« L’OTAN – La gestion de la sécurité à l’ère de la mondialisation »
Discours prononcé par le secrétaire général de l'OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à l'Université catholique de Lisbonne (Portugal)

Monsieur Braga de Cruz,
Monsieur Espada,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais tout d’abord remercier M. Manuel Braga de Cruz et M. João Espada pour m’avoir invité à m’exprimer aujourd'hui, devant vous, dans cette institution tant attachée aux relations transatlantiques.
La semaine dernière, j’ai visité Bastogne. Vous ne connaissez peut-être pas cette petite ville de Belgique située près de la frontière du Luxembourg. C’est là qu’eut lieu en 1944 ce que l’on a appelé la Bataille des Ardennes, qui fut l’une des plus sanglantes de la Seconde Guerre mondiale. Des milliers de soldats y perdirent la vie. Mais les troupes américaines finirent par l’emporter, et leur victoire accéléra la fin de la guerre en Europe.
J’ai été ému de voir les tombes, les monuments commémoratifs et les lieux où des soldats qui avaient votre âge ont combattu les uns contre les autres, il y a un peu plus de 65 ans, et où nombre d’entre eux payèrent le prix fort.
C’était la seconde fois, au cours du XXe siècle, que des soldats américains et canadiens traversaient l’Atlantique pour aider à libérer l’Europe. Trente ans auparavant, leurs pères s’étaient battus pour mettre fin à la Première Guerre mondiale. Une fois la victoire obtenue, ils avaient regagné rapidement leur pays. Et cependant, une génération plus tard, les soldats nord-américains ont dû faire le chemin inverse parce que les grandes puissances européennes s’étaient montrées incapables de parvenir à un équilibre durable.
La Seconde Guerre mondiale nous a finalement fait comprendre ce que la Première Guerre mondiale aurait dû nous enseigner, à savoir, que la sécurité de l'Europe est indissociable de celle de l'Amérique du Nord, et que si l'instabilité et l'insécurité sont présentes d'un côté de l'Atlantique, l’autre côté est inévitablement touché.
C’est cet enseignement qui a conduit des politiciens visionnaires, européens et nord‑américains, à créer l'OTAN en 1949. À partir de cette date, l’Europe et l’Amérique du Nord allaient organiser ensemble leur sécurité. Les pays fondateurs – y compris le Portugal – s’engagèrent à considérer qu’une attaque contre l’un d’entre eux serait une attaque contre tous. Ce principe, consacré dans l’article 5 du Traité de Washington, est l’engagement le plus fort que des pays souverains puissent prendre les uns envers les autres.
À cette leçon de coopération transatlantique en matière de sécurité s’est ajouté un second élément tout aussi important : la nécessité d’une intégration européenne. Pour que l'Europe devienne une région véritablement sûre et sécurisée, il fallait que les pays qui la composent mettent de côté leurs petites rivalités et travaillent à la poursuite d'un objectif commun : l'intégration économique et politique.
L’association de ces deux facteurs, la sécurité transatlantique et l’intégration européenne, a donné des résultats spectaculaires. Sous le « bouclier » de sécurité de l’OTAN, le processus d’intégration européen pouvait s’épanouir. La partie occidentale de notre continent, terrain autrefois propice aux nationalismes, aux rivalités et aux conflits, allait se transformer en un modèle de pluralisme, de prospérité et de paix.
Aussi, lorsque la Guerre froide a pris fin et que la partie orientale de l’Europe s’est elle aussi trouvée libre de faire ses propres choix, elle a exprimé sa volonté de façon simple et claire : faire partie de cette zone unique de stabilité et de prospérité fondée sur des valeurs communes et symbolisée par l’OTAN et l’Union européenne. C’est ainsi que, depuis la fin de la Guerre froide, le nombre de membres de ces deux institutions a presque doublé. Ce que nous avons accompli dépasse ce dont les pères fondateurs de la relation transatlantique avaient jamais osé rêver.
Je sais que, pour nombre d’entre vous, tout ceci semble être de l’histoire ancienne. Alors pourquoi l’évoquer ? Si je remonte ainsi dans le passé, c’est parce qu’à mon avis nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation assez semblable à celle qu'ont connue les pères fondateurs de l'OTAN.
Comme eux, nous sommes au seuil d’une nouvelle ère. Comme eux, nous somme amenés à nous interroger sérieusement sur ce que nous voulons pour le futur. Et comme eux il y a soixante et un ans, il nous faut créer de nouveaux outils pour faire face à de nouveaux défis.
