« Renouveler la communauté de sécurité transatlantique à l’ère de la mondialisation »

Discours du secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, au Club militaire central de Sofia (Bulgarie)

  • 20 May. 2010
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  • Mis à jour le: 09 Jun. 2010 11:47

Avant toute chose, je voudrais remercier le Club atlantique de Bulgarie, l'Open Society Institute et le Club militaire central d'avoir organisé cet événement. C’est pour moi une joie d’être ici aujourd’hui, et de partager avec vous mes vues sur l’avenir de l’OTAN.

Je commencerai, si vous le permettez, par une citation d'Elias Canetti – lauréat du Prix Nobel de littérature, né ici, en Bulgarie –, qui a dit : « Ce qui compte, ce n’est pas à quel point une idée est nouvelle, c’est à quel point elle le devient ».

Peut-on trouver meilleure description de l’OTAN et de la communauté de sécurité transatlantique ? Bien que plus que sexagénaire, l’idée de l’Alliance atlantique est en perpétuel renouvellement. Car notre Alliance continue de se transformer. Et le message que je vous adresse aujourd’hui est que, non seulement nous devons poursuivre cette transformation, mais encore nous devons l’accélérer.

Lors de sa signature, en avril 1949, le traité de Washington a établi un nouveaux partenariat entre l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest, fondé sur la promesse de défense mutuelle. Or cette alliance unique en son genre n'avait pas pour principale motivation une peur partagée. Elle était, en réalité, animée par une culture commune de la démocratie. Dès ses tout débuts, l’Alliance atlantique n’a pas eu pour seule vocation de protéger des territoires : elle a également visé à la sauvegarde de nos valeurs démocratiques.

L’OTAN incarnait un nouveau type de partenariat : contrairement aux alliances de circonstance, versatiles et sources de nombreuses tragédies en Europe, l’OTAN était permanente, démocratique, et transatlantique.

En résumé, l’OTAN était différente de toutes les alliances antérieures. Voilà pourquoi la fin de la Guerre froide n'a pas signifié la fin de l'OTAN, mais seulement la fin du premier chapitre de l’évolution de l’Organisation. La chute du Mur de Berlin et celle du Rideau de fer nous ont permis d’entamer l’écriture du deuxième chapitre de l’histoire de l’OTAN, à savoir celui de la consolidation de l’Europe en tant qu’espace de sécurité indivis et démocratique.

C’est pendant ce deuxième chapitre que notre communauté transatlantique s’est étendue à toute l’Europe. Que le Conseil de partenariat euro-atlantique, le Partenariat pour la paix et le Dialogue méditerranéen ont vu le jour. Que de nouvelles relations avec la Russie et avec l’Ukraine ont pris forme. Et c’est pendant cette période que notre politique de la porte ouverte a remporté un succès historique, matérialisé par l’accession d'un grand nombre de nouveaux membres, parmi lesquels, bien entendu, la Bulgarie, en 2004.

Ce chapitre de l’après-Guerre froide a également vu l'Alliance s'engager militairement, d'abord pour maintenir la paix en Bosnie, puis pour l’imposer au Kosovo. Ces missions délicates n’étaient pas directement motivées par des impératifs d'autodéfense. Elles avaient pour but de défendre nos valeurs fondamentales, et d’empêcher qu’une région du cœur de l’Europe ne retombe dans les ténèbres et dans le chaos.

Si la communauté transatlantique a relevé ces défis avec succès, c’est parce que nous avons su conjuguer force et détermination. Et, si toute cette région reprend désormais sa place dans le concert des nations européennes, c'est parce que la communauté transatlantique était prête à assumer ses responsabilités – et les risques – à cette charnière cruciale de l’histoire du continent.

Pour revenir à la citation d’Elias Canetti, à l’époque où la Guerre froide a pris fin, l’idée d’une communauté transatlantique n’était certes plus « nouvelle ». Mais, en l’appliquant à toute l'Europe, et en créant de nouvelles politiques et de nouveaux mécanismes visant à étendre la démocratie, la sécurité et le principe de l’intégration à l’ensemble du continent, cette idée s’est trouvée renouvelée.

