''Le succès appelle le succès : les prochaines étapes des relations avec la Russie''
Discours prononcé par le secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à l’Institut Aspen de Rome
Monsieur le secrétaire général d’UniCredit Group,
Messieurs les directeurs,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je vous remercie, M. l’ambassadeur Stefanini, de vos aimables paroles et je remercie l’Institut Aspen, l’Istituto Affari Internazionali et l’UniCredit Group d’accueillir cette conférence. Il est, évidemment, toujours agréable d’être invité à Rome, et je me réjouis à la perspective de m’entretenir, dans le courant de la journée, avec le premier ministre, M. Berlusconi, et avec les membres de son cabinet. C’est également pour moi un grand plaisir d’avoir la possibilité de débattre avec vous aujourd’hui d’une question importante pour nous tous, à savoir le franchissement de nouvelles étapes pour la sécurité européenne.
J’ai choisi ce thème car je me souviens très bien être venu dans cette ville en 2002, dans le cadre de mes premiers déplacements en tant que premier ministre du Danemark, pour signer, avec les représentants de tous les pays de l’OTAN et le président russe de l’époque, M. Poutine, la Déclaration de Rome sur les relations OTAN-Russie.
Nous nous étions réunis, à l’époque, parce que nous savions que le monde connaissait de profondes et rapides mutations. La Guerre froide était terminée, les négociations sur la réduction des armes nucléaires entre la Russie et les États-Unis progressaient bien, et nous avions réellement confiance en notre capacité de construire, finalement, une Europe entière, libre et en paix.
Mais nous nous étions également réunis parce que nous faisions face aux mêmes dangers. Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 étaient très présents dans nos esprits. Tout comme l’était le terrorisme en Russie. L’instabilité dans de nombreuses régions du monde menaçait notre sécurité, y compris ici, en Europe. Et nous pouvions prévoir que la prolifération des armes de destruction massive deviendrait une menace pour nous tous.
Ce jour-là de l’année 2002, le Conseil OTAN-Russie est né de la volonté de construire une paix durable et inclusive dans la région euro-atlantique, sur la base des principes de la démocratie, de la coopération et de l’indivisibilité de la sécurité de tous les États. Pour reprendre les mots employés à l’époque par le premier ministre, M. Berlusconi, nous nourrissions l’ambition, avec cette Déclaration, d’offrir un avenir plus pacifique à nos enfants.
Le président Poutine avait quant à lui déclaré que la signature de cette Déclaration n'était qu'un début. Si nous devions construire des relations fondamentalement différentes, il nous faudrait faire bien davantage. Et évidemment, il avait vu juste.
Les huit dernières années illustrent tout le chemin parcouru. Nous avons déployé ensemble des troupes sur le terrain pour aider à stabiliser les Balkans.
La Russie soutient nos opérations en Afghanistan, et nous luttons ensemble contre l’introduction de stupéfiants dans nos pays.
Nous coopérons dans la lutte contre le terrorisme, notamment en confrontant nos évaluations de la menace, et nous cherchons à intensifier les efforts déployés, par exemple, dans la lutte contre les bombes posées en bord de route.
Des navires de l’OTAN et de la Russie naviguent au large de la Corne de l’Afrique pour lutter ensemble contre la piraterie.
Nous nous employons ensemble à mieux protéger nos troupes sur le terrain contre toute attaque de missile.
En outre, nous nous consultons régulièrement à Bruxelles, en tant que partenaires égaux.
Nous faisons déjà beaucoup, et c’est important. Ce pont surplombant l’Europe, entre l’OTAN et la Russie, rend le continent plus stable et plus sûr. Certes, nous sommes parfois en désaccord, voire en profond désaccord sur certaines questions, telle la Géorgie. Mais nous avons appris à ne pas laisser ces divergences nous faire oublier l’intérêt et les potentialités de la relation OTAN-Russie, qui est le garant d’une plus grande sécurité.
Il me semble que le moment est venu d’envisager les prochaines étapes. Il nous faut maintenant plus qu’un simple pont. Il nous faut bâtir une maison sûre et solide, dans laquelle tous les pays européens pourront se sentir accueillis – et depuis laquelle, nous pourrons, ensemble, promouvoir la sécurité de notre voisinage.
