"OTAN-Russie : pourquoi la transparence est essentielle"

Tribune libre du secrétaire général délégué de l'OTAN, M. Alexander Vershbow

  • 16 Aug. 2016 -
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  • Mis à jour le: 16 Aug. 2016 18:24

Première publication dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung le 16 août 2016

Œuvrant depuis près de quarante ans aux relations entre la Russie et l'Occident, notamment en tant qu'ambassadeur des États-Unis à Moscou et en tant que secrétaire général délégué de l’OTAN, j'ai été témoin de moments de tension. Pourtant, il est difficile de trouver une période, en tout cas depuis la fin de la Guerre froide, où les relations aient été aussi tendues qu'aujourd'hui.

Le fait est qu'en annexant la Crimée, de manière illégale et illégitime, et en soutenant - encore aujourd'hui - les séparatistes dans l'est de l'Ukraine, la Russie a ébranlé l'ordre de sécurité européen que, depuis longtemps, nous considérions tous comme acquis. Pour la première fois depuis 1945, une puissance européenne a cherché à modifier par la force des frontières entre États.

Ces derniers mois, nous observons en outre des nouveaux déploiements permanents tout le long de la frontière occidentale de la Russie avec les pays de l'OTAN, de la mer de Barents à la mer Baltique, et de la mer Noire à la Méditerranée. On estime actuellement à 300 000 le nombre de soldats russes basés dans le district militaire Ouest, et, en mai, le ministre russe de la Défense, M. Sergueï Choïgou, a annoncé le déploiement d'encore trois divisions, soit 30 000 soldats supplémentaires. Ces forces ont l'appui de nouvelles bases aériennes, de forces navales et de missiles à courte portée à capacité nucléaire.

Nous assistons également à toute une série d'exercices militaires de grande envergure, parmi lesquels des exercices impromptus, qui, dans certains cas, ont mobilisé plus de 100 000 militaires, un effectif plus de deux fois supérieur à celui du plus grand exercice qu'ait organisé l'OTAN depuis la fin de la Guerre froide. En outre, des avions de combat russes sont venus frôler des navires et des avions de pays de l'OTAN, comportement pour le moins irresponsable.

Par ailleurs, la Russie a décidé de suspendre l’application du Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe et fait figure de mauvaise élève dans l'observation des autres accords de sécurité internationaux en vigueur de longue date - auxquels elle est partie -, comme le Document de Vienne, le traité Ciel ouvert et l'Acte final d'Helsinki. Elle a ainsi contribué à porter les tensions à un niveau qui n'avait plus été atteint depuis les années 1980.

L'OTAN a réagi de manière ferme et transparente. Au récent sommet de Varsovie, l'Alliance a annoncé le déploiement, par rotation, de quatre bataillons multinationaux - soit plusieurs milliers de soldats - en Estonie, en Lettonie, en Lituanie et en Pologne. Cela est un signe manifeste de la solidarité qui existe entre les Alliés et de leur détermination à défendre le territoire des pays de l'OTAN contre toute agression.

Contrairement à ce qu'affirme le Kremlin, ces mesures constituent une réponse proportionnée, sobre et mesurée aux agissements de la Russie.

Il existe depuis longtemps un certain nombre d'accords qui réglementent l'activité militaire de tous les États de la région - dont la Russie et les 28 États membres de l'OTAN -, y compris la tenue des exercices de grande envergure. Deux de ces documents sont d'une importance majeure : le Document de Vienne, adopté par les 57 États membres de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), et l'Acte fondateur OTAN-Russie, signé en 1997 dans un esprit de coopération mutuelle.

Depuis des années, les pays de l'Alliance invitent la Russie à s'investir de manière constructive pour moderniser le Document de Vienne. Nous devons abaisser le seuil à partir duquel la notification préalable des exercices et la présence d'observateurs sont requis, et combler les failles concernant les exercices impromptus.