Aujourd’hui, la communauté transatlantique est une nouvelle fois confrontée au défi de la transformation. Il nous faut comprendre que la sécurité, de nos jours, ne se limite plus à la sécurité de l'Europe, en Europe. À l’ère de la mondialisation, notre sécurité n’est plus dictée par la géographie.

Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 ont démontré que notre sécurité peut être affectée par des événements qui se produisent très loin de chez nous. Les implications sécuritaires du terrorisme, des États faillis et de la prolifération des armes de destruction massive ne connaissent pas les frontières. Si nous ne nous attaquons pas à ces problèmes là où ils surviennent, ils réapparaîtront à notre seuil.

Assimiler cet enseignement – et adapter l’OTAN en conséquence – constitue le plus grand défi auquel notre Alliance ait été confrontée depuis sa création voici plus de soixante ans. Aujourd’hui, en Afghanistan, où l’OTAN mène la mission la plus exigeante de son histoire, nous faisons montre de notre forte détermination à relever ce défi. Si nous permettions à ce pays de redevenir un sanctuaire pour les terroristes, l’instabilité se répandrait dans toute l’Asie centrale. Et son expansion vers la région de la mer Noire ne serait plus qu'une question de temps.

À l’instar de ses Alliés de l’OTAN, la Bulgarie comprend parfaitement cette réalité. Tout comme elle comprend que c’est dès maintenant qu'il nous faut redoubler d'efforts en Afghanistan, pour que le fardeau futur soit moins lourd. La montée en puissance de la FIAS va se poursuivre cette année. Un nombre croissant de pays rejoignent la mission, qui compte actuellement 46 participants. Je souhaite saisir cette occasion pour remercier la Bulgarie de sa précieuse contribution à la mission de la FIAS. En dépit des nombreux défis, la Bulgarie n’a pas réduit sa contribution, et elle a même l'intention de l'augmenter dans les mois à venir, ce dont je me félicite.

Ensemble, nous allons protéger la population et déstabiliser l'insurrection. Nous transférerons ensuite aux forces afghanes elles-mêmes de nouvelles responsabilités dans le domaine de la sécurité, district par district, province par province. Et, à mesure que l'armée et la police afghanes gagneront en efficacité et en force, la FIAS réduira ses propres opérations de sécurité, pour se consacrer davantage au soutien et à la formation des Afghans.

Pendant longtemps encore, l’Afghanistan restera notre première priorité sur le plan opérationnel. Mais si nous voulons qu’à l’avenir l'OTAN réussisse aussi bien qu’elle l’a fait dans le passé, il faut que nous portions nos regards au-delà de l’Afghanistan, et que nous envisagions une transformation en profondeur de notre Alliance, tant en termes d'orientations que de capacités.

Quelle forme cette transformation de l’Organisation pourrait-elle prendre ? Permettez-moi de vous exposer quelques pistes.

Premièrement, il nous faut rajeunir l’OTAN et en faire l’enceinte de débats à la fois francs et tournés vers l'avenir sur les nouveaux développements sécuritaires. L'OTAN, bien entendu, devrait être bien plus qu'un simple forum de discussion. Mais elle devrait également être bien plus qu’un outil de gestion des opérations. Il nous faut élargir et intensifier notre débat politique. Il nous appartient de scruter en permanence l’horizon stratégique afin de mieux nous préparer à ce que l’avenir nous réserve. Et, dès qu’un Allié se sentira menacé, il nous faudra recourir activement aux consultations prévues au titre de l'article 4 du Traité de l'Atlantique Nord afin de déterminer s’il y a lieu de répondre, et comment.

Deuxièmement, nous devons continuer de transformer nos capacités militaires. En d’autres termes, investir dans des forces plus déployables et plus exploitables, revoir la façon dont nous planifions et finançons nos opérations et, aussi, chercher activement de nouvelles façons de nous prémunir contre les nouvelles menaces.

La défense antimissile est un élément clé de toute politique de défense efficace. Pendant la Guerre froide, nombreux sont ceux qui voyaient dans la défense antimissile un facteur de déstabilisation, susceptible de mettre à mal la relation de dissuasion mutuelle qu’entretenaient les superpuissances. Aujourd’hui, toutefois, plus de 30 pays ont, ou développent, des missiles de portées toujours plus grandes. Dans bien des cas, ces missiles pourraient menacer nos populations et nos territoires. Sans oublier que plusieurs pays cherchent à se doter de l’arme nucléaire, ce qui serait un cocktail mortifère.

