Stratégie de l’OTAN relative aux Biotechnologies et à l’Amélioration des Capacités Humaines – Synthèse

  • 12 Apr. 2024 -
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  • Mis à jour le: 16 Apr. 2024 15:36

Introduction

  1. (Les biotechnologies et les technologies d’amélioration des capacités humaines (BHE, Biotechnology and Human Enhancement) vont entraîner des transformations inédites et imprévisibles de nos économies, de nos sociétés, de notre sécurité et de notre défense.
     
  2. Les biotechnologies consistent à utiliser des processus biologiques, des cellules ou des composants cellulaires pour élaborer des techniques ou des produits d’un genre nouveau, qui sont autant de possibilités de renforcer nos systèmes de défense et de sécurité. Exemples :
  • détection, identification et suivi des menaces chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN) grâce à des biocapteurs utilisant l’intelligence artificielle ;
  • réduction des dépendances d’ordre stratégique vis-à-vis de compétiteurs stratégiques et d’adversaires potentiels grâce à l’utilisation de la biologie de synthèse et à la biofabrication ;
  • exploitation des propriétés exceptionnelles des matériaux faisant appel à des technologies BHE dans les plateformes et infrastructures militaires, notamment des matériaux autoréparants, plus résistants, plus légers, moins toxiques, plus performants et/ou plus rapides à fabriquer que leurs alternatives actuelles.
  1. (Certaines utilisations des biotechnologies pourraient également constituer un risque pour nos forces armées, nos sociétés et l’environnement, par exemple :
  • un risque de prolifération de nouveaux types d’armes biologiques, y compris d’armes utilisant l’IA générative, créées à partir de travaux de recherche en biotechnologie librement accessibles ;
  • une propagation imprévisible d’agents biologiques susceptibles d’avoir des effets irréversibles.
  1. Les technologies d’amélioration des capacités humaines englobent toute intervention d’ordre biotechnologique ou non visant à permettre à un humain de fonctionner au-delà des limites ou aptitudes normales. Elles pourraient être exploitées pour notre défense et notre sécurité, par exemple si elles visaient à améliorer :
  • la médecine militaire et le reconditionnement des personnels, en tirant parti des avancées dans le domaine de la prosthétique, des appareillages et des traitements ;
  • la mobilité des opérateurs, plus spécialement au moyen d’exosquelettes permettant d’alléger les tâches éprouvantes ou dangereuses sur le plan physique ;
  • la connaissance cognitive, en particulier dans les environnements opérationnels complexes où les interfaces humain-machine et les moyens de lutter contre la fatigue peuvent optimiser la prise de décision en la portant au-delà des capacités humaines normales.
  1. Les technologies d’amélioration des capacités humaines présentent également, pour la défense et la sécurité des Alliés et de l’OTAN, une série de risques contre lesquels il convient de se prémunir. Des compétiteurs stratégiques ou des adversaires potentiels pourraient en effet améliorer les performances de leurs forces ou chercher à dégrader les capacités des forces des Alliés en exploitant leurs vulnérabilités cognitives, physiques ou technologiques, afin d’en tirer des avantages sur le plan militaire.
     
  2. Compte tenu de ce qui précède, les membres de l’Alliance transatlantique utiliseront l’OTAN comme forum de référence pour discuter des technologies BHE dans le domaine de la défense et de la sécurité, dans la perspective de s’employer à tirer parti du potentiel de ces technologies tout en se protégeant contre leur utilisation malveillante par des acteurs étatiques et non étatiques, et de préserver l’avance technologique de l’OTAN vis-à-vis des compétiteurs stratégiques et des adversaires potentiels dans les questions touchant aux BHE pour la défense et la sécurité transatlantiques.
     
  3. L’usage que nous ferons des technologies BHE doit être fondé sur nos normes, nos valeurs et notre attachement au droit international.

But

  1. La présente stratégie expose les premières étapes visant à :
  • présenter l’approche responsable que l’Alliance entend suivre lorsqu’il s’agit de développer et d’utiliser des technologies BHE dans le domaine de la sécurité et de la défense, en tenant compte des valeurs et des normes que nous partageons et de notre attachement au respect du droit international ;
  • favoriser le développement, l’adoption et l’intégration rapides et sûrs de ces technologies au sein des forces des pays de l’Alliance ;
  • renforcer le suivi et la protection des technologies BHE et la capacité d’innovation de l’Alliance, tout en recensant les menaces qui pourraient émaner d’adversaires qui utiliseraient ces technologies et en prenant des mesures pour se prémunir contre un tel usage.

