Le soutien de l’Allemagne au partage du nucléaire est vital pour protéger la paix et la liberté

Tribune libre du secrétaire général de l'OTAN, Jens Stoltenberg

  • 11 May. 2020 -
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  • Mis à jour le: 12 May. 2020 10:45

Première publication dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung le 11 mai 2020

NATO Secretary General Jens Stoltenberg

Le coronavirus compte parmi les pires menaces auxquelles le monde est confronté depuis la Seconde Guerre mondiale. Néanmoins, cela ne signifie pas que les autres menaces aient disparu. L’environnement de sécurité qui prévaut aujourd’hui est le plus difficile depuis une génération. Aux quatre coins de la planète, le terrorisme subsiste, les régimes autoritaires défient les démocraties libérales, et l’on constate à la fois la prolifération d’armes nucléaires vers des pays tels que la Corée du Nord et la persistance d’actions agressives de la part de la Russie.

Ces dernières années, la Russie a investi massivement dans ses capacités militaires, en particulier dans son arsenal nucléaire. Alors que l’OTAN voit dans sa propre dissuasion nucléaire un outil essentiellement politique, la Russie a quant à elle résolument intégré son arsenal nucléaire dans sa stratégie militaire. La Russie a positionné des missiles à capacité nucléaire à Kaliningrad, à seulement 500 kilomètres de Berlin. Elle a menacé de frappes nucléaires des Alliés tels que le Danemark, la Pologne et la Roumanie. Elle a en outre annexé par la force et en toute illégalité une partie de l’Ukraine, un pays dont elle s’était précédemment engagée à respecter les frontières en échange de l’abandon par Kiev de son propre dispositif de protection nucléaire.

Cette attitude est diamétralement opposée à celle de l’OTAN, qui œuvre à l’avènement d’un monde sans armes nucléaires par des mécanismes efficaces de maîtrise des armements, de désarmement et de non-prolifération. Et nous avons engrangé de belles avancées sur cette voie. Depuis la fin de la Guerre froide, l’OTAN a réduit le nombre d'armes nucléaires en Europe d’environ 90 %. Il s’agit là d'un résultat majeur.

Alors que la Russie a violé de façon flagrante le traité FNI, en déployant un nouveau missile de portée intermédiaire capable d’atteindre des capitales européennes avec un délai d’alerte très court, l’OTAN a pour sa part clairement indiqué qu’elle n’a pas l’intention de chercher à déployer de missiles nucléaires basés à terre en Europe. Nous maintiendrons une dissuasion et une défense efficaces, notamment dans le cadre de notre dissuasion nucléaire existante.

C’est la raison pour laquelle je salue l’engagement clair témoigné par l’Allemagne envers l’OTAN et envers notre dissuasion nucléaire. Cet engagement est d’autant plus important que l’Europe vient de célébrer le 75e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Notre Alliance s’est construite sur les ruines de cette guerre dévastatrice, avec l’objectif de garantir la paix et la liberté pour les générations futures. L’Allemagne a accédé à notre Alliance tout juste dix ans après la fin de la guerre, le 6 mai 1955. Depuis lors, elle est un membre très apprécié de la famille OTAN, avec tous les avantages et les responsabilités que cela implique.

Notre dissuasion nucléaire demeure un élément vital pour préserver la paix et la liberté de nos pays. Elle est vitale pour la sécurité de l’ensemble de l’Alliance, pour l’Allemagne, pour ses voisins, pour ses amis et pour les Alliés, qui ont tous des préoccupations légitimes en matière de sécurité et qui bénéficient tous de la protection conférée par la dissuasion nucléaire de l’OTAN.

Le partage du nucléaire constitue un volet important de notre stratégie de dissuasion nucléaire. Il s’agit d'un arrangement multilatéral OTAN qui garantit le partage entre Alliés des avantages, des responsabilités et des risques liés à la dissuasion nucléaire. Sur le plan politique, ce dispositif a une portée majeure. Il signifie que les Alliés participants, comme l’Allemagne, prennent des décisions communes sur la politique et les plans nucléaires et maintiennent les équipements voulus. Il a également toujours constitué une mesure de confiance importante pour les voisins de l’Allemagne. Le fait que nos procédures, notre doctrine et nos exercices soient communs donne aux Alliés, sur les questions nucléaires, une voix dont ils ne disposeraient pas sans cela.

Par ailleurs, les arrangements de l’OTAN pour le partage du nucléaire contribuent directement à la non-prolifération. Depuis de nombreuses décennies, ils offrent aux Alliés européens un parapluie nucléaire efficace. Cet élément a joué un rôle essentiel dans la mise en place du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, qui évite la propagation de ces armes, puisqu’il a ôté à certains pays des raisons de développer leur propre capacité nucléaire. Si nos arrangements pour le partage du nucléaire prenaient fin, davantage de pays pourraient de nouveau chercher à se doter d’armes nucléaires, ce qui engendrerait une dégradation et non une amélioration de la sécurité mondiale.

Tous les Alliés apprécient le rôle que joue l’Allemagne dans les arrangements de l’OTAN pour le partage du nucléaire. Depuis le début, ce pays met à disposition des avions à double capacité pour la mission nucléaire de l’Organisation. Forte de dizaines d’années d’expérience de la coopération avec d’autres Alliés, l’Allemagne assure un leadership important. Si l'on veut garantir la sécurité de tous les Alliés, il est essentiel que les pays participant au partage du nucléaire jouent pleinement leur rôle. À cette fin, ils doivent disposer d’avions performants à même d’appuyer notre mission de dissuasion nucléaire. 

L’OTAN unit les pays démocratiques dans la défense de ses valeurs – la liberté et l’état de droit. L’engagement des Alliés envers leur sécurité mutuelle demeure inébranlable. Notre solidarité fait notre force, et l’expression ultime de cette solidarité reste notre dissuasion nucléaire.

Les armes nucléaires de l'OTAN ont pour objectif non pas de provoquer un conflit mais bien de préserver la paix, de dissuader toute agression et de prévenir les actions coercitives. Notre Alliance souhaite l’avènement d'un monde sans armes nucléaires ; malheureusement, les conditions ne sont pas réunies à l’heure actuelle. Un monde dans lequel la Russie, la Chine et d'autres pays disposent d’armes nucléaires alors que l’OTAN n’en possède pas n’est tout simplement pas un monde plus sûr. 

Voilà pourquoi, comme l'ont décidé tous les Alliés, l'OTAN restera une alliance nucléaire aussi longtemps que les armes nucléaires existeront. Pour préserver la paix et la liberté de nos pays.