À la rencontre des chasseurs alpins, soldats d’élite de l’unité d’infanterie de montagne de l’armée de terre française
Comment survivre en montagne ? Réponse avec une équipe vidéo de l’OTAN ayant passé une journée et une nuit aux côtés des chasseurs alpins, soldats d’élite de l’unité d’infanterie de montagne de l’armée de terre française. Pendant 24 heures, ce groupe a cheminé au cœur des Alpes françaises, où il a établi son campement et s’est livré à des exercices sur un terrain montagneux aux multiples défis. Les opérations militaires dans les Alpes ne sont pas pour les « petites natures », les chasseurs alpins montrant qu'une formation exigeante finit par payer en termes d’expertise.
Entretien avec le lieutenant Benoît, commandant de section du 13e bataillon de chasseurs alpins
Depuis combien de temps servez-vous dans les forces armées françaises ?
Depuis cinq ans. Je me suis engagé dans l’armée de terre française en 2016, pendant mes études, en tant qu’officier de réserve. Une fois diplômé, j’ai décidé de devenir militaire d'active en passant par l’Académie militaire de Saint-Cyr.
Depuis combien de temps faites-vous partie des chasseurs alpins en particulier ?
Après l’Académie militaire et une année à l’École de l’infanterie, j’ai choisi de servir au sein du 13e bataillon de chasseurs alpins en 2019. Je suis donc chef de section dans les troupes de montagne depuis deux ans.
Pourquoi avez-vous choisi de rejoindre les chasseurs alpins ?
J’ai eu plusieurs possibilités à la fin de l'École de l’infanterie, comme rejoindre les unités de parachutistes ou la Légion étrangère, mais j’étais profondément convaincu que travailler avec des gens dans un environnement aussi difficile que celui de la montagne serait extrêmement intense et intéressant. Je voulais également me frotter à de nouveaux défis, comme améliorer mes connaissances dans les domaines de l’alpinisme et du combat, et travailler dur pour intégrer les commandos de montagne.
Êtes-vous depuis toujours un amoureux de la montagne ? À quand remonte la première fois que vous avez gravi une montagne, chaussé des skis ou foulé le sol alpin ?
J’ai découvert la montagne et l’alpinisme sur le tard. Mes parents étaient plutôt climat tropical que neige. J’ai donc eu plus souvent l’occasion de nager que de skier ! Je n’ai vraiment découvert la montagne que pendant mes études de commerce, grâce à un camarade de classe dont la famille avait une maison dans la vallée du Mont-Blanc. C’est à ce moment-là qu’est né mon amour de la montagne.
Lorsque l’on voit votre unité s’entraîner en montagne, dans le bruit retentissant des coups de feu, cela rappelle la scène de l’avalanche dans Mulan. Vous entraînez-vous pour faire face à une avalanche ? Que faites-vous pour prévenir ce phénomène ou comment réagissez-vous s’il se produit ?
Bonne référence ! En effet, nous nous entraînons régulièrement :
- premièrement, pour éviter de déclencher une avalanche ! À cette fin, nous recevons et communiquons des instructions précises, l’objectif étant de comprendre ce qui provoque l’éboulement. Il est ainsi plus facile de repérer si l’état de la neige présente un danger ou si les conditions du terrain pourraient compromettre une activité.
- deuxièmement, pour savoir comment procéder à la recherche de victimes en cas d’avalanche.
Nous sommes formés à la sécurité avant tout, car la finalité est d’amener un soldat à atteindre un certain objectif pour remplir une mission, et non de repousser les limites du freestyle.
Que se passe-t-il si un igloo s’effondre ?
Ce n’est pas censé arriver ! Mais si ça devait se produire, des procédures sont prévues pour éviter les blessés ou les victimes. D'ailleurs, pour des raisons à la fois d’ordre tactique et de sécurité, il y a toujours quelqu’un qui assure une surveillance à l’extérieur et qui vérifie que la construction ne pose pas de problème particulier.
La principale difficulté à laquelle nous sommes fréquemment confrontés, c’est le manque d’oxygène dans les igloos. Pour y remédier, nous utilisons un outil bien pratique pour alerter la personne responsable : une bougie. En effet, dans chaque igloo, une bougie brûle toute la nuit. Si elle s’éteint, c’est un bon indicateur que l’oxygène vient à manquer et qu’il faut vérifier si tout le monde va bien à l’intérieur.
Que préférez-vous dans les rations de combat ? Combien de calories devez-vous ingérer pour conserver vos forces pendant vos incessantes grimpées en montagne ?
Nos rations ne sont pas représentatives de la haute gastronomie française, mais elles restent goûteuses et complètes (environ 3 200 kcal), en particulier celles que nous recevons lorsque nous partons en montagne (il s’agit le plus souvent de préparations déshydratées, mais également de plats spécialement conçus pour des conditions de froid extrême). Ce que je préfère dans les rations de combat, c’est probablement la barre de chocolat ! Je la réserve toujours pour une pause détente.
Pouvez-vous nous raconter une anecdote amusante puisée dans votre parcours chez les chasseurs alpins ?
