L’OTAN au XXIe : créer des liens à l’échelle de la planète

Discours du secrétaire général de l’OTAN, M. Anders Fogh Rasmussen, à la conférence de Munich sur la sécurité

  • 07 Feb. 2010
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  • Mis à jour le: 07 Jun. 2010 16:09

M. l’ambassadeur Ischinger,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

C’est la première fois que je participe à la conférence de Munich sur la sécurité, et je me suis réjoui à la perspective de cet événement. Cette conférence est devenue un point de convergence du débat sur la sécurité internationale, une sorte de « journée d’échange » sur les questions de sécurité. Depuis le jour de ma prise de fonction en tant que secrétaire général de l’OTAN, ce week-end est réservé dans mon agenda.

Permettez-moi ainsi d'entrer sans tarder dans le vif du sujet. Je souhaite, dans mon allocution d’aujourd’hui, développer les trois points suivants :

  • premièrement, en une période d’insécurité mondialisée, notre défense territoriale doit commencer au-delà de nos frontières ;
  • deuxièmement, la sauvegarde de notre sécurité commune, y compris par l'intermédiaire de l'OTAN, dépend toujours plus de l’efficacité de notre coopération avec d’autres entités ;
  • troisièmement, l’OTAN devrait devenir l’enceinte des consultations sur les questions de sécurité à l’échelle mondiale.

En résumé, il nous faut porter la transformation de l’OTAN à niveau inédit, en reliant l'Alliance à l'ensemble du système international selon des modalités totalement nouvelles.

Commençons par le premier point : aujourd’hui, la défense de notre territoire commence au-delà de nos frontières. La tâche essentielle de l’OTAN est, bien entendu, de défendre ses pays membres. C'était déjà l'objectif de l'Alliance lors de la rédaction du Traité de Washington, voici plus de soixante ans. C’est encore la mission essentielle de l’OTAN aujourd’hui, et cela restera demain notre cœur de métier.

Nous disposons des plans, des capacités et de la solidarité nécessaires pour défendre nos membres. C'est aussi simple que cela.

Ce qui change, c’est la façon dont nous le faisons. En effet, l’expression « défense territoriale » revêt aujourd’hui une autre acception. Le terrorisme est devenu un phénomène mondial. Les cyberattaques ou les ruptures dans l’approvisionnement énergétique sont de nature à déstabiliser profondément un pays. L’Iran et la Corée du Nord font de la déstabilisation nucléaire un risque très patent. La piraterie constitue de nouveau une menace majeure pour le trafic maritime international. Et je prévois que, bientôt, nous verrons également le changement climatique affecter notre sécurité, notamment en raison de désastres humanitaires, de conflits pour l’exploitation des terres arables et de la lutte toujours plus âpre pour les ressources naturelles.

Face à des menaces de cet ordre, les approches d'autrefois se révèlent purement et simplement inopérantes. Les armées lourdes et statiques n’impressionnent ni les terroristes, ni les pirates, ni les pirates informatiques. Rien ne sert de se voiler la face en espérant que ces périls se dissiperont d’eux-mêmes. La sécurité, de nos jours, exige un engagement actif bien loin, parfois, de nos propres frontières.

Prenons l’exemple de l’Afghanistan. Cet État failli, situé à des milliers de kilomètres de chez nous, a un impact énorme sur notre sécurité intérieure, à travers le terrorisme, l'extrémisme et la drogue.

La conférence de Londres sur l’Afghanistan qui s’est déroulée récemment a mis en lumière l'engagement de la communauté internationale à rester dans ce pays jusqu'à ce que la mission ait été menée à bien. Cette décision inclut l’OTAN et elle se traduira notamment cette année par une nouvelle montée en puissance de la FIAS, dont les effectifs s'accroîtront de 39 000 hommes et femmes afin de protéger la population et de former les forces afghanes.

Mais il n’appartient pas à nos troupes d’assumer en permanence la direction des opérations, et elles ne le feront pas. L’Afghanistan est une nation souveraine. Elle doit devenir autonome, et assurer elle-même sa défense.

Ainsi, lorsque les conditions le permettront, nous commencerons à transférer la responsabilité principale de la sécurité aux Afghans. Et, même si je ne sais pas quand ce processus sera finalisé, je sais bien à quel moment il devra démarrer : dès cette année.