Selon moi, il y a notamment trois voies dans lesquelles nous devrions chercher à progresser en Europe, les progrès accomplis dans chacune d’elles pouvant être bénéfiques aux autres.
Permettez-moi de vous parler tout d’abord de la défense antimissile. Je pense que nous devons avant tout préciser la réalité dans laquelle nous évoluons.
Premier point : les missiles constituent une menace croissante pour l’Europe. Pour toute l’Europe. Les 28 pays de l’Alliance sont unanimes sur ce point, et je ne doute pas que d’autres pays européens soient du même avis. Plus de trente pays détiennent ou sont en train de développer des missiles. L’un d’eux, l’Iran, dispose déjà de missiles capables d’atteindre le territoire de l’OTAN, ainsi que la Russie ; il s’emploie à étendre la portée de ses missiles, et il ne respecte pas, dans son programme nucléaire, les engagements pris au niveau international.
Deuxième point : la défense antimissile se met en place en Europe. La nouvelle approche adaptative phasée des États-Unis, fondée sur une technologie éprouvée, progresse bien. Elle repose actuellement sur une coopération bilatérale entre les États-Unis et certains pays. La question est donc de savoir s’il conviendrait de réaliser la défense antimissile dans un cadre OTAN – et, le cas échéant, de savoir comment nous pourrions coopérer avec d’autres pays européens ?
Ma position sur ce point est claire. Je pense que nous avons besoin d’une défense antimissile protégeant tous les citoyens européens. Je pense que nous devrions la mettre en œuvre par l’intermédiaire de l’OTAN, ce qui est d’ailleurs la seule façon d'obtenir une couverture totale. Je pense également que nous devrions nous mettre d’accord sur cette question au sommet de l’OTAN qui aura lieu à Lisbonne dans neuf semaines environ. Et je suis convaincu que nous devons aussi inviter la Russie à coopérer, de façon à établir un lien entre notre système et les capacités de la Russie.
Il n’y a en fait que deux options possibles. Si nous mettons en place des systèmes de défense antimissile en Europe en dehors du cadre de l’OTAN, de nouvelles lignes de division apparaîtront, entre les pays qui sont couverts par ces systèmes et ceux qui ne le sont pas. Y compris entre les Alliés eux-mêmes. Et si nous ne faisons pas d’offre claire à la Russie, celle-ci, à tort ou à raison, risque de se retrouver exclue, sans trop savoir si une telle situation est susceptible de compromettre sa sécurité.
L’autre option consiste à faire en sorte que la défense antimissile « rassemble », plutôt qu’elle ne divise. La défense antimissile territoriale peut devenir un « toit sécuritaire » sous lequel tous les Alliés, et pas seulement certains, peuvent s’abriter. Et je suis convaincu qu’un tel toit peut être suffisamment grand pour abriter aussi d’autres pays européens, y compris la Russie.
Il convient bien sûr de régler les aspects techniques, et il y a pour ce faire des personnes très qualifiées. Ma tâche, et celle des hommes politiques avec lesquels je travaille, consiste à tracer la meilleure voie à suivre, à définir la vision à long terme, et à avoir le courage politique d’aller de l’avant.
La défense antimissile est également importante pour une autre raison. L’accomplissement de progrès dans ce domaine peut créer un climat plus favorable à l’accomplissement de progrès dans d’autres domaines essentiels à la sécurité européenne, notamment celui des armes conventionnelles.
La maîtrise des armes conventionnelles est d’ailleurs la seconde voie dans laquelle nous devrions progresser. Le Traité sur les forces conventionnelles en Europe est l’une des grandes réussites de l’après-Guerre froide, qui n’a pas été suffisamment mise en avant. Il fixe les limites des dotations en équipements – chars, véhicules blindés et avions de combat, par exemple – de chaque pays. Il détermine le nombre maximum d’équipements que chaque pays peut déployer, et les limites géographiques dans lesquelles il peut le faire. Et le Traité met en place un solide système de vérification.
Je dois cependant préciser que son existence est aujourd’hui menacée. La Russie a suspendu sa participation au Traité, pour diverses raisons que je n'évoquerai pas ici. Quant aux pays de l’OTAN, ils respectent tous pour l’instant les dispositions du Traité.
