Les soldats du pétrole
Une nouvelle approche du ravitaillement en carburant
Les troupes qui assurent le ravitaillement en carburant remplissent une mission essentielle : approvisionner et soutenir les forces déployées en opération, en tout lieu et à tout moment. L'efficacité opérationnelle dépend de nombreux facteurs. Pour réduire l'empreinte logistique et le coût des opérations, la mise en place de capacités multinationales de logistique carburant est une priorité. La France est le pays chef de file d'un projet multinational poursuivant cet objectif.
« Le carburant aéronautique nécessite des mesures de sécurité plus importantes que le carburant terrestre », explique le capitaine Jean-Luc Soubelet, officier traitant au Bureau Opérations de la base pétrolière interarmées de l'armée française. « Il faut éliminer les particules solides et l'eau dissoute dans le carburant, qui peuvent obstruer les circuits d'alimentation de l'aéronef et couper le moteur, avec les conséquences que l'on peut imaginer ».
Dans le cas des véhicules terrestres, la présence d'eau dans le carburant est moins dangereuse mais elle reste problématique. « Par exemple, sur les théâtres d'opération où les hivers sont très froids, comme au Kosovo ou en Afghanistan, si le personnel ne veillait pas à purger régulièrement les réservoirs de leurs véhicules, l'eau pourrait se figer et empêcher les véhicules de démarrer », poursuit le capitaine Soubelet.
Sur les théâtres, le soutien carburant répond à plusieurs nécessités, dont celle de procéder à des ravitaillements avancés dans des endroits reculés ou dans des zones non sécurisées. « L'hélicoptère joue un rôle clé dans ce contexte », note l'officier, « car il transporte des réservoirs souples de carburant et permet de ravitailler les matériels très rapidement. Moins on reste de temps sur le terrain, plus le risque est faible. »
Pour protéger les convois et les hommes en cas d'attaque, les matériels peuvent également être équipés de capacités d'autodéfense, comme des cabines blindées ou des dispositifs antiroquettes.
Ces dernières années, pour simplifier et donc sécuriser la logistique carburant en opération, les forces de l'OTAN ont utilisé le même carburant – le carburant aviation F-35, qui correspond à une norme OTAN – pour les aéronefs et pour les véhicules terrestres. Le carburant aviation a l'avantage d'être disponible partout dans le monde parce que, contrairement aux autres carburants, il fait l'objet d'une spécification internationale.
La French connection
La France, grâce à son Service des essences des armées (SEA), possède un savoir-faire reconnu et une grande expérience en matière de soutien carburant, que ce soit dans le cadre d'opérations nationales ou d'opérations multinationales (au Kosovo, au Tchad et au Mali, entre autres).
L'expérience a montré que la clé de la réussite résidait dans la capacité d'adapter la logistique à l'évolution des besoins et dans la faculté d'assurer une bonne coordination entre les pays participants. Par ailleurs, il est avéré que les capacités multinationales présentent un meilleur rapport coût-efficacité, ce qui constitue une priorité en cette période d'austérité financière.
« Les contraintes qui pèsent sur les budgets de défense ne permettront plus à l'avenir à un pays d'assurer seul le soutien logistique au profit d'une coalition », fait observer le colonel Olivier Görlich, chef du Bureau Soutien opérationnel et relations internationales à la Direction centrale du SEA.
L'état-major des armées françaises a chargé le SEA de piloter le projet OTAN de défense intelligente pour la logistique carburant, l'un des 22 projets multinationaux approuvés par les Alliés au sommet de Chicago, en mai 2012.
L'idée générale du projet est de promouvoir une coopération mutuelle viable entre pays volontaires, pour permettre la mise en œuvre, sur les théâtres d'opération, de solutions multinationales pour le soutien carburant. Concrètement, il s'agit d'élaborer et d'éprouver un ensemble de meilleures pratiques et de procédures communes afin d'assurer un soutien efficace à partir des ressources fournies par différents pays.
Le soutien carburant dans la défense intelligente
« Pour l'instant, le projet rassemble un nombre limité de pays », précise le colonel Görlich. « Le but est d'abord d'alimenter la réflexion puis de permettre à l'OTAN de disposer d'un groupe de pays préidentifiés capables d'assurer en commun le soutien pétrolier d'une coalition, soit comme pays-cadre, soit comme simple pays contributeur. »
« Cette approche est innovante car cette réflexion porte sur l'ensemble du spectre du soutien pétrolier opérationnel, qu'il s'agisse des aspects techniques, administratif et financier ou de commandement et de contrôle. »
Pour le volet entraînement, le projet est copiloté par le Centre multinational de coordination logistique (MLCC), implanté à Prague (République tchèque), qui a organisé l'exercice Capable Logistician 2013. Cet exercice, qui s'est déroulé en juin dernier en Slovaquie, a permis au capitaine Soubelet d'utiliser, à titre expérimental, une approche multinationale nouvelle de la mutualisation des ressources en carburant au profit d'une coalition.
« Grâce à la mise en commun des moyens, les pays doivent supporter une charge moindre que s'ils assumaient seuls la responsabilité du soutien carburant. C'est l'esprit même de la défense intelligente », déclare le capitaine Soubelet. « L'exercice nous a également permis d'expérimenter des procédures communes et de définir une répartition claire des responsabilités entre chacun des pays. »
L'officier se dit convaincu que ce projet de défense intelligente permettra à l'Alliance de réduire son empreinte logistique, d'être plus efficace et de réduire les coûts liés au soutien carburant des coalitions.