Prenons l’exemple de l’Iran : dans leurs déclarations, les hauts responsables iraniens annoncent que leurs missiles Shahab-3 modifiés ont un rayon d’action de 2 000 kilomètres, ce qui mettrait déjà à leur portée des pays alliés tels que la Turquie, la Grèce, la Roumanie et la Bulgarie.

C’est pour cette raison qu’à mon avis le moment est venu pour nous d'aller de l'avant et de faire de la défense antimissile une véritable mission de l'Alliance. Tel est mon objectif pour le prochain sommet de l’OTAN, qui se tiendra en novembre à Lisbonne.

Les États-Unis disposent déjà d’un système de défense antimissile. Certains Alliés européens ont la capacité de protéger les forces déployées contre des attaques de missiles. Mais il va sans dire que nous devons également être en mesure de protéger nos populations, toutes nos populations.

Si nous parvenions à relier nos systèmes nationaux pour créer, à l’échelle de l’OTAN, un bouclier antimissile protégeant l’ensemble des Alliés, cela constituerait une démonstration très forte de la solidarité entre les membres de l’OTAN au XXIe siècle. Mieux encore, cela pourrait être le catalyseur d’une nouvelle dynamique de la sécurité européenne et euro-atlantique. Comment ? En coopérant avec la Russie.

Je sais parfaitement que, face à la défense antimissile, la Russe oscille entre hostilité et ambivalence. Et je suis également conscient des obstacles techniques qu’il faudra surmonter pour relier nos systèmes.

Mais je ne pense pas que ces obstacles soient insurmontables. Lorsque la Russie commencera elle-même à ressentir les effets de la prolifération, je suis certain qu’elle considérera la défense antimissile comme une chance et non plus comme une menace. Et, ce qui peut paraître aujourd'hui une proposition audacieuse sera peut-être demain une idée acceptée par la majorité : un dispositif de sécurité à construire ensemble, à soutenir ensemble, et qui nous protégerait tous – grâce au raccordement de nos systèmes.

Troisièmement, il nous appartient de développer des relations plus étroites avec les acteurs civils. De nos jours, les moyens militaires ne suffisent pas à eux seuls à relever les défis qui se posent en termes de sécurité. L’Afghanistan constitue à ce sujet un exemple très illustratif. La force militaire peut certes faire gagner du temps, pour favoriser la réconciliation politique, reconstruire les infrastructures, faire redémarrer l’économie. L’exécution de ces tâches, toutefois, relève de la responsabilité des acteurs civils.

Aussi avons-nous besoin d’une approche coordonnée, véritable approche globale, liant l’OTAN aux autres acteurs civils internationaux, en particulier les Nations Unies, l'Union européenne et les organisations non gouvernementales. Rassembler des acteurs aussi différents n’est pas chose aisée, mais c’est là que réside la clé de notre sécurité pour le siècle actuel.

Quatrièmement, il nous faut élargir nos partenariats afin d’être mieux à même de faire face aux défis de la mondialisation. Australie, Nouvelle-Zélande, Japon, République de Corée, nous devons coopérer avec des partenaires du monde entier. Tel est l'impératif de la mondialisation. En effet, je prévois que, d’ici à quelques années seulement, il sera tout à fait naturel pour nous de parler de questions touchant à la sécurité mondiale avec la Chine, l’Inde et d’autres grandes puissances.

Cinquième point, nous avons besoin d’une approche harmonisée à l'échelle de l'OTAN pour relever les nouveaux défis sécuritaires, non conventionnels, qui se font jour. L’un de ces défis est la cyberdéfense. Il y a quelques années, un pays allié, l'Estonie, a été victime d'une cyberattaque de grande ampleur, et le siège de l'OTAN fait chaque jour l'objet d'une centaine d'agressions informatiques. Manifestement, les cyberattaques sont devenues une nouvelle forme de guerre larvée permanente, et nous devons être prêts à déjouer cette menace. Une cyberdéfense efficace exige des moyens de prévention et de détection, ainsi que de réaction et de récupération après un incident. Nous avons commencé à travailler en ce sens, mais nous devons faire mieux encore. Car la prochaine grande attaque contre notre Alliance pourrait fort bien emprunter le chemin de la fibre optique.