Je dois également souligner que cette situation ne peut persister. Il deviendra politiquement difficile – puis ultérieurement impossible – pour les Alliés de continuer à se conformer aux exigences du Traité si la Russie ne fait pas de même. Une telle situation, si elle se produit, créera une réelle instabilité en Europe – ce dont nous n’avons ni besoin ni envie.
L’occasion nous est aujourd’hui offerte de régler ce problème avant qu’il n’empire. Les États-Unis mènent une initiative visant à redynamiser le Traité. Tous les Alliés ont maintenant approuvé un cadre OTAN établissant les principes d’une nouvelle négociation avec l’ensemble des États parties au Traité FCE, dont, bien sûr, la Russie.
Les principes sont clairement définis : transparence réciproque en ce qui concerne les forces conventionnelles – dotations, mouvements, implantations, exercices, formation, etc. ; limitations réciproques, retenue dans l’utilisation de ces forces et vérifications, enfin – dernier principe, mais non le moindre – consentement du pays hôte au stationnement de forces étrangères.
C’est sur cette base que des négociations sont actuellement menées dans le cadre de l’OSCE. Et j’encourage vivement toutes les parties à adhérer à ce cadre. Notre objectif est de renforcer la sécurité et la stabilité dans la région euro-atlantique.
Si nous parvenons à mettre en place un système de défense antimissile inclusif, celui-ci pourra alimenter un cercle vertueux. Si la Russie et d’autres pays ont l’impression de faire partie, avec nous, de ce système, plutôt que d’en être exclus et d’en être spectateurs, la confiance s’installera. Or la confiance appelle la confiance. Le progrès appelle le progrès. Et les progrès réalisés dans le domaine de la maîtrise des armes conventionnelles peuvent aussi être source d’avancées dans d’autres domaines.
Cela m’amène à la troisième voie dans laquelle nous devons progresser, tôt ou tard, à savoir la réduction du nombre d'armes nucléaires à courte portée en Europe.
Il y a quarante ans, presque tous les pays du monde partageaient l’ambition d’un désarmement nucléaire complet. Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires est venu consacrer une telle ambition. Il me semble donc que l’objectif d’un monde exempt d’armes nucléaires, tel que défini par le président Obama, est largement partagé.
Nous avons accompli de réels progrès ces dernières années dans la dénucléarisation du continent européen. L’OTAN a en effet réduit de plus de 90% le nombre de ses armes nucléaires à courte portée en Europe.
Nous devons toutefois être bien conscients que les armes nucléaires existent, et que certains pays pourraient encore vouloir se doter d’une capacité visant à produire de telles armes.
Si nous devons protéger efficacement nos populations, nous aurons toujours besoin d’une dissuasion nucléaire crédible, aussi longtemps qu’il y aura des armes nucléaires de par le monde. Ainsi donc, tant qu’il existera des armes nucléaires, l’OTAN restera une alliance nucléaire – il va sans dire, toutefois, que nous souhaitons maintenir nos armes conventionnelles et nucléaires au niveau le plus bas possible.
Le problème est que nous avons littéralement hérité de la Guerre froide des milliers d’armes nucléaires à courte portée – dont la plupart se trouvent en Russie. Or il s’agit d’une catégorie d’armes non réglementée par un régime de maîtrise des armements, et pour laquelle il n’existe par conséquent aucune transparence. Aussi les Alliés se montrent-ils prudents. Ils souhaiteraient que les négociations sur la maîtrise des armements portent également, à un moment ou à un autre, sur ce type d’armes.
Je pense qu’il est, là aussi, possible de créer un cercle vertueux. La maîtrise des armes conventionnelles permet d’envisager plus facilement une réduction de la dépendance à l’égard des armes nucléaires. Rappelons-le, la confiance appelle la confiance...
Il est également possible de faire davantage pour accroître la confiance entre les pays de l’OTAN et la Russie. Nous pourrions nous inviter les uns les autres à participer régulièrement à des exercices militaires.
Nous pourrions discuter de nos doctrines stratégiques et militaires alors qu’elles sont en cours d’élaboration, plutôt que d’en débattre juste après leur publication – c’est d’ailleurs, très précisément, la démarche qu’a suivie l’OTAN pour l’élaboration de son nouveau concept stratégique.
Nous devons aussi accélérer les travaux actuellement menés pour définir et évaluer les menaces communes auxquelles nous sommes tous confrontés, ce qui peut nous aider à progresser dans le domaine de la défense antimissile.
