« De l’importance de la défense »
Discours du secrétaire général de l’OTAN, Anders Fogh Rasmussen, à la session annuelle 2013 de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, tenue à Dubrovnik (Croatie)
Monsieur le président,
Vos Excellences,
Chers parlementaires,
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais commencer par remercier le gouvernement et le Parlement croates, ainsi que le président de l'Assemblée parlementaire de l'OTAN, de m'avoir invité à être parmi vous aujourd'hui. En tant qu'ancien parlementaire, je me réjouis toujours à la perspective de venir à vos réunions.
La réunion d'aujourd'hui est également l'occasion pour moi de féliciter la Croatie pour son adhésion à l'Union européenne cet été. Il s'agit d'une étape importante dans l'intégration progressive de l'Europe du Sud‑Est au sein de la région euro-atlantique.
L'accord de normalisation entre Belgrade et Pristina représente une autre étape significative. La mise en application de cet accord doit se poursuivre. Et l'OTAN, comme la KFOR, ont un rôle majeur à jouer à cet égard.
Aux côtés de l'Union européenne, l'OTAN jouera son rôle pour garantir un avenir meilleur -- à tous les pays de l'Europe du Sud-Est. Nous continuerons d'assurer la paix et la stabilité. D'associer tous les pays intéressés à des activités de partenariat et de coopération. Et de laisser notre porte ouverte pour de nouveaux pays membres.
Au cours des dix dernières années, la Croatie a déjà franchi cette porte, tout comme l'Albanie et la Slovénie.
La Bosnie-Herzégovine, le Monténégro et l'ex-République yougoslave de Macédoine savent tous que la porte de l'OTAN leur est également ouverte. Pour autant qu'ils affichent une nouvelle détermination à régler d'anciens différends. Des résultats en matière de réforme et un sens des responsabilités. Et une volonté politique d'instaurer la sécurité et la stabilité avec leurs voisins et avec d'autres pays.
Compte tenu de leur histoire récente, les peuples de cette région comprennent l'intérêt de la défense et de la sécurité. Ils comprennent pourquoi la défense est importante.
L'environnement international de sécurité a radicalement changé. La plupart de nos opérations et missions se déroulent loin de chez nous. Très peu de pays ont encore recours à la conscription. D'où un certain décalage entre les institutions publiques et les institutions de défense comme l'armée.
Dans le même temps, la crise financière a pesé très lourdement sur nos économies. Elle a entraîné des coupes dans les budgets de défense de nombreux pays. Et elle a soulevé des questions quant à la nécessité de la défense.
Au cours des six derniers mois, l'OTAN a travaillé avec d'éminents instituts de recherche de huit pays membres de l'Alliance afin d'examiner cette question. Ces instituts ont abordé la question de la défense avec des représentants de la société civile. Ils ont également exploité les résultats de sondages d'opinion. Et quelques‑uns ont aussi mené des entretiens avec des décideurs et des parlementaires. Ainsi, certains d'entre vous ont peut-être même été contactés.
L'objectif était d'avoir une idée générale de la manière dont nos opinions publiques perçoivent la défense, et de l'importance qu'elles lui accordent. La question essentielle était la suivante : dans quelle mesure notre défense importe-t-elle réellement ?
Les résultats sont à présent disponibles. Et la réponse est claire. En résumé, la défense conserve toute son importance. Mais nous devons tous redoubler d'efforts afin d'expliquer pourquoi.
Quatre conclusions découlent de cette recherche.
Premièrement, nos forces militaires jouissent d'un profond respect, et l'investissement de défense bénéficie d'un large soutien. Ce soutien varie d'un pays à l'autre. De nombreuses personnes estiment que nous pouvons et que nous devrions procéder à de nouvelles réductions. Mais davantage de personnes encore estiment que nous devrions soit maintenir notre niveau actuel de dépenses, soit l'augmenter. Il est intéressant de noter que le sondage Transatlantic Trends de cette année donne les mêmes résultats.
Deuxièmement, nos opinions publiques comprennent bien que la liberté et la prospérité d'un pays dépendent de sa sécurité. Mais elles ne comprennent pas l'importance de nos investissements, la manière dont ceux-ci sont utilisés, ni les rôles que de nos forces militaires exercent réellement.
Par exemple, de nombreuses personnes sont persuadées que les dépenses de défense de nos pays sont bien plus élevées qu'elles ne le sont en réalité. Dans un pays, les personnes interrogées ont estimé que l'investissement de défense représentait entre 2 et 15 pour cent du PIB. Selon moi, ce genre d'opinion peut en partie expliquer pourquoi certains pensent que l'on peut encore « couper dans le gras » en matière de défense. La réalité est bien entendu très différente. Le gras a déjà été enlevé. Et nous sommes maintenant tout près de l'os.
Le troisième résultat marquant de cette recherche, c’est que les industries de défense sont généralement considérées comme des contributeurs positifs pour nos économies. Mais ces considérations sont ternies par certaines impressions négatives : des dépenses inutiles, un manque de transparence et une inefficacité en termes d'acquisition.
