Synthèse du débat de fond sur la lutte contre le terrorisme et la dimension de genre

  • 28 Mar. 2023 -
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  • Mis à jour le: 27 Apr. 2023 10:43

Le 28 mars 2023, le Bureau de la conseillère pour les questions de genre de l’État-major militaire international de l’OTAN a tenu son dixième débat de fond, consacré cette fois à la prise en compte de la dimension de genre dans la lutte contre le terrorisme. Ce débat a permis d’aborder des considérations de genre essentielles pour comprendre le terrorisme et renforcer l’efficacité des mesures de lutte contre le terrorisme. Il a par ailleurs été l’occasion de souligner le rôle de l’OTAN dans les efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et de poursuivre la réflexion sur la manière d’intégrer la dimension de genre aux stratégies de lutte contre le terrorisme.

Plusieurs experts étaient présents – Mme Cristina Finch, qui dirige la Division Genre et sécurité du Centre pour la gouvernance du secteur de la sécurité de Genève (DCAF), Mme Marie Paulus, de la Section Contre-terrorisme de la Division Défis de sécurité émergents, et le colonel Daniel Stone, ancien directeur délégué du Centre d’excellence OTAN pour la défense contre le terrorisme (COE-DAT).

Mme Finch a ouvert le débat de fond en expliquant, dans un cadre socio-culturel plus large, la notion de genre, indissociable d’une sécurité efficace. Elle a insisté sur la nécessité de prendre en compte les besoins différents de l’ensemble de la population pour pouvoir créer un environnement stable pour tous.

S’agissant de la prévention de l’extrémisme et plus particulièrement de la lutte contre le terrorisme, Mme Finch a expliqué que les facteurs menant à l’extrémisme violent, les rôles joués au sein de groupes terroristes, les répercussions de l’extrémisme violent et du terrorisme et les réponses de l’État à de tels actes différaient pour les hommes, les femmes, les garçons et les filles, mais également selon les moments, les régions et les idéologies.

Elle a donné cinq raisons importantes d’intégrer la dimension de genre à la prévention de l’extrémisme et à la lutte contre le terrorisme :

  1. le respect des obligations de l’État en matière de droits de la personne ;
  2. l’identification claire des auteurs potentiels d’actes d’extrémisme violent et de terrorisme ;
  3. l’identification claire des victimes (potentielles) d’actes d’extrémisme violent et de terrorisme, ainsi que du type de violences liées au genre éventuellement subies ;
  4. la définition d’approches factuelles et efficaces visant à prévenir l’extrémisme violent ;
  5. des mesures visant à éviter les conséquences néfastes, sur le plan du genre, des activités de prévention des violences extrémistes et de lutte contre le terrorisme.

À partir des recommandations de Mme Finch, les acteurs militaires peuvent mieux prendre en compte la dimension de genre :

  1. en créant pour les hommes comme pour les femmes un environnement sûr se prêtant notamment à une collaboration en toute sécurité ;
  2. en intégrant un travail d’analyse tenant compte de la dimension de genre dans la recherche de renseignement et la planification des opérations afin que les répercussions opérationnelles sur les différents groupes (hommes, femmes, garçons et filles) puissent être dûment prises en considération et les effets négatifs atténués ;
  3. en renforçant les moyens permettant d’intégrer la dimension de genre dans les principaux axes de travail militaires ;
  4. en intégrant aux mandats des missions des considérations essentielles sur l’égalité des genres ;
  5. en s’employant à lever les obstacles liés au genre sur le lieu de travail.

Enchaînant sur les propos de Mme Finch, Mme Paulus a pour sa part expliqué les rôles complexes des femmes au sein de groupes terroristes et dans la lutte contre le terrorisme. Elle a abordé les répercussions en fonction du genre de différents facteurs d’attraction et de répulsion conduisant au terrorisme et à l’extrémisme violent, ou permettant leur exploitation, ainsi que l’influence des femmes dans les réseaux sociaux pouvant servir à déceler les premiers signes d’alerte.

Mme Paulus a ensuite expliqué le rôle de l’OTAN en ce qui concerne le terrorisme et les travaux qu’elle mène pour intégrer la dimension de genre dans la politique et le plan d’action de l’OTAN sur les femmes, la paix et la sécurité. Elle a précisé les différents axes de l’intégration de la dimension de genre dans les efforts de lutte contre le terrorisme menés par l’OTAN :

  1. la sensibilisation et la compréhension ;
  2. la formation à la lutte contre le terrorisme ;
  3. le dialogue avec les partenaires et avec d’autres organisations internationales ;
  4. l’intégration des questions liées au genre dans les politiques et les programmes de lutte contre le terrorisme.

