« La solidarité de l’Alliance au XXIe siècle »

Discours prononcé à Tallinn (Estonie) par le secrétaire général de l'OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen

  • 22 Apr. 2010
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  • Last updated 26-Apr-2010 09:55

Mesdames et Messieurs,

Je suis vraiment désolé que les organisateurs de la conférence Lennart Meri aient dû annuler la rencontre de cette année en raison de la fermeture de l’espace aérien européen cette dernière semaine. Mais je suis très heureux d’avoir réussi à venir à Tallinn et de pouvoir prendre la parole devant vous ce matin.

L’Estonie a des liens historiques étroits avec mon pays natal, le Danemark. Mon arrière-arrière-grand-père était venu s’installer à Tartu à la fin du XIXe siècle ; il était négociant  en bois et en produits laitiers, et dirigeait une boulangerie industrielle.

Je garde moi-même en mémoire le souvenir très cher de plusieurs visites que j’ai effectuées en Estonie lorsque j’étais Premier ministre. Je me souviens, par exemple, que j’ai participé à un marathon cycliste à Tartu, en compagnie du Premier ministre de l’époque, Siim Kallas, et du maire de Tartu, Andrus Ansip, qui occupe aujourd’hui le poste de Premier ministre.

J’ai également eu le grand privilège de rencontrer Lennart Meri à différentes reprises. Ce dernier a tout mis en œuvre pour faire entrer l’Estonie dans l’OTAN. Et je suis convaincu qu’il serait très fier, s’il était encore parmi nous aujourd’hui, de voir que sa chère Estonie s’est bien intégrée dans l’OTAN – au plan politique comme au plan militaire.

En Afghanistan aujourd’hui, dans l’opération militaire la plus difficile que l’OTAN ait jamais entreprise, les forces estoniennes font un superbe travail, en coopération étroite avec les forces danoises. Le ferme engagement de l’Estonie à l'égard de la solidarité transatlantique est aussi clairement visible au niveau politique. Et je suis convaincu que nous en aurons une nouvelle fois la démonstration ici à Tallinn, à notre réunion ministérielle.

Plus de soixante ans après la création de l’OTAN, la solidarité demeure le bien le plus précieux de l’Alliance. Mais il en va de la solidarité comme de tous les biens précieux : elle ne peut pas être tenue pour acquise. C’est pourquoi je suis résolu à faire en sorte que l’OTAN conserve sa vocation et reste le bastion de la solidarité. Et c’est pourquoi j’ai choisi d’axer mon discours, ce matin, sur la solidarité.

Pendant la guerre froide, l’OTAN a parfaitement affiché sa solidarité au travers de ses plans de déploiement militaire. Ces plans, qui étaient approuvés à l’avance, prévoyaient que tous les Alliés assument la responsabilité de certaines tâches ou zones géographiques.

De nombreux pays de l’OTAN ont stationné leurs forces de manière permanente dans des bases avancées situées sur le territoire de leurs Alliés, en sachant pertinemment que toute attaque dirigée contre l’un de ceux-ci constituerait également une attaque contre eux.

Avec ses options préétablies, qu’elle mettait régulièrement à l’épreuve, l’OTAN était l’exemple même de la solidarité. Les autres pays étaient bien conscients que s’ils s’en prenaient à un Allié, ils devraient affronter tous les Alliés – et c’est la raison pour laquelle nous nous imposions.

Après la fin de la guerre froide, c’est la solidarité de l’Alliance qui a été le facteur déterminant pour le rétablissement de la stabilité dans les Balkans. Chacun des pays membres de l’Alliance y a contribué. Les forces de stabilisation, dirigées par l'OTAN sous mandat des Nations Unies en Bosnie et au Kosovo, ont été un exemple de la solidarité concrète de l’OTAN. De nombreux autres partenaires de l’OTAN et d’autres pays, qui ont tous vu un intérêt à coopérer avec l’OTAN pour rétablir la paix et la stabilité en Europe du Sud-Est, sont venus renforcer la solidarité de l’Alliance.

Les Alliés continuent de témoigner aujourd’hui – et chaque jour - d’un engagement indéfectible à l’égard de la solidarité. De par sa nature, l’Alliance encourage et favorise la solidarité – qu’il s’agisse des décisions qu’elle prend par consensus, ou de la façon dont elle les met en œuvre.

Pour illustrer ce point, permettez-moi de vous donner trois exemples précis de la manière dont l’Alliance apporte aujourd’hui la solidarité – et donc la sécurité.

Premièrement, nous apportons la solidarité par notre engagement indéfectible en faveur de la défense territoriale. Cette tâche essentielle de l’OTAN est inscrite dans l'article 5 de notre traité fondateur : une attaque dirigée contre un Allié est considérée comme une attaque contre tous les Alliés. C’est le fondement même de notre Alliance – et c’est ce qui permet à nos États membres de se sentir en sécurité.