Le bain de sang qu’a été la Seconde Guerre mondiale a façonné les attitudes et les idées de toute une génération. À présent, la question est de savoir ce qui va façonner vos attitudes et vos idées.
La menace terroriste est un élément de réponse possible. Et il y a un événement bien précis qui pourrait avoir un poids particulier. Je pense que vous avez encore en mémoire les images effrayantes des attentats du 11-Septembre, de ces gens désespérés se jetant des tours en flammes avant qu’elles ne s’écroulent.
Les attentats terroristes du 11-Septembre nous ont précipités dans une nouvelle ère : une ère où des terroristes venus du Moyen-Orient et de la région du Golfe reçoivent leurs directives de l’Afghanistan, préparent secrètement leurs attaques en Allemagne, prennent des leçons de pilotage aux États-Unis et, pour finir, détournent des avions de ligne pour les transformer en armes de destruction massive. Rien ne peut illustrer avec autant de force – et de façon aussi tragique – le côté sombre de la mondialisation. Pour aider à la réalisation de leurs objectifs, les terroristes du 11-Septembre ont su mettre à profit les possibilités que leur offrait un monde globalisé. La conséquence de ces événements, c'est que nous sommes entrés dans une nouvelle ère d'insécurité à l'échelle mondiale.
Le 11-Septembre n’a pas touché uniquement les États-Unis. Ce fut une déclaration de guerre à l’ensemble de la communauté transatlantique. Nous l’avons tous compris ainsi. Et nous avons agi en conséquence. Dans les heures qui ont suivi les attentats, l’OTAN a invoqué l’article 5 du Traité de Washington. Pour la première fois dans l’histoire de l’Alliance, les Alliés ont eu recours à la clause qui stipule qu’une attaque contre l’un d’entre eux est une attaque contre tous.
Mais nous n’en sommes pas restés là. Nous avons immédiatement compris qu’aucune frontière, qu’aucun océan ne pouvaient nous protéger contre de telles menaces. Pour protéger notre sécurité, il nous fallait agir. Il nous fallait aller en Afghanistan, berceau des attentats, pour vaincre ceux qui les avaient orchestrés et créer les conditions nécessaires pour empêcher toute nouvelle attaque. En résumé, il nous fallait faire en sorte que plus jamais l’Afghanistan ne soit un sanctuaire pour les terroristes les plus dangereux au monde.
Depuis plusieurs années, l’OTAN dirige la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) en Afghanistan. Il s’agit de la mission la plus difficile que l’Alliance ait jamais entreprise. Une mission, de surcroît, dangereuse – il se passe rarement un jour sans que nous ayons à déplorer la perte de plusieurs de nos soldats. Je souhaiterais profiter de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour présenter mes sincères condoléances aux familles et aux amis des soldats portugais qui ont donné leur vie pour cette mission.
Cependant, nous progressons, malgré les nombreux défis et les échecs occasionnels. Le groupe terroriste Al-Qaida, qui avait jadis des camps d'entraînement dans tout le pays, a subi de sérieux revers. Certes, les talibans continuent de se battre avec férocité, mais lorsqu’ils prétendent défendre leur pays contre l’envahisseur étranger, leur discours sonne de plus en plus creux. La plupart des Afghans ne les croient pas – ils se souviennent combien leurs conditions de vie étaient dures sous le régime taliban, et ils se souviennent en particulier de la répression subie par les femmes.
La plupart des Afghans savent aussi que la raison d'être de la FIAS n'est pas d'occuper leur pays mais de faire en sorte que celui-ci retrouve un second souffle en tant que pays stable et en paix. La plupart des Afghans le savent bien – ils en ont tous les jours la preuve.
Ainsi, au centre de la province du Helmand, quatre mois seulement après le lancement de notre offensive dans cette région, on peut constater de réelles améliorations des conditions d’existence des Afghans. Ils se sentent plus en sécurité. Des écoles, des marchés et des dispensaires ont ouvert. Plus de trois mille élèves, principalement des filles, fréquentent les vingt-deux écoles nouvellement construites.
La croissance économique est une réalité – les activités reprennent sur les marchés, attirant vendeurs et acheteurs ; et les produits sont de meilleure qualité. On reconstruit les routes. Les réfugiés rentrent chez eux.
Dans le passé, les habitants de Marja devaient demander l’autorisation des talibans pour quitter la région. Aujourd'hui, ils peuvent se déplacer librement pour transporter leurs biens et leurs marchandises, chercher un emploi ou encore rendre visite à leur famille ou à leurs amis. Les dirigeants politiques locaux peuvent désormais se rencontrer en toute liberté pour décider eux-mêmes de leur avenir.