Pour pérenniser notre action, il faut toutefois qu’elle soit assortie d’une « dynamique civile ». En d’autres termes, il faut une « bonne gouvernance », à savoir des institutions afghanes capables d’offrir les services essentiels. Il faudra, à cette fin, aider l'Afghanistan non seulement à établir une économie qui ne repose pas sur la drogue, mais encore à rebâtir un système d’enseignement universel, qui assure aux femmes leur part de participation et d’opportunités.

Autant d’objectifs dont la réalisation nécessitera une synergie, dans la même direction, de tous les acteurs clés. Il faut que l'ONU dirige l'ensemble du processus, en étroite coordination avec le gouvernement afghan.

L’OTAN continuera d'assurer la sécurité pendant les phases initiales, de former les forces de sécurité locales et de soutenir les initiatives civiles également.

Nous avons besoin du soutien de l'Union européenne aux projets civils. Nous avons besoin des financements du FMI et de la Banque mondiale pour la reconstruction des infrastructures civiles – des routes aux écoles.

Nous avons également besoin de l’engagement constructif du Pakistan et de tous les autres voisins de l’Afghanistan.

Mais toutes ces initiatives ne peuvent se dérouler séparément. Elles doivent être menées ensemble, de façon coordonnée, et se renforcer mutuellement. C'est là un enseignement clé que nous tirons en Afghanistan aujourd’hui, une leçon dont les implications sont en outre beaucoup plus vastes : il nous faut définir un pacte totalement nouveau entre tous les acteurs du domaine de la sécurité.

Nous avons déjà enregistré quelques progrès : nous avons signé il y a peu une déclaration commune OTAN-ONU, qui définit un certain nombre de secteurs dans lesquels une coopération plus étroite pourrait être établie.

Nous avons aidé à escorter des navires acheminant de l’aide humanitaire du Programme alimentaire mondial vers la Somalie.

De même, l’OTAN et l’Union européenne collaborent de façon plus étroite, non seulement dans les Balkans et en Afghanistan, mais aussi en ce qui concerne la lutte contre la piraterie.

Nous avons mené divers projets de concert avec la Banque mondiale en Afghanistan, et nous aidons également des institutions internationales plus récentes, telles que l’Union africaine, à gagner en efficacité. Nous sommes donc sur la bonne voie.

Mais, pour relever les défis actuels et futurs, il nous faut tous aller bien plus loin. À quelques exceptions près, les diverses composantes de la communauté internationale qui conduisent des opérations de paix ne s’entraînent pas toujours conjointement. Et la planification ne se fait pas vraiment de concert.

Nous ne sommes pas unis sur le terrain. Nous ne conduisons pas une analyse concertée des aspects que nous pourrions être en mesure d’améliorer. Enfin, bon nombre d’ONG refusent toujours de resserrer les liens avec le secteur militaire, par crainte que ce rapprochement ne compromette leur impartialité.

Mettre fin à cette fragmentation nécessitera une véritable « révolution culturelle » – il faudra rompre avec la pensée traditionnelle et se réorganiser – afin de collaborer plus efficacement. C'est, dans une large mesure, la direction que l'OTAN a prise ces dernières années.

Je me félicite par ailleurs que les Nations Unies aient commencé à inviter d’autres organisations, y compris l’OTAN, à examiner comment nous pourrions améliorer notre coopération.

Notre expérience afghane me conduit aussi à mon troisième point : faire de l’OTAN l’enceinte des consultations sur les questions de sécurité à l’échelle mondiale, sans pour autant concurrencer les Nations Unies, ce qui ne serait ni possible, ni souhaitable.

Mais l’OTAN offre un cadre qui a déjà démontré sa capacité unique à faire un lien, dans l’intérêt non seulement de ses propres membres, mais aussi d’autres pays, entre les consultations dans le domaine de la sécurité, la planification militaire et les opérations sur le terrain. Prenons, une fois encore, l’exemple de l’Afghanistan.

Les vingt-huit pays de l'Alliance coopèrent déjà avec seize Partenaires au sein de la FIAS. Nous menons des consultations intensives avec les pays partenaires qui fournissent des troupes, tels que l'Australie, la Corée du Sud, la Suède et la Finlande. La majeure partie du processus décisionnel inclut désormais la totalité de nos Partenaires. Il s’agit là d’un changement considérable dans la façon dont l’OTAN mène ses activités depuis plus de soixante ans. Et non seulement cela fonctionne, mais encore cela prouve qu’il y a toujours bien lieu de remettre l’ouvrage sur le métier.

