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Discours prononcé par le Secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à l’Institut Royal Supérieur de Défense de Belgique

  • 26 Apr. 2010
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  • Mis à jour le: 30 Apr. 2010 14:49

Monsieur le ministre, Commandant, Excellences, Mesdames, Messieurs,

Je suis très heureux de pouvoir prendre la parole aujourd’hui devant vous, à l’Institut Royal Supérieur de défense. Les origines de cette grande institution remontent à près de 180 ans, et bon nombre de ses traditions perdurent aujourd’hui. Mais dans le même temps, la nature des guerres et des conflits a considérablement évolué, et le rythme de cette évolution continue de s’accélérer.

Nul ne sait avec certitude ce que réserve l’avenir, mais je peux affirmer, sans crainte de me tromper, que bon nombre des militaires présents aujourd’hui feront une grande partie de leur carrière en détachement à l’étranger. Certains d’entre eux seront déployés dans le cadre d’opérations et de missions menées sous commandement national, mais beaucoup d’autres seront aussi déployés sous le commandement des Nations Unies, de l’Union européenne ou de l’OTAN.

En tant que Secrétaire général de l'OTAN, je suis chargé de faire en sorte que l’OTAN soit structurée et équipée de manière appropriée, totalement interopérable, et pleinement performante.

Dans quelques mois, à notre sommet de Lisbonne qui se tiendra en novembre, nous dévoilerons le nouveau concept stratégique de l’Alliance. Celui-ci décrira non seulement l'environnement de sécurité auquel l’Alliance est exposée aujourd’hui, mais aussi celui auquel elle peut s’attendre à l’avenir. Et il définira les rôles que l’Alliance devra jouer dans cet environnement.

Il va sans dire que j’attends de la nouvelle stratégie de l’Alliance qu’elle soit visionnaire. Mais je veux également qu’elle prenne en compte les réalités politiques et économiques. En effet, comme se plait à le dire le général Jim Jones, conseiller à la sécurité nationale des États-Unis et ancien SACEUR, « une vision sans ressources n’est qu’une hallucination ».

Tous les Alliés sont confrontés à une grave crise financière. Il serait donc illusoire d’escompter une hausse des budgets de défense. Or si nous voulons que l’Alliance soit mieux à même d’anticiper les nouveaux défis de sécurité, si nous voulons adapter ses capacités en conséquence, nous devons pour cela faire une utilisation plus rationnelle et plus efficace des ressources dont nous disposons actuellement. Et c’est là que nous pouvons tirer parti de la transformation et de la réforme. Pour résumer, la transformation et la réforme peuvent nous aider à « en avoir pour notre argent » et à faire en sorte d’utiliser au mieux les deniers publics.

Mais permettez-moi ici une mise en garde. D’aucuns pensent que la transformation et la réforme peuvent servir de prétexte pour justifier la réduction des budgets de défense, ou qu’il est possible de mettre en place à peu de frais une Alliance transformée et réformée. Mais ce n’est pas possible. Si nous voulons que l’OTAN anticipe davantage, qu’elle ait une structure plus déployable et mieux adaptable aux situations les plus diverses, il faut la doter de ressources appropriées. Nous devons nous assurer que les ressources que nous consacrons à la défense sont utilisées de la meilleure manière possible ; permettez-moi de vous donner l’exemple des six voies que nous pourrions suivre pour y parvenir.

Premier exemple : la priorisation. Comme l’a très bien résumé votre ministre de la Défense, Pieter de Crem : « L’OTAN ne peut plus se permettre de consacrer ses ressources au non-essentiel ». En éliminant les dépenses consacrées à des besoins moins importants, les Alliés et l’Alliance peuvent dégager une marge financière permettant de financer nos besoins les plus urgents. En d’autres termes, nous devons revoir nos besoins et nos dépenses, à intervalles réguliers et sans états d’âme,  et nous devons absolument faire en sorte qu’il y ait adéquation des dépenses aux besoins.

Dans mon pays - le Danemark -, nous avons décidé en 2004 de mettre à la casse nos deux derniers sous-marins, et d’investir l’argent ainsi économisé dans des priorités plus élevées.