Ce sont là des signes évidents de progrès. Des progrès certes lents, mais constants. Je suis persuadé que nous en verrons d’autres signes – si nous gardons le cap.
Notre stratégie est la bonne. Actuellement, nous changeons la donne politique dans les principales régions stratégiques du pays, nous marginalisons et isolons les éléments les plus extrémistes de l'insurrection, nous protégeons la population et nous renforçons l’autorité et les capacités du gouvernement élu. Et surtout, nous formons l'armée et la police afghanes afin que le pays puisse lui-même prendre sa sécurité en charge.
Nous avons les forces armées qu’il faut. Plus de 120 000 soldats servent actuellement en Afghanistan sous le commandement de l’OTAN – d’autres vont bientôt les rejoindre. Le Portugal a fourni des troupes, y compris une force de réaction rapide et des équipes d’instructeurs. De plus en plus de pays du monde entier prennent part à la mission de la FIAS – ils sont actuellement au nombre de quarante-six. Si les attentats du 11-Septembre symbolisent le côté sombre de la mondialisation, le caractère international de la FIAS en représente le côté positif. Rarement autant de pays auront œuvré ensemble à la réalisation d’un objectif commun.
Donc, les choses avancent, et dans la bonne direction. Ce n’est pas le moment de flancher. Ce n’est pas le moment de laisser les talibans croire, à tort, qu’ils peuvent nous chasser ou que nous finirons bien par partir. C’est le moment d’envoyer un signal fort indiquant que nous resterons aussi longtemps qu’il le faudra pour mener notre tâche à bien.
Mesdames et Messieurs, l’Afghanistan restera la priorité opérationnelle de l'OTAN pendant encore quelque temps. Mais s'il nous faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour réussir en Afghanistan, il nous faut aussi considérer la situation de sécurité dans son ensemble. Le 11-Septembre nous a ouvert les yeux sur la mondialisation, mais le terrorisme est loin d’être le seul défi que nous devons relever. La mondialisation est aussi la source de nouveaux défis de sécurité, dont elle amplifie les effets destructeurs : les États faillis, la prolifération des armes de destruction massive, les cyberattaques, la piraterie ou encore la perturbation de l’approvisionnement énergétique.
Ces menaces n’ont rien d’abstrait. Les cyberattaques sont une menace réelle : l'Estonie, l'un de nos Alliés, en a été victime il y a seulement quelques années. La prolifération des armes de destruction massive est une menace réelle : chaque jour, l’Iran et la Corée du Nord démontrent comment des pays déterminés peuvent poursuivre leurs ambitions nucléaires en dépit de l’opposition internationale. La piraterie est une menace réelle : au large des côtes de Somalie, même des super pétroliers sont capturés, avec demande de rançon. La perturbation de l’approvisionnement énergétique est une menace réelle : dans plusieurs pays, des terroristes ont déjà attaqué des pipelines et des raffineries.
Si nous voulons protéger les 900 millions de citoyens des pays de l’OTAN contre ces défis mondiaux, il faut que nous portions nos regards au-delà de l’Afghanistan. Si nous voulons que l’OTAN continue d’assurer la sécurité que nous attendons de cette organisation, alors nous devons la faire entrer dans l’ère de la mondialisation en renforçant les capacités nécessaires pour se protéger contre ces nouvelles menaces et en adaptant l’Alliance, tant d’un point de vue politique que militaire.
De quels types de capacités avons-nous besoin ? Pour ce qui est des capacités militaires, la réponse va de soi. Nous n'avons pas besoin de forces qui restent confinées dans leurs casernes. Nous avons besoin de forces qui peuvent être déployées à longue distance et qui peuvent rester sur le théâtre d'opération aussi longtemps que nécessaire.
Nous ne devrions plus investir dans des forces que nous ne pouvons pas utiliser. Nous devrions au contraire investir dans des capacités militaires qui servent, par exemple la défense antimissile. Dans un monde caractérisé par la prolifération des missiles, une telle capacité est indispensable pour protéger les populations des pays de l’OTAN. S’ils les finançaient en commun, les Alliés pourraient se doter de tels moyens sans épuiser leurs ressources.
Il y a une autre capacité importante qu’il nous faut développer : nos partenariats avec d’autres pays. Parce qu’une chose est sûre : la sécurité au XXIe siècle sera une sécurité en coopération. Les menaces qui pèsent sur la sécurité sont devenues des menaces transnationales. C’est pourquoi nous avons besoin d’une coopération efficace à l’échelle mondiale.