Et quatrièmement, notre sondage révèle un écart grandissant entre l'image de l'OTAN en Amérique du Nord et l'image de l’OTAN en Europe. De manière générale, les Européens tendent à juger positivement l'appartenance de leur pays à l'Alliance. Plus particulièrement, ils considèrent que faire partie de l'OTAN contribue à l'amélioration de la transparence et de l'efficacité des forces de défense d'un pays.
Mais les Nord-Américains ont de plus en plus tendance à croire que l'OTAN n'a pas grand‑chose à leur offrir en termes de sécurité, et que les Européens doivent assumer une plus grande part du fardeau de la sécurité transatlantique.
Par conséquent, à la lumière de ces conclusions, comment pouvons-nous mieux plaider la cause de notre défense en général, et de l'OTAN en particulier - de part et d'autre de l'Atlantique ? Je vois trois priorités :
Premièrement, nous devons rappeler la finalité de base de notre défense : protéger nos peuples et nos principes. La liberté. La démocratie. Les droits de l’homme. Et l'état de droit.
Chacun au sein de l'Alliance adhère à ces valeurs fondamentales. Elles sont essentielles au maintien de notre paix et de notre prospérité. Mais elles ne vont pas de soi. Nous devons tous être prêts à défendre ces valeurs. Et - si nécessaire - nous devons être prêts à nous battre pour les protéger.
C'est notre détermination à défendre ces valeurs qui a fini par mettre un terme à la Guerre froide. D'anciens adversaires sont devenus des Alliés. L'Europe est maintenant en paix. Et les peuples se sentent en sécurité, la guerre entre pays européens étant tout simplement inimaginable.
Il y a une vingtaine d'années, nous sommes intervenus afin de protéger nos valeurs ici même, en Europe du Sud-Est.
Et il y a deux ans, nous sommes intervenus afin de protéger des civils en Libye et de faire appliquer une résolution historique des Nations Unies.
La protection de nos valeurs - voilà la raison principale qui fait que la défense est importante.
Deuxièmement, nous devons voir les choses sous un autre angle et nous demander non pas quel est le coût de la défense, mais plutôt quel serait le coût de l'absence de défense. Et penser non pas à ce que nous investissons, mais à ce que nous obtenons en retour.
Il n'est pas facile pour le public de comprendre ce que nous risquons de perdre si nous n'investissons pas dans la défense. Nous devons donc faire davantage pour chiffrer ce risque. Et il existe des données qui peuvent nous aider à faire valoir cet argument.
Par exemple, les attentats du 11 septembre ont entraîné une perte de capitalisation boursière de 1 700 milliards de dollars environ. Aux États‑Unis, le Congressional Research Service a calculé que ces attentats ont aussi entraîné une perte de revenu et de production de près de 300 milliards de dollars. Ainsi qu’une augmentation du coût de la sécurité pour les entreprises de 234 milliards de dollars.
Au début de l’année, la Banque mondiale a chiffré l'impact global annuel de la piraterie en Somalie à 18 milliards de dollars, ce qui est considérable.
Le Center for Naval Analyses des États‑Unis a estimé qu’en cas de fermeture complète du détroit d’Ormuz, les prix du pétrole pourraient tripler.
Europol, organisation européenne de mise en application des lois, évalue à mille milliards de dollars le montant annuel des pertes subies par les entreprises en raison de la cybercriminalité.
Et vous vous rappelez peut-être qu’en avril de cette année, un faux tweet provenant du compte Twitter d'Associated Press et annonçant qu'il y avait eu deux explosions à la Maison Blanche a entraîné une perte de capitalisation boursière immédiate de plus de 136 milliards de dollars.
Toutefois, ce coût financier n'est rien par rapport au coût humain.
En juin, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a signalé qu'il y a désormais plus de 45 millions de personnes déplacées de force. Près de la moitié des réfugiés sont des enfants. Ce sont des conflits, des crises ou des catastrophes qui sont à l'origine de ce problème.
Mesdames, Messieurs, voilà simplement quelques exemples qui donnent la mesure du coût qu’entraînent des attaques. Du coût de l’insécurité. Et du coût de l’absence de défense. Je sais qu’il est difficile d’évaluer un coût total. Mais ces exemples illustrent bien que si la défense a un coût, celui de l’absence de défense est quant à lui bien plus élevé.
Dans le monde imprévisible d’aujourd’hui, la défense est une police d'assurance essentielle. Nous devons dépenser de l'argent pour en gagner. Et pour sauver des vies.
Investir dans la défense revient également à investir dans l'une des industries les plus innovantes, les plus pointues et les plus productives au monde. Ainsi, en 2012, l'industrie européenne de défense a enregistré un chiffre d'affaires de 96 milliards d'euros. Et elle employait près d'un million et demi de personnes, directement ou indirectement.
L'expertise de nos industries de défense s'est construite génération après génération. Elle a conduit à l'apparition de nombreux produits qui ont contribué à transformer notre vie quotidienne, pour le meilleur : le moteur à réaction, la navigation par satellite, et internet, pour ne citer que quelques exemples.
