappeler à de nombreuses reprises – veut que chaque État souverain ait le droit de fixer sa propre politique de sécurité et de choisir ses propres alliés. Ce principe, qui est à la base même de la souveraineté, doit être respecté. C’est pourquoi, lorsqu’un pays demande à adhérer à l’OTAN, l’Alliance a l’obligation, à tout le moins, d’examiner cette demande d’adhésion.

Ceci veut-il dire que l’OTAN s’emploie activement à démarcher de nouveaux membres ? En aucun cas. Mais si une démocratie européenne souhaite adhérer à l'Alliance, elle a le droit de poser sa candidature – même si, tout comme l’Union européenne, l’OTAN impose des normes qui doivent être respectées pour en franchir le seuil.

Passons à la question suivante : aujourd’hui, plus de vingt ans après la chute du Mur de Berlin, la Russie est-elle plus menacée parce que des États démocratiques d’Europe centrale et orientale ont adhéré à l’Alliance ?

Je crois que c’est l’inverse qui est vrai. Suite à l’adhésion à l’OTAN de pays voisins de la Russie en 1999 et en 2004, celle-ci a été assurée d’une frontière stable à l’ouest. Et cette stabilité, de même que l’adhésion de ces pays à l’Union européenne, a favorisé la confiance des investisseurs, la croissance économique et la prospérité.

Le résultat ? La Russie exporte onze fois plus qu’auparavant vers les nouveaux pays membres de l’OTAN et ses importations en provenance de ces pays ont quintuplé. Nos échanges commerciaux sont donc en forte augmentation. L’an dernier, la Pologne a été non seulement le deuxième importateur de produits en provenance de Russie, elle a aussi été le sixième exportateur vers la Russie. Les investissements étrangers directs de la Russie dans les nouveaux États membres de l’OTAN ont presque doublé entre 2007 et 2008. Les échanges culturels, les échanges d’étudiants et d’autres types de coopération transfrontière se sont aussi considérablement développés.

À mon avis, tout cela n’a rien de fortuit. Lorsqu’un pays sait qu’il n’est pas menacé, lorsqu’il se sent en sécurité chez lui, il acquiert une plus grande stabilité politique et économique, et la confiance qu’il éprouve l’encourage à nouer des relations constructives avec tous les pays voisins. C’est pourquoi je crois fermement que l’entrée de nouveaux membres dans l’OTAN – et l’élargissement de l’Union européenne – ont été profitables à la sécurité européenne et continueront de l’être. Et la Russie en a aussi tiré profit.

Les idées désuètes qui circulent sur la politique de la porte ouverte de l’OTAN détournent notre attention des vrais problèmes, mais ce n’est qu’un exemple parmi d’autres. J’estime que nous devrions nous concentrer moins sur les soupçons que nous nourrissons les uns à l’égard des autres et plus sur ce que nous pouvons faire ensemble. Nous sommes en effet tous confrontés aux mêmes menaces réelles. Des menaces immédiates. Et la plus évidente d’entre elles est l’Afghanistan.

Des soldats de l’OTAN se battent et meurent en Afghanistan pour faire échec à l’extrémisme, au terrorisme et au fléau de la drogue qui, si l’on n’intervenait pas, se propageraient à l’Asie centrale et, de là, à la Russie. L’échec coûterait cher. Nous le savons. La Russie le sait aussi.

Je me réjouis de la coopération que nous avons menée jusqu’à présent. Il nous faut encore l’intensifier. Je pense que l’Afghanistan doit être la pièce maîtresse de notre partenariat en 2010. Nous devons examiner ce que nous pouvons faire de plus ensemble pour former les Afghans afin qu’ils puissent assurer la sécurité de leur pays, leur fournir le matériel dont ils ont besoin pour combattre, empêcher l’arrivée de la drogue dans nos écoles et nos banlieues, et soutenir la mission dirigée par l’OTAN sous mandat de l’ONU.

Il s’agit d’un combat commun, et nous devons l’intensifier. J’ai fait trois propositions précises à mes interlocuteurs russes au cours de ma visite. Tout d’abord, la Russie pourrait-elle assumer un rôle de chef de file en ce qui concerne les hélicoptères des forces afghanes, depuis la fourniture des appareils jusqu’à leur approvisionnement en pièces de rechange et en carburant, en passant par la formation des pilotes ? Un tel programme de soutien doterait les Afghans d’une capacité concrète qui leur manque.

En second lieu, l’OTAN s’apprête à former non seulement l’armée, mais aussi la police afghane. Peut-être la Russie pourrait-elle apporter son aide à l’OTAN et aux Afghans en formant des policiers sur le territoire russe.

Troisièmement, je pense que nous pourrions intensifier la formation des responsables de la lutte antidrogue. La drogue en provenance d’Afghanistan tue chaque année plus de 100 000 personnes et fait notamment de nombreuses victimes ici en Russie. C’est, pour tous nos pays, une véritable tragédie. Il est dans notre intérêt bien compris de conjuguer davantage nos efforts pour lutter contre ce fléau.

Certains penseront qu’il est quelque peu paradoxal que l’Afghanistan puisse devenir le cheval de bataille de la coopération entre l’Occident et la Russie. Ça l’est en effet. Mais nous vivons dans un monde nouveau. Et si nous voulons en faire un monde meilleur, il nous faut trouver de nouvelles façons de travailler ensemble.

Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Permettez-moi de faire trois suggestions.

Premièrement, nous devons dresser ensemble une liste des menaces auxquelles nous sommes confrontés au XXIe siècle – une nouvelle liste sur laquelle, je vous le garantis, nous ne figurerons ni l’un ni l’autre. Il y a deux semaines, nous avons décidé de lancer une revue conjointe des défis de sécurité communs du XXIe siècle auxquels l’OTAN et la Russie sont confrontées. Nous sommes convenus de nous pencher plus particulièrement sur la lutte contre le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, la piraterie, et les menaces dont l’origine est en Afghanistan. Nous devons nous mettre au travail sur cette base.

Deuxièmement, nos stratégies et nos doctrines doivent être aussi transparentes que possible. Comme vous le savez sans doute, l’OTAN élabore actuellement un nouveau concept stratégique. J’ai demandé à un groupe d’experts internationaux, dirigé par l’ancienne secrétaire d’État américaine, Mme Madeleine Albright, de soumettre des recommandations. Ce groupe d’experts devrait venir à Moscou au début de l’année prochaine pour exposer ses idées et en débattre.

J'encourage chacun d’entre vous à faire connaître son point de vue par l’intermédiaire de notre site web. Ceci dit, je pense aussi que la transparence doit jouer dans les deux sens. Le point de vue de l’OTAN pourrait être utile à l’élaboration de la nouvelle doctrine militaire de la Russie. Est-il vraiment nécessaire de présenter l’OTAN, dans les principaux documents russes, comme une grave menace pour la sécurité du pays ? La Russie prend-elle la pleine mesure du message que transmettent des exercices militaires s’appuyant sur un scénario d’invasion d’un petit pays membre de l’OTAN ? Je puis vous assurer que le processus d’élaboration de notre stratégie sera transparent et j’espère que la Russie fera preuve de la même ouverture à l’égard de l’OTAN.

Troisièmement, et c’est ma dernière suggestion, nous devons faire en sorte que le Conseil OTAN-Russie fonctionne correctement et efficacement. Nous avons adopté récemment quelques améliorations. Je vous ferai grâce des détails de cette réorganisation, mais il y a un point important que je tiens à souligner. Nous avons réaffirmé qu’il fallait passer par le COR pour débattre des préoccupations légitimes que pourrait avoir l’un de nos pays. Il importe en effet que le COR soit une enceinte dans laquelle les 29 pays considèrent qu’ils ont leur place et où ils peuvent s’exprimer.

À mon avis, nous n’avons pas encore étudié toutes les possibilités qu’offre le COR pour répondre aux besoins de l’ensemble de ses membres, y compris ceux de la Russie. Je suis convaincu que ces possibilités existent en filigrane : dans l’Acte fondateur OTAN-Russie de 1997, qui a établi officiellement nos relations, et dans la Déclaration de Rome de 2002, qui a instauré un niveau de coopération nouveau entre partenaires égaux.

Nous avons décidé par exemple que si l’un de nos pays constate l’existence d’une menace pour son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité, nous consulterons sans retard le COR. Nous sommes convenus que la sécurité de tous les États de la région euro-atlantique est indivisible. Nous nous sommes engagés à observer de bonne foi les obligations qui sont les nôtres en vertu du droit international. Nous avons tous souscrit au principe selon lequel les démocraties libres peuvent choisir leur avenir. Et nous nous sommes engagés à plusieurs reprises à respecter l’intégrité territoriale des États.

Ces principes sont importants. Et les documents que je viens de citer en contiennent beaucoup d’autres. Tous ces principes constituent un ensemble d’engagements politiques qui, selon moi, sont susceptibles de développer la confiance et la coopération au sein du COR. Nous pourrons ainsi faire de celui-ci un élément essentiel de l’architecture de sécurité euro-atlantique au XXIe siècle.

Le président Medvedev a proposé un nouveau traité de sécurité européenne. Nous pouvons bien sûr aussi en parler dans le cadre du COR. Mais l’enceinte qui s’impose logiquement pour ce type de débat, c’est l’OSCE, qui rassemble tous les pays qui ont un intérêt à débattre des idées du président Medvedev. C’est pourquoi j’approuve la décision prise ce mois-ci à la réunion du Conseil ministériel de l’OSCE à Athènes de poursuivre le travail sur ces propositions.

Mesdames et Messieurs,

Je vous ai fait part en commençant de ma vision de ce que pourraient être nos relations dans dix ans. Je suis parfaitement conscient de ce que, pour concrétiser cette vision, un profond changement s’impose dans notre façon de penser et d’agir. Mais, à coup sûr, ce n’est pas dans le passé que se trouve la clé des relations OTAN-Russie. Si nous voulons plus de sécurité, si nous entendons investir nos ressources de la meilleure manière possible, nous devons tourner nos regards vers l’avenir.

Au début du XXe siècle, un inventeur américain à qui on demandait pourquoi il s’intéressait tellement à l’avenir a fait cette réponse très pertinente : « je m’intéresse à l’avenir parce que c’est là que je passerai le reste de ma vie ». Cette réponse pourrait nous servir de devise. Nous devons réfléchir à ce qu’il faut faire pour construire un avenir meilleur et plus sûr – et puis, nous devons commencer à édifier cet avenir. Commencer dès aujourd’hui.

Merci.