Discours

du secrétaire général de l'OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à l'Université de Georgetown

  • 22 Feb. 2010
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  • Mis à jour le: 07 Jun. 2010 14:44

Madame Albright,
Monsieur Arend,
Mesdames et Messieurs,

Permettez-moi tout d'abord de remercier l'Université de Georgetown et le Center for New American Studies de l'occasion qui m'est offerte de m'adresser à vous tous.

Permettez-moi également de saisir cette occasion pour rendre hommage à Madame la Secrétaire d'État ; en effet, Madame Albright, vous avez servi, les États-Unis de manière exceptionnelle pendant de nombreuses années et, malgré un emploi du temps encore chargé, vous avez accepté, l'été dernier, d'assumer la direction du groupe d'experts mandaté pour établir le projet de nouveau Concept stratégique de l'OTAN. Je vous en suis extrêmement reconnaissant et je suis convaincu que votre grande expérience sera riche d'enseignements pour l'OTAN. Soyez-en remerciée.

L’Université de Georgetown jouit d'une excellente réputation à l'échelle internationale. Je suis persuadé que d'ici quelques années, vous serez nombreux à occuper des postes clés et à traiter les grandes questions de sécurité nationale et internationale.

Aussi suis-je heureux de partager avec vous ma vision des défis de sécurité d'aujourd'hui et de demain, en particulier du rôle que l'OTAN – cette alliance de sécurité qui unit l'Amérique du Nord et l'Europe – est appelée à jouer pour relever ces défis. Mais je voudrais aussi vous dire brièvement pourquoi j'estime que l'OTAN ne bénéficie pas, aux États-Unis, de la notoriété qu'elle mérite compte tenu des efforts qu'elle déploie afin de préserver la sécurité aujourd'hui.

Je suis en effet convaincu que l'Alliance sera – et devrait être – une pièce maîtresse de la sécurité des États-Unis pendant de nombreuses années encore.

Thomas Jefferson, a dit que la concision était le talent le plus précieux (« The most valuable of all talents is that of never using two words when one will do »). Suivant ce précepte, je m'efforcerai donc d'être bref – en me gardant cependant de l'être trop, ce qui pourrait nuire à mon message. Rappelez-vous l'ex-président russe, Boris Eltsine, à qui l'on demanda un jour de décrire en un mot la situation dans son pays. Sa réponse fut : « Bonne ». « Et si vous deviez la qualifier en deux mots ? » — « Pas bonne ! ».

Vous voyez : être trop bref peut altérer le message. Mon discours sera donc sans ambages : si nous voulons que notre sécurité soit assurée dans un monde confronté à des risques et menaces planétaires, il faut que les pays démocratiques qui nourrissent les mêmes idéaux coopèrent. En effet, les problèmes du XXIe siècle ne pourront être résolus que si nous les abordons sous un angle multilatéral. Et il n'existe de cadre plus solide ou plus efficace pour cette coopération que l'OTAN.

Je reconnais certes que vous vous attendiez probablement à ce genre de déclaration de la part du secrétaire général de l'OTAN. Peut-être pensez-vous même que je suis payé pour faire ce type de déclaration. Rien ne vous oblige à me croire sur parole. Mais permettez-moi cependant de me justifier au moyen de trois exemples concrets.

Prenons tout d'abord le terrorisme. Le 11 septembre 2001, les États-Unis ont été la cible d'un attentat terroriste effroyable. Et personne ne conteste que les États-Unis disposaient d'une puissance de frappe suffisante pour riposter et infliger un coup sévère à al-Qaida et aux talibans.

Mais saviez-vous que, le 12 septembre, tous les alliés des États-Unis au sein de l'Alliance ont déclaré qu'ils considéraient cette attaque contre l’Amérique comme une attaque dirigée contre eux également ? Saviez-vous que l'OTAN a envoyé des avions patrouiller le ciel américain ? Saviez-vous que tous les pays de l'OTAN ont autorisé les forces américaines à utiliser leurs ports et aérodromes pour l’opération conduite en Afghanistan ? Ou encore que la plupart de ces pays ont envoyé des forces spéciales aux côtés des soldats américains, lors de la riposte militaire initiale ?