Tout comme n'importe quelle autre industrie de haute technologie, le secteur évolue constamment. Si nous réduisons trop nos dépenses de défense et pendant trop longtemps, nous sacrifierons cette expertise, et il sera impossible de la remplacer rapidement lorsque nous en aurons besoin.
Comprenez-moi bien. Jamais je ne prétendrai qu’il faut investir dans la défense simplement pour créer des emplois. Bien sûr que non. Mon point de vue est le suivant : nous avons besoin de la défense pour protéger nos populations, ainsi que nos principes, nos valeurs et nos sociétés. Et lorsque nous avons un secteur de la défense, nous devons comprendre que cela ne représente pas seulement un coût. Il y a également des avantages significatifs, y compris en termes d’innovation et de progrès technologique.
La troisième priorité, si nous voulons être plus convaincants encore, est de souligner l'importance plus générale de la défense comme outil d'influence et de coopération au plan international.
Pour tous nos pays, la diplomatie est et restera l'outil principal permettant de faire face aux défis de sécurité internationaux. Mais en investissant dans la défense, nous sommes en mesure de joindre la force militaire à la parole. Et de renforcer notre crédibilité.
Personnellement, je considère que les développements intervenus récemment dans la crise syrienne constituent un enseignement important à cet égard. Je suis convaincu que sans la menace crédible de la force militaire, la Syrie n’aurait pas accepté la destruction de son stock d'armes chimiques.
Mesdames, Messieurs,
Voilà donc trois raisons qui font que la défense est importante pour les pays à titre individuel. Trois raisons qui font que l'OTAN est importante, elle aussi.
L'OTAN est un multiplicateur de forces unique, qui aide les Alliés à obtenir un retour sur investissement encore meilleur en matière de défense. En étant membres de la famille OTAN, les 28 Alliés bénéficient d'une plus grande sécurité que s'ils agissaient seuls.
Ils peuvent compter sur des amis en cas de besoin. Ils ont accès à davantage de capacités militaires. Ils bénéficient d'un réseau de partenariats de sécurité avec des pays du monde entier. Et ils peuvent ainsi jouer un rôle bien plus significatif au plan international.
Que ce soit au Kosovo, en Libye ou en Afghanistan, des forces militaires efficaces, dirigées par l'OTAN, nous ont permis de faire cesser la violence et le bain de sang. De défendre nos valeurs et nos intérêts. De renforcer la stabilité de ces pays. Et de renforcer ainsi la sécurité de nos propres pays.
Aucun pays n'aurait pu, à lui seul, mener à bien l'une de ces opérations avec la même réussite. Travailler ensemble au sein de l'OTAN offre une crédibilité politique. Une légitimité. Et une efficacité militaire inégalée. Cela explique pourquoi tant de pays dans le monde sont désireux de s'associer à notre Alliance, notamment en participant à nos opérations et à nos missions.
Enfin, le fait de travailler ensemble au sein de l'OTAN nous a également permis de renforcer une autre institution - l'ONU. En opérant sous mandat de l'ONU, nous avons pu mettre à disposition des forces militaires très efficaces et étroitement contrôlées, que l'ONU n'aurait pas pu mettre à disposition par ailleurs.
Il y a tout juste un mois, au cours de l'Assemblée générale des Nations Unies, j'ai rencontré le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon. Nous avons notamment réfléchi à ce que l'OTAN pourrait faire de plus pour aider l'ONU, en particulier concernant les opérations humanitaires.
Le message que je souhaite vous adresser aujourd'hui est donc clair. Si nous voulons continuer à engranger les bénéfices de la défense, il n'y a pas d'alternative. Nous devons continuer d'investir dans la défense. Nous devons continuer d'investir dans l'OTAN - politiquement, militairement et financièrement. Et nous devons continuer de rechercher les moyens de répartir plus équitablement, de part et d'autre de l'Atlantique, le fardeau de la défense. Le Conseil européen qui aura lieu à la fin de l'année sur le thème de la sécurité et de la défense, et notre propre sommet de l'OTAN de l'année prochaine seront des occasions idéales de prendre des mesures concrètes et de rééquilibrer ce fardeau.
Mesdames, Messieurs,
La défense est importante. Je le sais. Vous le savez aussi. Votre travail consiste à aider nos opinions publiques à le comprendre également.
En tant que parlementaires nationaux, vous avez une responsabilité particulière. C'est à vous qu'il appartient de prendre les décisions difficiles, qu'il s'agisse d'établir les budgets de défense ou d'envoyer vos forces armées risquer leur vie en opérations. Mais il vous appartient également d'expliquer à vos contribuables en quoi la défense est importante. Vous devez développer une argumentation et mener les débats. Vous devez expliquer non seulement le véritable coût de la défense, mais aussi les avantages réels de la défense.
La sécurité est précieuse. Et la liberté n'a pas de prix. Mais elles ont néanmoins un coût. Nous devons être à la fois désireux et capables de les défendre toutes les deux.
Voilà pourquoi la défense est importante.