Je me souviens de la première fois où, avec plusieurs autres camarades, nous avons tenté de descendre une pente à ski aussi vite que possible attachés à une pulka remplie de matériel (il s’agit d’une sorte de traîneau utilisé pour transporter des équipements spécifiques dans le cadre de certaines missions sur la neige). Il y a eu des chutes mémorables ce jour-là !
Plutôt ski ou snowboard ?
Ski, pour sûr ! Les possibilités offertes sont plus vastes !
Quels passe-temps avez-vous ? Que faites-vous pour vous divertir, vous et votre unité, au sommet d’une montagne à la nuit tombée ?
Le principal passe-temps des soldats consiste à discuter et à partager des anecdotes autour d'un café. La soirée et la nuit sont également des moments propices aux conversations où les subordonnés abordent certains sujets avec leurs supérieurs (comme les difficultés rencontrées, les problèmes personnels ou les bonnes nouvelles).
Que pouvez-vous nous dire sur l’histoire des chasseurs alpins ? Depuis combien de temps l’unité d’infanterie de montagne existe-t-elle ? Y a-t-il des traditions singulières que vous perpétuez ?
Le corps des chasseurs alpins fait partie d’une plus grande entité dénommée « le corps des chasseurs à pied », créé par le duc d’Orléans en 1838 et à l’origine réputé pour la rapidité et l’esprit particulier de ses troupes (dit « l’esprit chasseur », ultérieurement défini par le maréchal Lyautey). Les premiers bataillons de chasseurs alpins ont été créés en 1888. Il y en avait 12 pendant la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, il n’en reste que trois.
En effet, nous perpétuons certaines traditions qui nous sont propres. Par exemple :
- Nous ne disons pas « jaune », mais « jonquille » (du nom de cette fleur jaune très répandue dans les Alpes).
- Nous ne disons pas « rouge », mais « bleu cerise », sauf lorsque l’on évoque :
- le drapeau français ;
- la plus haute distinction française (la Légion d’honneur) ;
- les lèvres de l'être aimé.
Rencontrez-vous des animaux sauvages en montagne ?
Bien sûr, surtout l’été. Les chamois, les bouquetins, les marmottes, les choucas et autres oiseaux, et même les loups sont nos proches voisins !
Ces dernières années, le changement climatique a eu des effets de plus en plus importants sur les environnements enneigés, comme la fonte des glaciers et les glissements de terrain. Comment le changement climatique impacte-t-il les opérations des chasseurs alpins ? Que faites-vous pour aider à préserver l’environnement naturel ?
Le changement climatique a principalement un impact sur nos « installations » d’entraînement. L’entraînement sur neige et sur glaciers est de moins en moins sûr. Pour pouvoir s’entraîner suffisamment longtemps dans de bonnes conditions, on doit gagner en altitude, ce qui n’est pas très commode pour les manœuvres, en particulier avec de jeunes soldats encore en apprentissage.
La montagne, c’est notre domaine d’expertise privilégié. Nous la respectons et nous faisons tout pour y neutraliser notre empreinte (il nous paraît évident que la montagne n’est pas une poubelle, par exemple).
De plus, le bataillon est profondément résolu à réduire ses besoins énergétiques par la rénovation des installations utilisées et par un recours accru à l’électricité durable (notamment grâce à la première chaudière à biomasse de l’armée de terre). De fait, nous avons réduit notre consommation d’énergie de 40 % depuis 2011.
Dans la vidéo, vous parlez de « maîtriser sa peur » lorsque l'on est seul en altitude, loin de tout éventuel secours. Comment y parvenez-vous ?
En tant que commandant de section, c’est probablement ce qu’il y a de plus facile à faire, car on n’a pas le droit de se laisser dominer par la peur. Dans un texte sur la relation entre un chef et ses subordonnés, Michel Menu, célèbre chef scout, disait : « Si tu ralentis, ils s’arrêtent. Si tu faiblis, ils flanchent. Si tu t’assieds, ils se couchent...Mais si tu marches devant, ils te dépasseront. Si tu donnes la main, ils donneront leur peau ».
Pour tout soldat, c’est principalement une question d’expérience. Plus on pénètre au cœur de la montagne, plus on est confronté au danger et à la solitude, et plus on est à même de gérer la situation. Par ailleurs, la peur disparaît lorsque l’on sent que ses camarades et la personne responsable sont prêts à tout pour vous – et sont suffisamment compétents – en cas d’incident. Les troupes de montagne ont leur propre vision de la « fraternité d’armes ». Elles parlent de « l’esprit de cordée », en référence à la corde qui crée un lien particulier entre les personnes reliées entre elles pendant une sortie en montagne.
Selon vous, qu’est-ce que « faire partie de l’Alliance atlantique » ?
Pour moi, c’est avant tout appartenir à un immense groupe de pays alliés qui s’entraînent ensemble pour être prêts à travailler en coopération lorsque c’est nécessaire. Par ailleurs, c’est une véritable occasion de découvrir des cultures différentes et de partager des expériences.
Y a-t-il autre chose qu'il faut savoir sur les chasseurs alpins ?
Venez voir par vous-même ! Nous sommes toujours heureux d’accueillir des petits nouveaux ! L’« accueil aimable » est solidement ancré dans nos traditions.