Autant de signes d’une solidarité véritable, à un moment crucial. Cette solidarité est tout aussi importante en Afghanistan aujourd'hui. Faire en sorte que l'Afghanistan ne soit pas une terre d'accueil pour les terroristes est un défi gigantesque. Ce combat est complexe, coûteux et souvent douloureux. Aucun pays, pas même les États-Unis, ne peut le mener seul. Grâce à l'OTAN, vous n'êtes plus seuls.

Quarante-quatre pays ont déployé des soldats en Afghanistan, sous commandement de l'OTAN. Ils partagent les risques, les coûts et le fardeau avec les États-Unis. Les membres de cette coalition, si l'on exclut les États-Unis, représentent 40 % du total des forces engagées. Et aussi 40% des pertes. Il s'agit là d'une manifestation patente de la solidarité dans la lutte contre le terrorisme.

Prenons comme deuxième exemple les cyberattaques. Vous connaissez tous les avantages qu'offre Internet : vous pouvez dialoguer avec des personnes que vous n'auriez peut-être jamais eu l'occasion de rencontrer, vous pouvez régler le chauffage de votre domicile depuis l'étranger, vous pouvez même trouver d’un clic sur google, un texte tout rédigé qui fera l’affaire pour la dissertation que vous avez à rendre, … pratique qui, j'en suis convaincu, n'a pas cours à Georgetown.

Comme toujours, toute médaille a son revers. Qui dit interconnexion, dit aussi vulnérabilité. Une cyberattaque bien orchestrée peut ainsi paralyser totalement le contrôle de la circulation aérienne. Elle peut couper l'électricité dans votre maison, dans votre ville, voire dans votre pays. Elle peut paralyser le système bancaire, et plus personne n’a d’argent.

Il ne s’agit pas d’une fiction. Cela s'est déjà produit. L'Estonie, pays membre de l'OTAN, a fait l'objet d'une cyberattaque ciblée et prolongée, qui a provoqué l'arrêt total de nombreux services essentiels.

Fort heureusement, l'Estonie est parvenue à résister à cette attaque, mais elle a dû faire appel aux conseils et à l'aide de l'OTAN. Et c’est ainsi que nous avons mis en place une équipe capable de se déployer partout où cela sera nécessaire pour soutenir tout Allié qui ferait l'objet d'une telle attaque.

Il est impossible de stopper une cyberattaque à la frontière. Il faut pour ce faire une coopération internationale permanente entre pays se faisant mutuellement confiance. L'OTAN offre assurément un tel cadre.

Troisième exemple : la prolifération nucléaire et la défense antimissile. La vision du président Obama d'un monde exempt d'armes nucléaires a suscité bien des réactions, et à juste titre. Mais il s'agit d'une vision à long terme. Aujourd'hui, l'Iran et la Corée du Nord regardent dans une autre direction. Par ailleurs, un nombre toujours plus important de pays envisagent d'acheter des missiles. D’ici quelques années, le nombre de pays dotés de telles armes risques d’augmenter. La défense antimissile est donc devenue un impératif stratégique.

J'estime pour ma part que la défense antimissile prend tout son sens dans le contexte de l'Alliance. Elle nous permet de disposer de capteurs et d'une infrastructure de l'avant. Les systèmes de défense alliés peuvent combler les lacunes de la couverture du système américain. La mise en place d'une défense de ce type au travers de l'OTAN permet, du reste, de partager les coûts.

Bref, réaliser ensemble la défense antimissile, c’est la meilleure solution, en termes d'efficacité comme en termes de coût. C’est aussi la manifestation concrète d'une sécurité partagée – un toit à construire ensemble, à soutenir ensemble, et qui assure la protection de tous. Y compris, je l'espère, celle de la Russie.