Quand je vois les importants parcs alliés de blindés et d’avions de chasse et que je les compare à l’analyse de ce que seront vraisemblablement les conflits du futur, je suis convaincu que nous n’avons pas besoin de la totalité de ces équipements. Si nous appliquions un processus rigoureux de priorisation, nous serions en mesure de libérer des ressources considérables, qui pourraient être utilisées pour des besoins hautement prioritaires.

Mais il ne suffit pas de déterminer les vraies priorités – et de les revoir régulièrement. Nous devons également identifier les moyens les plus efficaces d’y répondre.
Et cela m’amène à mon deuxième exemple : les solutions collectives. Il y a lieu de se demander si les solutions collectives, à l’échelle de l'Alliance ou au sein d’un groupe de nations agissant en collaboration, peuvent offrir de nombreux avantages et permettre réellement d’améliorer le rapport coût‑efficacité.

La coopération intensive entre les marines belge et néerlandaise, qui partagent un commandement opérationnel unique et un état-major intégré, constitue une solution collective innovante qui a déjà fait ses preuves.

Je citerai un autre exemple : la police du ciel. Plusieurs pays de l’OTAN effectuent à tour de rôle des patrouilles dans l’espace aérien de la Baltique, ainsi qu’au-dessus de l’Islande et d’une partie des Balkans. Ce n’est pas seulement une solution collective ; c’est aussi un exemple de la solidarité concrète de l'OTAN.

Les solutions collectives offrent de nombreux avantages. Prenons l’exemple des avions AWACS du système aéroporté de détection lointaine et de contrôle de l'OTAN. Les 15 pays participant à ce programme collectif obtiennent des équipements totalement interopérables. Ils obtiennent également une réduction de leurs coûts d’acquisition, d’exploitation et de maintenance, grâce à une combinaison d’économies d’échelle, de logistique commune, et d’engagements partagés en termes d’effectifs.

La capacité de transport aérien stratégique de l’OTAN est un projet tout aussi judicieux. Douze (12) pays de l’OTAN et du Partenariat pour la paix (PPP) partagent trois appareils C-17. Cela signifie qu’il n’y a pas 12 autorités nationales chargées de garantir la navigabilité de ces énormes appareils, mais une seule autorité responsable. De même, il n’y a pas douze, mais un seul dépôt de rechanges et de fournitures pour les C‑17. Et en nous connectant au Centre de coordination des mouvements Europe (MCCE), nous nous assurerons qu’il n’y ait pas de gaspillage des capacités en évitant les vols à vide.

Tous ces avantages sont loin d’être négligeables. Mais l’avantage majeur est qu’à chaque fois une capacité est réellement fournie. Sans solutions collectives, la seule alternative est souvent l’absence totale de capacité.

Je sais bien que certains projets multinationaux sont perçus comme longs à mettre en place, complexes et coûteux. En effet, les pays peinent parfois à s’entendre sur l’énoncé exact des besoins. Et les capacités choisies pour des projets multinationaux sont souvent des capacités haut de gamme, qui sont donc à la fois complexes et coûteuses.
Mais nous pouvons surmonter ces problèmes en harmonisant nos besoins, si nous nous concentrons sur ce qui est réellement nécessaire, et non sur ce que nous souhaiterions avoir, et si nous mettons en place des arrangements permanents pour des solutions collectives, au lieu de créer chaque fois des structures ad hoc.

Si nous réalisons tout cela, les solutions collectives et multinationales peuvent alors constituer un moyen économiquement rationnel de garantir l’accès à des capacités clés pour un plus grand nombre de pays, et pour l’Alliance. Je souhaiterais assurément que nous puissions atteindre le stade, où les acquisitions de défense multinationales deviendront la règle plutôt que l’exception.

Mon troisième exemple est celui du financement commun. Les pays de l’OTAN assument tous une part du coût de fonctionnement quotidien de l’Alliance – y compris de certains éléments de nos infrastructures, de nos systèmes de communications spéciales et du siège même de notre Organisation. Mais, en pourcentage total des budgets de défense alliés, ce financement commun représente moins de 0,5%.

Pour ce qui est des opérations, le principe de base est l’imputation des dépenses à leur auteur. Ce qui signifie que la Belgique assume le coût du déploiement des troupes belges en Afghanistan, tout comme les autres Alliés le font pour leur propre contribution Ce n’est pas, selon moi, la meilleure façon d’inciter les Alliés à participer – notamment compte tenu du coût élevé des opérations menées aujourd’hui.