Résultats recherchés

  1. L’OTAN et les Alliés développeront et mettront en œuvre de manière responsable les technologies BHE concourant à leurs trois tâches fondamentales (dissuasion et défense, prévention et gestion des crises, sécurité coopérative), pour faire en sorte, entre autres :
  1. que l’Alliance dispose de feuilles de route précises permettant de mettre en œuvre les principes d’utilisation responsable des technologies BHE dans le domaine de la défense et de la sécurité, en cohérence avec l’approche responsable de l’OTAN vis‑à-vis des autres technologies émergentes et technologies de rupture (TE/TR) ;
  2. que l’Alliance assure une veille sur les développements scientifiques et industriels dans le domaine des technologies BHE pour tout ce qui touche à la défense et à la sécurité ;
  3. que les capacités de défense CBRN de l’Alliance soient renforcées par les technologies BHE, notamment dans le cadre des objectifs capacitaires ; que l’Alliance puisse assurer un suivi des menaces liées à la prolifération d’un genre nouveau émanant d’acteurs étatiques et non étatiques, et procéder à des expérimentations responsables sur des moyens de protection utilisant les technologies BHE contre les menaces CBRN ;
  4. que les Alliés, sur une base volontaire, investissent davantage et renforcent la collaboration dans le domaine des biotechnologies pour optimiser la production des matériaux et capacités intéressant la défense ainsi que les opérations de raffinage et de production des minerais et terres rares considérés comme essentiels aux impératifs de sécurité et de défense de l’Alliance, le but étant de réduire les dépendances stratégiques et d’accroître la résilience des chaînes d’approvisionnement ;
  5. que les Alliés limitent l’accès des adversaires potentiels et des compétiteurs stratégiques aux données biologiques, lorsque ces dernières risquent d’être utilisées pour concevoir de nouvelles armes biologiques, permettre la surveillance de groupes d’individus ou aider au renforcement de forces adversaires potentielles.

Contexte stratégique

  1. Les compétiteurs stratégiques et les adversaires potentiels de l’Alliance investissent méthodiquement dans les technologies BHE, notamment au profit de leur appareil militaire et de leur sécurité. Par ailleurs, l’expérimentation de biotechnologies coûte de moins en moins cher et est de plus en plus accessible, raisons pour lesquelles les acteurs non étatiques, y compris les groupes terroristes, peuvent désormais être à l’origine de risques de prolifération d’un genre nouveau. Il est donc nécessaire de disposer d’outils de suivi, de prévention et de préparation du secteur civil.
     
  2. La Russie continue d’investir massivement dans les technologies BHE. Elle mène également des initiatives visant à saper le système de normes mondial de lutte contre la prolifération et l’utilisation des armes de destruction massive. Moscou a multiplié les campagnes de désinformation sur les armes biologiques et chimiques, notamment pendant la guerre contre l’Ukraine. L’Alliance est gravement préoccupée par le fait que la Russie envisage de recourir à nouveau aux armes chimiques ou biologiques dans l’avenir.

Approche fondée sur la responsabilité

  1. Les principes OTAN d’utilisation responsable des technologies BHE dans le domaine de la sécurité et de la défense sont le fil conducteur de la présente stratégie. Ils sont basés sur les engagements d’ordre éthique, juridique et politique, largement acceptés, dans le cadre desquels l’OTAN a toujours fonctionné et continuera de fonctionner.
     
  2. Ces principes n’affectent ni ne remplacent les obligations et engagements existants, que ce soit au niveau national ou au niveau international, en particulier ceux figurant dans la convention sur les armes biologiques ou à toxines (CABT) et dans la convention sur l’interdiction des armes chimiques.

Principes d’utilisation responsable

  1. Les Alliés et l’OTAN s’engagent à faire en sorte que les applications des technologies BHE qu’ils développent et qu’ils adoptent respectent – aux divers stades de leur cycle de vie – les six principes ci-après.
  1. Légalité – Les applications des technologies BHE sont développées et utilisées dans le respect des législations nationales et du droit international, y compris le droit international humanitaire et le droit international des droits de la personne, selon les cas.
  2. Responsabilité – Les applications des technologies BHE sont développées et utilisées avec le discernement et la prudence nécessaires ; les responsabilités humaines sont clairement définies afin que l’obligation de rendre compte puisse être respectée.
  3. Sécurité et sûreté – Les technologies BHE ne sont utilisées que si elles ont satisfait à des procédures de sécurité strictes, lesquelles peuvent inclure des batteries d’essais et/ou de tests, si elles répondent aux normes applicables et/ou, à défaut, s’il a été démontré, au regard de l’état des connaissances scientifiques, qu’elles sont sûres et utiles pour l’humain et l’environnement.
  4. Agentivité humaine – L’individu n’est pas privé de son sens du jugement ni de sa liberté de conscience de sorte qu’il conserve sa dignité humaine innée.
  5. Consentement éclairé – Les technologies d’amélioration des capacités humaines mises à la disposition de nos personnels ne sont utilisées qu’avec leur consentement libre et éclairé, conformément aux bonnes pratiques des services de santé des armées et dans le respect de la personne.
  6. Prise en charge dans la durée – L’impact potentiel des technologies BHE sur l’environnement est évalué.
  1. Réversibilité, augmentations dites invasives et transmissibilité sont des variables importantes de certaines technologies d’amélioration humaine qu’il convient de prendre en compte au moment de la mise en œuvre de ces principes. Si elles ne représentent pas des lignes de démarcation claires permettant de déterminer ce qui est un usage acceptable, elles sont cependant autant d’éléments qu’il est essentiel de garder à l’esprit.
     