Il ne s'agit là que de trois exemples parmi d'autres. Je pourrais aisément rallonger cette liste en évoquant la protection de nos approvisionnements énergétiques, la lutte contre la piraterie, les incidences du changement climatique sur la sécurité. J'espère toutefois avoir démontré que nous ne pourrons relever ces défis que si nous y travaillons ensemble.

Passons à présent au deuxième point de mon intervention : l'OTAN est, et restera, la toute première référence pour les États-Unis comme pour l'ensemble des Alliés s’agissant de la coopération en matière de sécurité.

Pourquoi ? Tout d'abord, parce que l'OTAN est le ciment entre les États-Unis, le Canada et l'Europe, c.-à-d. la communauté transatlantique. Cette communauté constitue le groupe de démocraties le plus solide et le plus homogène. Nous sommes une communauté de pays qui partagent les mêmes valeurs, à savoir : la liberté, la tolérance religieuse et l'état de droit.

Mais nous sommes également une communauté économique unique en son genre. De fait, les économies européenne et américaine n’ont jamais été aussi étroitement liées qu’elles le sont aujourd’hui. Même en ces temps de crise économique, et bien qu'abritant moins d'un huitième de la population mondiale, l’Europe et l’Amérique représentent plus de la moitié du produit intérieur brut mondial. Certes, la Chine et l'Inde sont en plein essor. Mais lorsqu'il s'agit d’échanges commerciaux dans un cadre à la fois réglementé et ouvert entre des démocraties partageant des valeurs communes, l'Europe et l'Amérique du Nord sont hors norme.

Par ailleurs, l’attachement aux mêmes principes, les valeurs communes et l’interdépendance économique sont certes des critères positifs. Mais ces critères se traduisent-ils sous la forme de politiques de sécurité communes ? Je pense que oui. L'Afghanistan en est le meilleur exemple. Les vingt-huit Alliés participent à cette mission. Bon nombre d’entre eux ont subi de lourdes pertes. En fait, les cinq pays alliés dont les pertes sont proportionnellement les plus importantes sont, dans l'ordre, le Danemark, l'Estonie, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis. Malgré ce lourd bilan, humain et financier, aucun de ces pays n'a renoncé.

En fait, lorsque le président Obama a annoncé une augmentation importante des troupes américaines, trente-cinq autres pays ont pris des initiatives similaires.

J'estime que ces renforts et notre nouvelle approche ont déjà des effets sur le terrain. On y observe une nouvelle dynamique. Je suis convaincu que cette année nous serons en mesure de commencer à opérer le transfert des missions de sécurité aux Afghans – district par district, province par province. À terme, nous pourrons concentrer davantage de moyens au soutien et à la formation de la police et des forces armées afghanes.

Bien sûr, nous connaîtrons des jours difficiles, comme lorsque nous causons involontairement la mort de civils.

Je me suis récemment entretenu avec le président Karzaï. Je lui ai exprimé ma profonde tristesse et mes condoléances pour les incidents survenus ces derniers jours au cours desquels des civils afghans ont perdu la vie.

Comme je l'ai déjà mentionné plus tôt, les vingt-huit pays membres de l'OTAN sont tous présents en Afghanistan. Mais il y a au total 44 pays qui collaborent au sein de la Force internationale d'assistance à la sécurité. Cela démontre aussi pourquoi l'OTAN est si particulière : elle offre un cadre éprouvé qui incite à la coopération bien au-delà des frontières de ses seuls pays membres.

L'OTAN est une alliance permanente, dotée d'une structure politique et militaire multinationale, riche de plus de soixante ans d'expérience dans le domaine de la coopération en matière de sécurité. Nous ne sommes en aucun cas une coalition ponctuelle de pays volontaires. Cette caractéristique confère à l'OTAN un degré de compétence, de crédibilité et de légitimité qui encourage les pays – même ceux qui ne sont pas membres de l'Organisation – à placer leurs forces sous le commandement de l'OTAN.