Pour ma part, je voudrais que nous développions davantage encore le recours au financement commun pour financer notre Alliance et nos opérations. Et je vois au moins trois arguments qui militent en ce sens.

Premièrement, il se peut que certains Alliés aient des troupes ou des équipements à mettre à la disposition de l'OTAN dans le cadre d’une opération, mais qu’ils ne disposent pas de fonds suffisants pour déployer ces moyens sur le théâtre. Si nous leur donnions la possibilité de puiser dans un budget commun afin de les aider dans ce déploiement, cela renforcerait notre capacité en tant qu'Alliance.

Deuxièmement, il se peut que certains Alliés ne souhaitent pas réellement - pour une raison ou une autre - participer à une opération. Si nous mettons en place des modalités de financement commun améliorées, ces Alliés pourront quand même contribuer à la solidarité de l’Alliance, qui est essentielle au succès de toutes nos opérations, aujourd’hui comme demain.

Troisièmement, certaines capacités militaires coûtent si cher que certains petits pays alliés n’ont d’autre choix, pour se les procurer et les utiliser, que de se regrouper avec d’autres Alliés.

Pour toutes ces raisons, je suis convaincu qu’un recours accru au financement commun et aux solutions collectives est l’approche à adopter si nous voulons disposer de capacités appropriées, mener des opérations militaires économiquement viables et renforcer notre cohésion et notre solidarité en tant qu'Alliés.

Une plus grande solidarité, j’en suis convaincu, encouragerait les pays à réfléchir à un autre moyen d’optimiser l’utilisation des ressources. Et j’en viens à mon quatrième exemple : la spécialisation. Au travers de la spécialisation, des pays - à titre individuel - ou des groupes de pays se partagent la responsabilité de fournir une capacité donnée.

Nous avons déjà adopté cette approche avec beaucoup de succès dans le domaine de la formation. Chacun de nos centres d’excellence est hébergé par un pays différent et apporte un soutien en matière de formation dans un domaine précis : formation à la cyberdéfense en Estonie, formation médicale en Hongrie, ou Centre d'excellence belgo-néerlandais pour la guerre des mines marines – autant d’exemples concluants de cette approche.

La prochaine étape consistera à passer de la spécialisation de la formation à la spécialisation des rôles en matière de capacités. Il est évident que les Alliés doivent tous maintenir des capacités de combat de base, comme l’infanterie ou le génie de combat, et se tenir prêts à partager le risque d’avoir à les utiliser effectivement dans des opérations OTAN.
Mais on ne peut pas attendre de tous les pays - même des grands – qu’ils couvrent tout l’éventail des capacités haut de gamme, comme le transport aérien stratégique, les hélicoptères de combat, les avions de combat ou les chars de bataille. Si nous pouvions nous mettre d’accord sur qui fait quoi dans ces domaines de plus en plus coûteux, certains pays – ou groupes de pays – pourraient sacrifier une partie de leurs capacités nationales et réinvestir dans leurs domaines de compétence spécifiques.

Cette spécialisation des rôles permettrait, dans une large mesure, de fournir certaines des capacités essentielles qui font actuellement défaut, et contribuerait à réduire les multiples doublons que nous constatons dans certains domaines.

Éviter les duplications inutiles – mon cinquième exemple : c’est là qu’à mon avis nous avons le plus de possibilités d’économiser de l’argent, qui pourra être mieux utilisé ailleurs. Avons-nous vraiment besoin d’un si grand nombre de types différents de véhicules de combat d'infanterie, ou de radios, ou d’hélicoptères ? Si les pays européens achètent 600 hélicoptères NH-90, est‑il vraiment nécessaire qu’ils certifient tous au niveau national le lot qui leur revient – alors qu’on estime qu’en harmonisant cette certification on pourrait économiser jusqu’à 5 milliards d’euros ?

Mais les duplications ne représentent pas seulement un gaspillage financier, elles entraînent des pénalités opérationnelles. Le commandant de la province du Helmand, en Afghanistan, a dû utiliser quatre radios différentes pour communiquer avec quatre contingents nationaux différents. De même, nous avons constaté que les Systèmes de suivi des forces amies permettent à chaque pays de suivre ses propres forces, mais pas celles des autres pays - mettant ainsi des vies en danger.

