S’entraîner au milieu d’espèces menacées

  • 21 Feb. 2012 -
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  • Mis à jour le: 01 Mar. 2012 09:37

La plupart d’entre nous seraient surpris d’apprendre que les zones d’entraînement militaire - forestières, côtières ou en terrain découvert - abritent quelques-unes des espèces de plantes et d’animaux les plus menacées, et ce, précisément parce qu’elles sont utilisées par les militaires. Alors que, dans nombre de pays de l’OTAN et dans plusieurs pays partenaires, il s’agit souvent de périmètres protégés, ces zones ne servent pas seulement pour l’entraînement militaire, mais elles constituent également des îlots de biodiversité.

Singulièrement, des ornières fraîchement laissées par des chenilles de char ou des cratères d’obus peuvent constituer un habitat parfait pour une faune et une flore variées, en raison de leurs formes régulières et parce qu’il y a peu de passage – à tel point qu’à travers l’Europe et l’Amérique du Nord, comme elles ne sont pas accessibles au public, les zones d’entraînement militaire constituent souvent un sanctuaire pour quantité d’animaux ou de plantes dont l’espèce est menacée.

Aux États-Unis, par exemple, environ 21% des espèces inscrites sur la liste fédérale des espèces protégées ou en voie de disparition sont présentes sur des terrains appartenant au Département de la Défense, bien que ceux-ci ne représentent que 3% du territoire fédéral. D’après NatureServe - une organisation à but non lucratif dont la mission est de fournir une base scientifique permettant de mener des actions efficaces en matière de préservation de la biodiversité - on y recense 476 espèces à risques (pas encore répertoriées dans la liste fédérale), et parmi elles, on en compte 24 qui n’existent nulle part ailleurs.

En Pologne, il ressort d’un inventaire des espèces protégées de champignons, plantes et animaux effectué en 2007, que les entraînements militaires n’avaient pas d’incidence particulièrement dommageable pour la biodiversité. « Les zones d’entraînement militaire polonaises sont situées à l’intérieur de vastes étendues forestières, où l’activité commerciale est limitée, » explique le colonelPiotr Soltykiewicz, chef de la Branche Analyse et protection de l’environnement au ministère de la Défense nationale. « Cela crée des conditions favorables pour la protection de divers biotopes, qui ailleurs n’auraient pratiquement aucune chance de ne pas disparaître. »

Formation à la protection de l’environnement

Les États-Unis, qui s’appuient sur des systèmes d’informations géographiques pour cartographier les diverses zones de répartition de la faune et de la flore et répertorier dans une base de données toutes les données connexes sur la biodiversité , sont l’un des nombreux pays à avoir pris l’initiative de former leurs soldats pour les sensibiliser à la protection de l’environnement et à l’importance qu’elle revêt.

« La prise de conscience et la formation sont essentiels pour protéger l’environnement, » explique Nate Whelan, directeur du programme ITAM des forces armées des États-Unis en Europe axé sur la gestion intégrée des zones d’entraînement et chef de l’Équipe de spécialistes en formation environnementale de l’OTAN. « Il s’agit notamment de former systématiquement les soldats et les unités sur ce qu’il faut faire et ne pas faire par rapport à la protection de l’environnement. Ainsi, ils pourront agir en protecteurs actifs de l’environnement dans les zones d’entraînement. Ils ont au minimum la responsabilité de se conformer aux lois et règlements pertinents en matière de protection de l’environnement. Mais comme l’indiquent de nombreux pays, la situation a évolué bien au-delà des espérances, et les zones d’entraînement sont devenues des îlots de biodiversité . »

« Nous pensons qu’une sensibilisation à l’écologie au sens large est le meilleur moyen de protéger l’environnement, » déclare le colonel Soltykiewicz. Et d’ajouter qu’avant le début des exercices d’entraînement, les commandants donnent des instructions à leurs soldats sur les moyens de protéger la faune et la flore, et leur montrent comment repérer les zones concernées sur une carte. « On peut y voir matière à controverse, mais la position du ministère de la Défense de mon pays est que nos forces armées n’ont pas été formées pour protéger l’environnement, mais que cela ne veut pas dire que nous ne devons pas en tenir compte. Quand on utilise des éléments de l’environnement à des fins de défense, il faut le faire à bon escient. »

La protection de l’environnement, c’est, à bien des égards, un équilibre subtil à atteindre. Même lorsque les militaires sont animés des meilleures intentions, celles-ci peuvent s’avérer destructrices si aucune législation environnementale n’est là pour faire rempart. Toutefois, si les directives sont trop nombreuses, les unités qui reçoivent la formation risquent de se montrer peu disposées à les accepter et à les mettre en pratique.

Menaces pour la biodiversité

D’après le colonel Soltykiewicz et son homologue autrichien, le lieutenant-colonel Gerhard Siller, une telle biodiversité s’explique principalement par l’absence d’intervention humaine dans ces zones pendant de longues périodes.

« Il existe un certain nombre d’autres raisons pour expliquer la biodiversité dans les zones d’entraînement militaire, » déclare le lieutenant-colonel Siller : « 1) l’absence d’agriculture conventionnelle ; 2) l’apparition de nouvelles zones de nature vierge comme les trouées de chars et les cratères d’obus ; 3) la préservation des espaces paysagers traditionnels. En outre, on n’y utilise aucun engrais artificiel, pas plus qu’il n’y a d’exploitation commerciale du bois ; ces zones sont souvent très contrôlées, et bénéficient d’une coopération au niveau du tourisme local. »

Selon le lieutenant-colonel Siller, l’une des principales menaces pour les zones d’entraînement militaire est liée à la réduction des forces armées combinée à la vente des terrains militaires. Moins d’exercices d’entraînement, cela signifie moins d’ornières de chars et moins de cratères d’obus dans lesquels la faune et la flore pourront prospérer. « Le problème qui se pose en Autriche est le même que dans tous les autres pays : la raison économique a plus de poids que les considérations écologiques, »fait-il observer, avant d’ajouter : « Quelqu’un a dit un jour : si le monde était une banque, on l’aurait déjà sauvé depuis longtemps. »