Mais si nous voulons réussir à défendre nos territoires et à protéger nos populations, nous avons besoin de plusieurs choses.

Nous avons besoin de capacités militaires appropriées. Nous avons besoin de forces armées modernes et mobiles, qui ne soient pas statiques. Des forces capables de se déployer rapidement pour venir en aide à un Allié.

Il faut également que la présence de l’OTAN soit visible sur l’ensemble du territoire de notre Alliance. Et nous en voyons un parfait exemple ici même, dans cette région. Nous avons mis en place des arrangements de police du ciel dans l’espace aérien balte. De nombreux États membres y participent activement  -- partageant les responsabilités – manifestant leur solidarité – et faisant la démonstration d’une Alliance performante et crédible, déterminée à défendre notre territoire et à protéger nos populations.

Nous devons également nous protéger contre des menaces et des risques nouveaux pour la sécurité de nos pays, comme les ruptures d’approvisionnement en énergie ou les cyberattaques. Et là aussi, nous avons un bon exemple, ici même en Estonie, avec le Centre d'excellence OTAN pour la cyberdéfense.

Il nous faut également une dissuasion nucléaire crédible. Nous devons poursuivre l’objectif d'un monde sans armes nucléaires. Je partage cette grande vision.

Mais nous devons impérativement conserver une capacité nucléaire tant qu’il existera des régimes voyous ou des groupes terroristes susceptibles de représenter pour nous une menace nucléaire.

C’est la raison pour laquelle nous avons également besoin d’un système de défense antimissile crédible assurant la couverture de tous les Alliés.

Les États-Unis possèdent déjà un système de défense antimissile. Certains Alliés européens disposent de la capacité de protéger les forces déployées contre des attaques de missiles. Mais bien sûr, nous devons absolument protéger aussi nos populations – toutes nos populations.

Si nous parvenions à relier les systèmes nationaux à un bouclier antimissile à l’échelle de l’OTAN pour protéger tous nos Alliés, cela constituerait une démonstration très forte de la solidarité de l’OTAN au XXIe siècle. Et j’espère que nous pourrons progresser dans cette voie d’ici au prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra à Lisbonne en novembre.

Mesdames et Messieurs, nous ne pouvons pas considérer notre sécurité aujourd’hui à travers le seul prisme de la défense à nos frontières, comme nous le faisions pendant la guerre froide. De nos jours, les menaces peuvent prendre naissance bien loin de nos frontières, et être néanmoins capables de frapper chez nous. C’est là le deuxième domaine où l’OTAN apporte la solidarité aujourd’hui,  en répondant à ces menaces loin de nos frontières. Et nulle part ailleurs qu’en Afghanistan cette motivation commune n’est aussi forte et visible.

Les terroristes qui ont attaqué les États-Unis le 11-Septembre avaient suivi un entraînement et une instruction en Afghanistan. Le lendemain, le 12 septembre, les Alliés ont invoqué l’article 5 – la clause de défense collective du Traité de Washington – et ce pour la toute première fois dans l’histoire de l’OTAN. Cette décision a constitué l’expression la plus ferme possible de la solidarité de l’Alliance. Et elle a été prise rapidement et sans hésitation. Nous avons tous considéré l’attaque contre les États-Unis comme une attaque dirigée contre nous tous. Et nous nous sommes tous rangés aux côtés des États-Unis pour les soutenir dans l’adversité.

Aujourd’hui, cette même solidarité reste un élément essentiel de notre engagement en Afghanistan. Tous les Alliés sans exception - comme de nombreux pays partenaires - contribuent activement à la mission que nous menons sous mandat des Nations Unies. Lorsque le président Obama a décidé l’an dernier d’envoyer en renfort 30 000 militaires américains en Afghanistan, les autres Alliés se sont engagés à leur tour à envoyer presque 10 000 hommes supplémentaires. En dépit des difficultés, tous les Alliés ont manifesté clairement leur solidarité au sein de l’Alliance.

Nous voulons tous que l'Afghanistan soit stable et sûr – que l’Afghanistan ne constitue plus une menace pour sa région et pour le reste du monde. Nous resterons en Afghanistan aussi longtemps qu’il le faudra pour atteindre cet objectif. Nous voulons continuer de donner aux Afghans les moyens de s’assumer, et leur transférer progressivement de plus grandes responsabilités pour la sécurité de leur pays, dès que les conditions le permettront.

Cela signifie que nous devons absolument continuer d'entraîner et de former les soldats et les policiers afghans. Et c’est la raison pour laquelle je continuerai d’exhorter tous les Alliés et les partenaires à contribuer à notre mission OTAN de formation en Afghanistan. Et, là encore, c’est avant tout une question de solidarité. Car plus nous investirons ensemble dans la transition maintenant, plus vite les Afghans pourront assumer leurs responsabilités.

Mesdames et Messieurs, la solidarité au sein de l’OTAN comporte un troisième aspect que je voudrais mentionner : il s’agit du financement commun et des solutions collectives. Dans ce domaine également, je pense que nous obtenons de bons résultats – mais aussi que nous pouvons faire encore mieux.