Si nous nous sommes attachés à ces partenaires, c’est qu'à la fin de la Guerre froide l'OTAN a su s'adapter, elle s’est ouverte. Et nous devrons en faire encore plus. Il y a une priorité essentielle à mes yeux : celle de renforcer les relations entre l'OTAN et la communauté internationale au sens large, en nouant des nouveaux liens avec les acteurs civils, c.-à-d. les Nations Unies, l'Union européenne, la Banque mondiale, ainsi que l'ensemble de la communauté des ONG.

Nous renforçons également nos partenariats avec des pays de toutes les régions du monde, par exemple l'Australie et le Japon. Je pense que nous devrions aussi nous ouvrir aux étoiles montantes de ce siècle, que sont la Chine et l'Inde par exemple, car nous avons avec elles des intérêts communs en matière de sécurité. Et nous poussons à la transformation de nos forces militaires, afin qu'elles soient plus souples et plus faciles à utiliser.

Pour combiner ces différents volets de l'adaptation de l'OTAN, nous nous employons actuellement à établir un nouveau concept stratégique. Il s'agit d'un document d'orientation pour l'Alliance, que nous révisons tous les dix ans environ. Le nouveau concept décrira comment l'OTAN fera face aux défis de sécurité futurs, et c'est sur cette base que nous pourrons définir les priorités politiques et militaires appropriées.

J'ai chargé un groupe d'experts indépendants, placé sous la présidence de Madeleine Albright, d'établir des recommandations pour notre nouvelle stratégie avant la fin du mois d'avril. Son rapport nourrira les débats que mènera l'Organisation en interne. Nous publierons ensuite le nouveau concept stratégique au prochain sommet, qui se tiendra en novembre à Lisbonne.

L'élaboration de notre nouvelle stratégie est le processus le plus ouvert et le plus inclusif de toute l'histoire de l'Alliance. Nous avons consulté des experts et l'opinion publique au sens large, - et nous ne nous sommes pas limités à nos pays membres, nous avons pris des avis aux quatre coins du monde. À ce propos, je voudrais vous inviter à consacrer quelques instants à consulter le module web de l'OTAN sur le concept stratégique et à nous communiquer votre point de vue. Et je peux vous assurer que nous lisons vos commentaires.

Mesdames et messieurs,

L'OTAN a été instituée il y a 61 ans, soit bien avant la naissance de la plupart d'entre vous … Non, moi non plus, je n'étais pas né, si vous voulez le savoir. Cela remonte à l'époque de la guerre froide – une époque dont je me souviens, mais qui, pour la plupart d'entre vous, est déjà de l'histoire ancienne. Il est donc normal que vous vous demandiez : Que peut faire l'OTAN pour moi, aujourd'hui ? Que pourra-t-elle faire pour moi demain ?

Et bien, l'OTAN fait beaucoup pour vous, ainsi que pour les 900 millions de personnes vivant dans les pays de l'OTAN. Elle défend nos valeurs et nos intérêts. Elle incarne la coopération en matière de sécurité entre des démocraties qui peuvent se faire confiance. Elle assure la solidarité et la légitimité lorsque cela est nécessaire, y compris dans le cadre d'opérations difficiles. Et elle attire un nombre sans cesse plus important de pays dans le cadre d’une approche multilatérale commune.

En résumé, l'Alliance atlantique réalise la quadrature du cercle en conjuguant multilatéralisme et efficacité. Ce n'est pas facile à faire, mais c'est essentiel en ces temps d'incertitude, où plus que jamais nous aspirons à la sécurité. Cette sécurité, l'OTAN vous l'offre aujourd'hui, et elle vous la garantira demain aussi.