  2. Les technologies BHE peuvent avoir des incidences différentes sur les femmes et sur les hommes. L’OTAN intégrera la dimension de genre dans son approche responsable de l’élaboration et de l’adoption de ces technologies.
     
  3. Par cohérence avec l’approche OTAN pour une IA responsable, il convient d’appliquer les principes OTAN d’utilisation responsable de l’IA lorsqu’il y a convergence entre l’IA et les technologies BHE. Pour ce qui est des données biologiques, les politiques en matière d’exploitation des données et de biométrie s’appliquent également à l’OTAN.

Opérationnalisation des principes d’utilisation responsable

  1. Pour commencer à opérationnaliser les principes d’utilisation responsable des technologies BHE, l’OTAN, en concertation étroite avec les Alliés, centrera ses efforts sur des outils d’évaluation des risques et des incidences, sur la formation et sur la sélection de technologies BHE susceptibles de faire l’objet d’un développement accéléré responsable.
     
  2. L’OTAN mettra sur pied, en tant que sous-groupe du Groupe consultatif du secrétaire général sur les TE/TR, un groupe d’experts des technologies BHE, qui aura pour tâche de rendre des avis sur l’opérationnalisation des principes OTAN d’utilisation responsable de ces technologies.
     
  3. Le DIANA et le Fonds OTAN pour l’innovation, deux initiatives guidées dans leurs activités par les principes OTAN d’utilisation responsable des TE/TR, contribueront à l’opérationnalisation des principes BHE en s’assurant que les porteurs d’innovation qui y participent les respectent bien.

Bien-être des personnels

  1. Les technologies BHE peuvent contribuer à la réintégration des anciens militaires dans la société. Dans le cadre de son approche responsable, l’OTAN devrait promouvoir activement le développement et l’utilisation de technologies BHE à même de favoriser le bien-être physique, social et psychologique des personnels militaires de l’Alliance, et plus particulièrement de faciliter leur retour à la vie civile et de limiter l’émergence des problèmes de santé pour lesquels ils sont à risque : on pense notamment à des dispositifs médicaux portables, implantables ou à ingérer destinés à traiter les troubles et pathologies dont il est avéré que leur prévalence est plus élevée chez les vétérans que dans la population générale.
     
  2. Les technologies d’amélioration des capacités humaines sont également porteuses de risques pour la réintégration des militaires dans la société (addiction, isolement social, discrimination, troubles de l’affect), qui doivent être identifiés le plus tôt possible et faire l’objet d’un effort d’atténuation en continu. Il convient que les Alliés et l’OTAN se dotent de politiques indiquant clairement si l’usage de telles technologies est acceptable, et si oui, dans quelles conditions. Les directives régissant leurs applications militaires pourraient par exemple prévoir que toute utilisation d’une technologie BHE doit préalablement être approuvée par des responsables médicaux, juridiques et politiques, qu’elle doit faire l’objet d’une supervision suivant des rôles et responsabilités clairement définis et qu’elle doit être étayée par des évaluations des risques ou des incidences dûment documentées.

Capitaux stratégiques

  1. L’OTAN (à travers le DIANA et le Fonds OTAN pour l’innovation) et les Alliés prennent des mesures pour financer le développement des technologies BHE dans les domaines critiques pour la défense et la sécurité, et pour proposer une alternative de confiance aux investissements déployés par leurs compétiteurs stratégiques et adversaires potentiels.

Protéger la biosûreté au sein de l’Alliance

  1. Compte tenu des risques que l’utilisation malveillante des technologies BHE fait peser sur les forces de l’OTAN et les populations des pays membres, l’Alliance doit faire plus pour empêcher que ces technologies ne tombent entre les mains de ses compétiteurs stratégiques et de ses adversaires potentiels et pour se protéger contre leur utilisation possible.
     
  2. Selon la convention sur l’interdiction des armes biologiques (CABT) adoptée en 1972, sont interdits à jamais et en toutes circonstances la mise au point, la fabrication, le stockage, l’acquisition et la conservation de tous les agents microbiologiques ou autres agents biologiques, ainsi que des toxines quels qu’en soient l’origine ou le mode de production, de types et en quantités qui ne sont pas destinés à des fins prophylactiques, de protection ou à d’autres fins pacifiques, de même que les armes, équipements ou vecteurs destinés à l’emploi de tels agents ou toxines à des fins hostiles ou dans des conflits armés. En dépit du caractère très général de cette interdiction, il se pourrait que des adversaires potentiels cherchent à faire valoir que certaines applications émergentes des biotechnologies ne tombent pas sous le coup de la CABT. Les travaux de l’Alliance sur les technologies BHE ne doivent donc pas aller à l’encontre de la CABT ni des obligations et autres engagements connexes auxquels ont souscrit les Alliés, tant au plan national qu’au plan international, ni porter atteinte à ladite convention.
     
  3. L’OTAN constitue une enceinte de choix pour stimuler et promouvoir l’utilisation défensive des technologies BHE en convergence avec d’autres TE/TR, utilisation d’autant plus importante que la convergence IA-BHE accroît les risques de prolifération, ce qui complique la surveillance des moyens de nuisance des biotechnologies.