La sécurité énergétique constitue un autre défi sécuritaire non conventionnel, et je sais qu'il s’agit d’une préoccupation particulière ici en Bulgarie. Vous avez été à plusieurs reprises la victime d’interruptions de votre approvisionnement énergétique. Vous savez donc à quel point le tissu économique et le tissu social d'un pays peuvent s'en trouver perturbés. De toute évidence, ce défi ne se pose pas en termes politiques et économiques uniquement, mais aussi en termes sécuritaires, et c’est pourquoi la sécurité énergétique constitue un domaine d’action légitime pour l’OTAN.

Il est clair que la sécurité énergétique est un problème complexe qui fait intervenir producteurs, consommateurs et pays de transit. C’est pourquoi on ne pourra pas appliquer la même approche à toutes les situations. Aussi nous appartient-il de mieux comprendre la dimension sécuritaire du secteur énergétique. Nous devons intensifier nos relations avec les pays producteurs d’énergie. Et nous devons également élaborer nos propres moyens de protection des infrastructures énergétiques critiques et d’atténuation des conséquences des accidents.

Au siège de l’OTAN, à Bruxelles, nous venons de mettre sur pied la Division Défis de sécurité émergents. Cette division, qui sera opérationnelle à partir d'août, sera notamment en charge des questions liées au terrorisme, à la prolifération, à la cyberdéfense et à la sécurité énergétique. Et elle favorisera par ailleurs sur ces questions essentielles un débat nettement plus ciblé, plus régulier et plus ouvert entre les Alliés.

Enfin, dernier élément de ma liste de domaines à transformer : nous devons poursuivre notre programme de consolidation européenne. Cette tâche n’est pas encore achevée. Elle ne le sera que lorsque tous les pays d’Europe seront là où ils veulent être, et lorsque la Russie, notre plus grand voisin, aura trouvé sa juste place dans la nouvelle architecture de notre continent. La politique de la porte ouverte pratiquée par l’OTAN continuera de faire partie intégrante de ce programme, au même titre que notre politique d’établissement d’un dialogue constructif avec la Russie.

Pris dans leur ensemble, tous ces éléments constituent un programme de transformation des plus ambitieux. C’est pour cette raison que les travaux relatifs au nouveau concept stratégique de l’OTAN ont suscité un si vif intérêt. En définissant les tâches et les stratégies fondamentales de l’Alliance, ce nouveau concept facilitera la transformation.

Il y a quelques jours, Madeleine Albright et le groupe d’experts placé sous sa présidence ont publié leurs analyses et leurs recommandations sur l'avenir de l'OTAN. C’est un travail solide qui m’aidera à rédiger ma première ébauche du nouveau concept stratégique. Le processus va bon train, et je suis plus convaincu que jamais que le sommet de Lisbonne débouchera sur l’élaboration d’un document au caractère vraiment novateur.

Mesdames et Messieurs,

L’idée d’une communauté de sécurité transatlantique a désormais plus de soixante ans. Et pourtant, elle demeure particulièrement attrayante. Certes, on parle aujourd’hui beaucoup des puissances émergentes, de l’apparition de nouveaux centres de gravité économiques. Tout cela est vrai. Mais le partenariat entre l’Amérique du Nord et l'Europe restera unique.

L’Amérique du Nord et l’Europe continueront de constituer la communauté la plus forte au monde de pays partageant les mêmes valeurs : une communauté démocratique, ouverte sur l'extérieur, et dotée d'un sens des responsabilités à l'échelle mondiale. Aucun autre groupe de pays ne peut engendrer un dynamisme positif d’une telle puissance. Et aucune autre communauté ne présente un tel attrait pour des pays désireux de partager la charge de la sécurité commune.

L’OTAN reste le fondement institutionnel de cette communauté. En poursuivant la transformation de l'OTAN, nous ferons en sorte que les compétences de notre Alliance restent adaptée à ses tâches, et que nous puissions aborder l'avenir en toute confiance.

Merci.