Pour résoudre ce problème, il a fallu recourir au financement commun de l’OTAN pour connecter les différents systèmes. C’était la chose à faire dans une situation donnée. Mais cela signifie qu’au final, les pays ont payé deux fois – une première fois pour leur capacité nationale initiale, et une nouvelle fois pour rendre celle-ci totalement interopérable.
Je comprends bien qu’il y a de forts intérêts nationaux en jeu, et que dans le contexte économique actuel, il existe un réel danger de protectionnisme. Mais nous devons absolument résister à ces tentations ; nous ne pouvons plus nous permettre de mener une réflexion purement nationale.

Nous devons absolument revoir de fond en comble nos marchés industriels de défense – notamment ici en Europe – afin de réduire leur fragmentation et de les renforcer.
La Commission européenne a déjà pris l’initiative d’améliorer la transparence et de promouvoir une concurrence équitable dans les marchés de défense en encourageant les États membres à ouvrir leur marchés d’équipements de défense et à proposer des contrats à des soumissionnaires d’États non membres.

Il s’agit là d’une première étape essentielle. Mais il faut aller plus loin. Il est absurde que l’Europe ait seize chantiers navals et douze constructeurs de véhicules blindés. C’est la raison pour laquelle je continuerai d’encourager les ministres de la Défense des pays de l’OTAN à coopérer plus étroitement avec les dirigeants des industries de défense nationales, afin de mener autant que possible des projets multinationaux ou en coopération, et de rechercher des possibilités de regroupement ou de fusion.

Cette conjugaison des efforts devrait non seulement rendre plus difficile le recours au protectionnisme, mais aussi contribuer à réduire l'actuelle fragmentation de l’industrie de défense européenne.

Mais il ne suffit pas de réorganiser notre base industrielle. Nous devons aussi réorganiser nos mécanismes d’acquisition d’équipements de défense afin d’éviter les pénalités financières et opérationnelles résultant des duplications.

Dans bien des cas, l’Union européenne, l’OTAN et les pays ont les mêmes besoins capacitaires, mais ils persistent trop souvent à rechercher individuellement des solutions. J’ai déjà recensé quelques domaines – les hélicoptères lourds, les dispositifs explosifs improvisés et la connaissance de la situation maritime - dans lesquels une coopération renforcée entre l’OTAN et l’UE aurait du sens d’un point de vue opérationnel, tout en permettant de sauver des vies et de faire des économies.

Mon sixième et dernier exemple est celui de la réforme de l’OTAN. Pour faire bref, l’OTAN – y compris son siège de Bruxelles - doit fournir à ses pays membres un service plus rapide et plus efficace.

L’une des priorités est de réformer la structure de commandement propre à l’OTAN. Je compte présenter en juin aux ministres de la Défense des options visant à alléger cette structure et à la rendre plus efficace et moins coûteuse.

Nous devons aussi restructurer nos agences pour en améliorer l’efficacité économique et opérationnelle. L’OTAN compte actuellement 14 agences, et c’est ce système que nous devons également rationaliser.

Enfin, j’ai mis en chantier un certain nombre de réformes destinées à rationaliser le processus décisionnel de l’OTAN, de même que nos structures internes, nos procédures et nos méthodes de travail au siège de l’OTAN à Bruxelles. Je cherche actuellement à réduire le nombre des comités. J’ai par ailleurs réorganisé les structures existantes pour les axer sur les défis de sécurité émergents.

Dans tous ces domaines, le plus grand défi de la réforme est de faire évoluer les mentalités. Je pense que, vingt ans après la fin de la Guerre froide, nous n’avons pas encore complètement refermé le chapitre de la planification pour recentrer nos efforts sur l’action et la mise en oeuvre. Je suis déterminé à ce que l’OTAN achève cette transition pendant mon mandat.

Mesdames et Messieurs,

Je viens de vous exposer mes idées sur la manière de transformer et de réformer l’OTAN, d'améliorer ses capacités et d’assurer une bien meilleure utilisation de l’argent des contribuables.

Priorisation, solutions collectives, financement commun, spécialisation, élimination des doublons et réforme – toutes ces pistes nous permettront de rendre l’OTAN plus efficace et de mieux utiliser les ressources de défense limitées de nos pays. Et aussi de veiller à ce que l’OTAN continue d’être économiquement efficace et d’apporter une vraie sécurité.

Je vous remercie de votre attention.