Nous avons déjà fait beaucoup de chemin. L'OTAN entretient aujourd’hui avec de nombreux pays des relations plus étroites que jamais – notamment avec l’ensemble des pays de la région euro-atlantique, y compris avec la Russie, et avec ceux de l’Afrique du Nord, du Moyen-Orient et de la région du Golfe.
Notre politique de partenariat est un véritable succès, et il importe que nous la renforcions – en associant encore plus activement nos partenaires aux consultations et à la prise de décisions concernant les opérations auxquelles nous participons ensemble, en recherchant constamment de nouveaux moyens pour rendre nos cadres de partenariat traditionnels plus dynamiques et plus efficaces, et aussi en nous associant avec des acteurs importants hors de nos partenariats habituels.
L’Afghanistan illustre très bien ce point. Il est impossible de relever les défis dans ce pays sans l’aide du Pakistan. Notre engagement avec celui-ci est donc indispensable. Mais l’Afghanistan est également voisin de la Chine. L’Inde est elle aussi un acteur essentiel dans la région, et elle a exprimé son vif intérêt pour un Afghanistan plus stable.
Selon moi, ces faits mènent à une conclusion claire et simple : il faut aussi que nous engagions un dialogue sur la sécurité avec l’Inde et la Chine. Un tel dialogue fait partie intégrante du cadre de sécurité en coopération que nous devons chercher à mettre en place.
Créer de nouvelles relations avec d’autres pays est un aspect important de la modernisation de l’OTAN. Mais nous devons également tendre la main à d’autres organisations internationales. Pourquoi ? Parce qu’il nous faut prendre conscience du fait que les conflits actuels ne peuvent pas être résolus uniquement par des moyens militaires.
Ici aussi, l’Afghanistan illustre parfaitement ce point. Si nous voulons garantir la paix et la stabilité à long terme dans ce pays, nous devons y établir des institutions solides et stables, développer une économie durable et offrir à la population de meilleurs moyens de subsistance.
La sécurité n’est pas qu’une simple question de force militaire. Elle suppose aussi une force économique, la cohésion sociale et une bonne gouvernance.
Pour promouvoir cette sécurité complémentaire, nous devons mettre en œuvre une approche globale, où nos efforts militaires vont de pair avec le développement du secteur civil, et où le travail des acteurs civils complète la contribution de l’Alliance à la sécurité.
Cela signifie qu’il nous faut continuer d'améliorer notre capacité à coopérer avec d'autres acteurs internationaux comme les Nations Unies, l’Union européenne, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement et divers institutions et donateurs civils.
Mesdames et Messieurs,
En novembre, lors de notre sommet qui se déroulera ici même, nous approuverons un nouveau concept stratégique pour l’OTAN. Plus de dix années se sont écoulées depuis que le concept stratégique en vigueur a été approuvé. Nous avons indiscutablement besoin d'un nouveau document qui définisse l'OTAN comme un partenaire désireux de coopérer à l’ère de la mondialisation.
Le nouveau concept stratégique décrira une Alliance nouvelle et modernisée. Une Alliance qui développe la notion de sécurité selon de nouvelles méthodes et dans de nouveaux endroits, avec de nouveaux membres, de nouveaux partenaires et de nouvelles capacités. Une Alliance qui garantit la sécurité de ses membres, qui assure la sécurité en coopération avec ses partenaires et qui encourage la sécurité complémentaire avec d’autres institutions internationales.
Mesdames et Messieurs les étudiants, les générations qui vous ont précédé ont souffert de la guerre et de la répression. Elles en ont tiré les leçons qui s’imposaient.
Elles ont créé des organisations et des institutions dont la vocation est de promouvoir la paix et la prospérité, et d’empêcher les conflits et les dévastations. Elles ont défendu la liberté et la démocratie et transforme les dictatures en des régimes garantissant la souveraineté du peuple.
J’espère que vous poursuivrez leur action et que vous protégerez les libertés individuelles, la démocratie et l’état de droit.
J’espère aussi que vous prendrez soin de notre cadre de coopération, que vous le moderniserez et lui donnerez un nouvel élan, et que vous renouvellerez et renforcerez le lien entre l’Europe et l’Amérique du Nord.
En nous tournant vers l’avenir, nous n’oublierons pas pour autant les leçons du passé, à savoir que la sécurité transatlantique est indivisible, et que notre communauté transatlantique demeure la plus solide des communautés de pays partageant les mêmes idéaux. Ces leçons sont intemporelles. Elles seront fermement inscrites dans notre nouvelle Alliance.