Nous devons également accroître la transparence militaire, pour éviter que d'éventuels incidents ou accidents ne nous entraînent dans un dangereux engrenage. Malheureusement, mise à part la proposition bienvenue mais très limitée qu'elle a faite le mois dernier sur la sécurité aérienne en mer Baltique, la Russie refuse le dialogue sur ces questions, préférant dénoncer l'OTAN comme l'agresseur.

De fait, Moscou est allé jusqu'à accuser l'OTAN de violer un élément important de l'Acte fondateur OTAN-Russie, concernant le stationnement permanent de forces supplémentaires : l'engagement relatif à « d'importantes forces de combat ». La question peut sembler ésotérique, mais elle illustre une nouvelle fois la manière dont la Russie tente de mettre en doute, par de fausses affirmations, la légitimité de l'action de l'OTAN.

Il se trouve que j'ai fait partie, dans les années 1990, de la délégation des États-Unis qui a participé aux négociations sur l'Acte fondateur OTAN-Russie, et plus particulièrement sur cet engagement. La formulation retenue indiquait que, dans ce qui était alors « l'environnement de sécurité actuel et prévisible », l'OTAN « remplira[it] sa mission de défense collective et ses autres missions en veillant à assurer l'interopérabilité, l'intégration et la capacité de renforcement nécessaires plutôt qu'en recourant à un stationnement permanent supplémentaire d'importantes forces de combat. »

L'OTAN a mis un point d'honneur à respecter tant la lettre que l'esprit de cet engagement. Elle n'a jamais arrêté de définition précise de ce qu'il fallait entendre par « d'importantes forces de combat », mais la Russie, dans ses déclarations officielles de l'époque, proposait de fixer la limite à une brigade par pays. Or, si l'on ajoute aux quatre bataillons répartis sur le territoire de quatre Alliés orientaux – approuvés par les dirigeants des pays de l'Alliance au sommet de Varsovie – les déploiements prévus au niveau bilatéral par les États-Unis dans le cadre de l'Initiative de réassurance pour l’Europe, le tout reste bien en-deçà de la définition qu'avait en son temps proposée la Russie.

Dire que l'OTAN viole l'Acte fondateur ou ne tient pas ses promesses est donc une fausse accusation. En 1997, les forces de l'Alliance stationnées dans d'autres pays de l'OTAN que leur pays d'origine représentaient un effectif de 100 000 soldats, soit un nombre déjà bien inférieur à celui de la fin de la Guerre froide. L'année prochaine, même avec les nouveaux déploiements décidés à Varsovie, ce chiffre s'établira à moins de 75 000. Durant ces deux mêmes décennies, les forces russes stationnées le long de la frontière avec l'OTAN ont en revanche augmenté de manière importante.

La raison d'être de l'OTAN est d'assurer la sécurité du près d'un milliard de citoyens que comptent les pays de l'Alliance. C'est ce qu'elle fait depuis presque soixante-dix ans, en agissant d'une manière défensive, proportionnée et entièrement responsable. C'est là sa ligne de conduite, et elle la maintiendra toujours.

La Russie est le plus grand pays voisin de l'OTAN, un voisin avec lequel l'Organisation a, par le passé, mené une vaste coopération. L'Acte fondateur OTAN-Russie, approuvé dans une période où l'optimisme était davantage de mise, parlait d'un « engagement commun de construire une Europe stable, pacifique et sans division, une Europe entière et libre, au profit de tous ses peuples ». Cela demeure l'objectif de l'OTAN.

Mais pour que cet objectif soit réalisable, il faut que la Russie change de comportement – en Ukraine et au-delà. Ainsi, Moscou doit participer d'urgence aux pourparlers de l'OSCE visant à actualiser le Document de Vienne.

L'Europe et le reste du monde ont besoin d'une Russie qui s'engage en faveur de la transparence, de la coopération et du dialogue. Elle pourrait commencer par le faire à Vienne.