D’une manière générale, je pense qu’en ce qui concerne la sécurité intérieure européenne, trois voies s’offrent à nous, qui, si nous les suivons, nous permettront de créer une Europe différente, meilleure et plus sûre, une Europe où nous ne craindrons pas des chars ou des avions de chasse venus d’ailleurs, où les défenses antimissiles nous uniront, et nous protégeront, et où le nombre d’armes nucléaires à courte portée diminuera régulièrement sur le continent. La confiance sera le ciment de ces trois voies. Un ciment qui permettra la construction d’une confiance encore plus grande.
Pourquoi la réalisation de progrès en Europe me tient-elle tant à cœur ? La réponse est simple : les menaces réelles auxquelles nous sommes confrontés viennent de l’extérieur. Terrorisme, extrémisme, drogue, prolifération des missiles et des armes de destruction massive, piraterie, pour n’en citer que quelques-unes.
Il est temps d’arrêter de consacrer du temps et des ressources à nous observer mutuellement ; le moment est au contraire venu de regarder ensemble dans la même direction et de réfléchir à la manière de renforcer la sécurité à l’intérieur de nos frontières.
J’imagine maintenant ce que pensent certains d’entre vous, à savoir que le tableau est beau, mais un peu trop rose. Qu’en est-il des régions sur lesquelles les pays de l’OTAN et la Russie sont en désaccord ? Qu’en est-il, par exemple, de la Géorgie ?
Je partage tout à fait ces préoccupations. Il y a assurément des questions sur lesquelles nous ne pouvons tout simplement pas être d’accord. Le nombre considérable de forces russes déployées en Géorgie, contre la volonté du gouvernement, en est une. C’est également le cas de la décision prise récemment par la Russie de déployer des missiles en Géorgie. Nous estimons qu’il s’agit d'un déploiement dangereux, qui, manifestement, ne respecte pas l’accord de cessez-le-feu conclu entre les présidents Medvedev et Sarkozy. La reconnaissance par la Russie de la soi-disant indépendance des territoires géorgiens d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud est également inacceptable pour les pays de l’OTAN. Ainsi que vous pouvez le constater, nous ne pouvons être d’accord sur la question de la Géorgie – tout comme d’ailleurs nous ne pouvons l’être sur le maintien de moyens militaires russes dans la République de Moldova.
Nous ne pouvons cependant laisser ces divergences paralyser la situation. Nous serions tous perdants. Nous avons le devoir et la volonté de rester fermes sur le principe du consentement du pays hôte – qui, comme je l’ai indiqué, fait partie de « l’enveloppe FCE ». Il y a, là aussi, matière à un renforcement constructif.
Il ne sera possible de progresser dans la maîtrise des armes conventionnelles en Europe que si le principe du consentement du pays hôte est respecté. Il s’agit d’un principe fondamental, qui vaut pour la Géorgie comme pour tout autre pays. On ne peut tout simplement pas y déroger. C’est pourquoi je pense que la volonté commune de progresser sur la question des FCE peut aider à dynamiser les efforts visant à sortir de l’impasse concernant la Géorgie, d’une manière qui respecte pleinement le consentement du pays hôte ainsi que la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Géorgie.
Mesdames, Messieurs,
Nous avons la possibilité de progresser dans trois voies différentes dans les mois et les années à venir, pour rendre l’Europe plus sûre. Toutes ces voies seront jalonnées de péripéties, de soubresauts et elles seront semées d’embûches. Mais il en résultera un continent plus sûr pour nos enfants, et cela en vaut la peine. Tels seraient les fruits de l’Acte fondateur OTAN-Russie, et de la Déclaration de Rome, signée ici même il y a tant d’années.
Permettez-moi, pour conclure, d’enfreindre la première règle que je me suis fixée en tant qu’orateur, à savoir : ne jamais me citer moi-même. Je vais donc faire une exception à l’occasion de mon retour à Rome, dans la ville qui a vu naître le Conseil OTAN-Russie. Lorsque j’ai signé la Déclaration de Rome en 2002, j’ai déclaré que le succès appelait le succès. Il en a été ainsi hier. Il en est encore ainsi aujourd'hui. Et il peut toujours en être ainsi demain.
Je vous remercie de votre attention.