Dans son exposé, Mme Paulus a expliqué comment l’OTAN, au fil des années, a davantage pris en compte la dimension de genre, la question des femmes, de la paix et de la sécurité, ainsi que la sécurité humaine dans ses travaux de lutte contre le terrorisme, en ajoutant qu’elle continuait à examiner de nouvelles possibilités d’intégrer la dimension de genre dans ses travaux futurs de lutte contre le terrorisme sur les plans tant civil que militaire.

Le colonel Daniel Stone a clos le débat de fond en expliquant l’importance de la question de genre dans la lutte contre le terrorisme d’un point de vue militaire et comment l’intégration de la dimension de genre pouvait améliorer l’efficacité opérationnelle. Il a indiqué qu’il fallait comprendre les liens directs entre les questions liées au genre et l’analyse des menaces terroristes et la réponse qui leur était apportée. La non-reconnaissance, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, de la radicalisation des femmes, du soutien qu’elles apportent et des violences qu’elles commettent au sein de groupes extrémistes, constitue une menace pour la sécurité.

Le colonel Stone a expliqué que le renforcement de certains rôles et préjugés de genre pouvaient induire en erreur et entraîner une mauvaise appréciation des efforts à mener pour lutter contre le terrorisme. Il a évoqué trois idées couramment véhiculées, qui reposent sur le genre et qui limitent souvent la compréhension du rôle des femmes dans le terrorisme. Selon la première, le rôle que jouent les femmes ne serait que le prolongement de celui joué par les hommes, par exemple en tant qu’épouses associées à des actes terroristes uniquement pour des raisons personnelles. La deuxième consiste à voir les femmes comme ayant une capacité innée à prendre soin des autres, et donc à les considérer comme non violentes et incapables de commettre des actes terroristes. Enfin, les femmes seraient des victimes se laissant entraîner dans des organisations terroristes contre leur gré. « Ces trois hypothèses, fausses, reposent sur des idées largement répandues concernant les rôles des hommes et des femmes », a précisé le colonel Stone. Des éléments déclencheurs et des filières de recrutement à la capacité de résilience et de récupération après une attaque terroriste, le genre est un facteur dont il faut tenir compte.

Les femmes occupent désormais une place de plus en plus visible dans le terrorisme. En Europe, en 2018, 22 % des personnes arrêtées pour suspicion de terrorisme étaient des femmes. Dans la région de l’OSCE, 17 % des personnes partant pour devenir des combattants étrangers sont des femmes. Des recherches montrent que les groupes armés soutenus par des femmes sont plus susceptibles de contrôler davantage de territoire et de l’emporter sur des forces gouvernementales. Les femmes faisant partie de groupes armés donnent à ceux-ci une plus grande légitimité car leur présence est le signe d’un soutien accru de la communauté et de meilleures capacités tactiques.

La non-reconnaissance du rôle joué par les femmes limite les réponses face à la menace terroriste. L’intégration de la dimension de genre contribue à la lutte contre le terrorisme en permettant d’identifier et de contrer les stratégies de recrutement intégrant la dimension de genre. Les mesures actuelles négligent souvent le pouvoir d’action des femmes, ce qui peut également limiter les poursuites à leur encontre et, par là même, limite leur accès à des programmes de soutien, de désengagement et de déradicalisation.

À la méconnaissance du rôle des femmes dans le terrorisme s’ajoute une reconnaissance insuffisante de leur rôle essentiel lorsqu’il s’agit de combattre et de prévenir le terrorisme ; elles sont actrices de la sécurité, de la reconnaissance des signes précurseurs et de la prévention. Le colonel Stone a également abordé la nécessité d’associer les femmes à la lutte contre le terrorisme, en soulignant que la diversité permettait de meilleures politiques et de meilleurs résultats. Il a insisté sur la corrélation entre une plus grande présence des femmes dans la vie publique et la diminution de la corruption, rappelant que, à l’inverse, les sociétés excluant les femmes risquaient davantage d’institutionnaliser plus encore la violence et étaient moins susceptibles de négocier.

Le rôle des femmes dans le terrorisme et la lutte contre le terrorisme est complexe et doit être envisagé au-delà de l’opposition binaire victime-auteur. Agents actifs du terrorisme, les femmes peuvent exploiter les normes et les préjugés de genre existants pour donner l’avantage stratégique à leurs groupes. Les groupes armés qui ont bien intégré les femmes étant considérés comme ayant une plus grande légitimité, les efforts de lutte contre le terrorisme doivent être axés sur la prévention de l’extrémisme violent, y compris du fait de femmes. Enfin, si les femmes sont exonérées de poursuites à la faveur d’idées reçues liées au genre, elles pourraient ne pas avoir accès à des programmes de déradicalisation et elles-mêmes élever la nouvelle génération de terroristes. L’analyse et l’intégration des vulnérabilités liées au genre selon les situations permettront à l’OTAN et à ses partenaires de mieux se préparer à répondre aux défis et aux menaces que pose le terrorisme, y compris les facteurs d’attraction et de répulsion qui entraînent les femmes vers des groupes extrémistes.