La participation à des opérations multinationales telles que notre engagement en Afghanistan peut être très coûteuse. On peut en dire autant de l’acquisition de capacités modernes permettant de répondre aux défis de sécurité d’aujourd’hui.

Les pays de l’OTAN assument tous une part du coût de fonctionnement quotidien de l’Alliance – y compris de certains éléments de nos infrastructures, de nos systèmes de communications spéciales et du siège même de notre organisation. Mais, en pourcentage total des budgets de défense alliés, ce financement commun représente moins de 0,5%.

Pour ce qui est des opérations, le principe de base est l’imputation des dépenses à leur auteur. Ce qui signifie que l’Estonie assume le coût du déploiement des troupes estoniennes en Afghanistan, tout comme les États‑Unis, la Pologne et tous les autres Alliés le font pour leur propre contribution. Ce n’est pas, selon moi, la meilleure façon d’inciter les Alliés à participer.

Pour ma part, je voudrais que nous développions davantage encore le recours au financement commun pour financer notre Alliance et nos opérations. Et je vois au moins trois arguments qui militent en ce sens.

Premièrement, il se peut que certains Alliés aient des troupes ou des équipements à mettre à la disposition de l'OTAN dans le cadre d’une opération, mais qu’ils ne disposent pas de fonds suffisants pour déployer ces moyens sur le théâtre. Si nous leur donnions la possibilité de puiser dans un budget commun afin de les aider dans ce déploiement, cela renforcerait notre capacité en tant qu'Alliance.

Deuxièmement, il se peut que certains Alliés - pour une raison ou une autre - ne souhaitent pas réellement participer à une opération. Si nous mettons en place des modalités de financement commun améliorées, ces Alliés pourront quand même contribuer à la solidarité de l’Alliance, qui est essentielle au succès de toutes nos opérations, aujourd’hui comme demain.

Troisièmement, certaines capacités militaires coûtent si cher que, pour certains petits pays alliés, la seule manière de se les procurer et de les utiliser est la mise en commun avec d’autres Alliés.

Depuis de nombreuses années, les pays de l'Alliance débattent des ressources, des besoins et du financement commun. Sans parvenir jusqu’à présent à un accord. Certains Alliés sont très favorables à un recours accru au financement commun. D’autres craignent, notamment en ce qui concerne les opérations, de devoir payer deux fois. D’abord pour leur propre déploiement, en vertu du principe de l’imputation des dépenses à leur auteur. Ensuite à travers leur contribution à un budget commun destiné à aider d’autres pays à déployer leurs forces.

Ces préoccupations sont bien compréhensibles, et elles doivent être prises en considération. Je suis néanmoins convaincu qu’un recours accru au financement commun et aux solutions collectives est l’approche que nous devons adopter si nous voulons disposer de capacités appropriées, mener des opérations militaires économiquement viables et renforcer notre cohésion et notre solidarité en tant qu'Alliés.

Mesdames et Messieurs,

La solidarité est vitale pour l’OTAN. C’est à cette solidarité que nous devons nos succès passés et présents, et c’est encore elle qui rendra possibles nos succès futurs.

Mais de nouveaux défis mettent à l’épreuve la solidarité au sein de notre Alliance. C’est pourquoi il est si important, aujourd'hui, d'élaborer un nouveau concept stratégique pour l'Alliance.

C’est pour nous l’occasion idéale d’évaluer avec réalisme le nouvel environnement de sécurité, de nous mettre d’accord sur ce qu’il représente pour nous en tant qu’Alliance, et d’adopter une marche à suivre qui nous permette de continuer à apporter la sécurité de manière efficace.

Selon moi, l’une des réponses majeures à ce défi serait de développer le rôle de l'Alliance comme enceinte de consultation. L’article 4 de notre traité fondateur stipule que les Alliés se consulteront chaque fois que l'intégrité territoriale, l'indépendance politique ou la sécurité de l'un d’eux sera menacée.

Nous avons toujours eu tendance à n’aborder certains problèmes que lorsque nous devions y faire face. Je pense que nous devrions au contraire débattre d’un nombre croissant d’enjeux sécuritaires intéressant les Alliés, et ne pas nous limiter à ceux qui exigent une réponse immédiate. Cela nous permettra de définir l’indispensable position commune sur ces questions potentiellement complexes.

J’ai recensé les domaines dans lesquels notre solidarité s’exerce déjà, et j’ai également mis en évidence ceux où nous devrions œuvrer en faveur de progrès continus. Je suis convaincu que notre nouveau concept stratégique nous incitera à poursuivre dans cette voie, et qu’il nous permettra de renforcer et d’améliorer la solidarité dont nous avons constamment fait preuve au sein de l’OTAN. J’ai la certitude que cette solidarité renforcée et améliorée nous aidera à relever les défis de demain. Je vous remercie pour votre attention.