Il va sans dire que l’Afghanistan n’est pas une île. Il n’existe pas de solution au problème afghan qui soit circonscrite au territoire afghan. Comme c’est le cas dans de nombreux conflits, la dimension régionale compte. C’est la raison pour laquelle l’OTAN s’est engagée dans un partenariat politique et militaire avec le Pakistan.

Or, ce champ de vision s’avère trop limité : tant pour l'Inde que pour la Chine, la stabilité afghane constitue un enjeu. Et ces deux pays pourraient prêter main forte pour la poursuite du développement et de la reconstruction de l’Afghanistan.

Le même raisonnement s'applique à la Russie. Pour l’essentiel, la Russie partage nos préoccupations en matière de sécurité. Si l’Afghanistan devient, une fois encore, un sanctuaire pour les terroristes, ces derniers pourraient aisément essaimer vers la Russie à travers l’Asie centrale. Sans parler du trafic de drogue, qui constitue un problème majeur pour la Russie. Je pense que la Russie peut encore s’engager de façon plus marquée dans nos opérations en Afghanistan.

L’Afghanistan illustre très clairement que, au XXIe siècle, la défense de la sécurité ne peut consister en une course de relais, où un athlète transmet le témoin à son suivant. C’est ainsi que nous avions coutume de procéder. Cela doit changer. Il nous faut désormais fonctionner en équipe, une équipe dont tous les membres, quelle que soit leur position respective, tendent vers le même but. Car la réussite ne peut être que collective.

Permettez-moi de rappeler que l’OTAN a pour tâche essentielle de défendre le territoire. Et l’OTAN est par dessus tout une Alliance transatlantique. Notre centre de gravité restera le lien qui unit l‘Europe et l’Amérique du Nord.

Nous ne pouvons toutefois pas répondre efficacement aux impératifs de sécurité actuels sans nous engager de manière bien plus active et bien plus systématique avec d’autres grands acteurs sur la scène internationale. Pas de façon ponctuelle, mais en intégrant cette logique dans notre modus operandi.

Voilà pourquoi, pour s’acquitter efficacement de ses tâches actuelles, l’OTAN devrait devenir le nœud d'un réseau de partenariats en matière de sécurité, et une plate-forme de consultations sur les questions de sécurité internationale – y compris sur les questions au sujet desquelles l'Alliance n'interviendra peut-être jamais.

L’OTAN peut être l’endroit où les partenaires que l’Organisation compte dans le monde entier vont venir partager leurs points de vue, leurs préoccupations et leurs meilleures pratiques en matière de sécurité. Et l’endroit où, si cela se justifie – au cas où nous estimerions que l’OTAN devrait avoir un rôle à jouer – nous pourrions définir une stratégie pour nous attaquer ensemble aux défis qui se posent à l'échelle mondiale.

Cette idée peut certes sembler quelque peu ambitieuse, j’en suis parfaitement conscient. Mais l’est-elle réellement ? Qui serait lésé si l'OTAN et d'autres institutions internationales se rapprochaient davantage ? L’expérience montre déjà qu’un tel rapprochement est justifié, et que nous devrions l’intensifier.

En quoi serait-il nuisible que des pays tels que la Chine, l’Inde, le Pakistan, entre autres, nouent des liens plus étroits avec l’OTAN ? Je pense, en réalité, qu’il en résulterait uniquement un bénéfice en termes de confiance mutuelle et de coopération.

Permettez-moi maintenant de répondre à une préoccupation que je vois déjà apparaître. Non, je ne perçois pas dans cette proposition un éventuel conflit avec les prérogatives des Nations Unies. Car je ne pense pas qu’il y ait conflit avec les Nations Unies. Il s’agit ici d’un groupe de pays qui se consultent, de façon formelle ou informelle, au sujet de la sécurité, et de rien d’autre.

D’ailleurs, je pense que cette proposition serait en réalité bénéfique pour les Nations Unies. La quasi totalité des activités menées par l'OTAN le sont à l’appui des résolutions des Nations Unies. Les Alliés sont tous des membres solides et actifs de l'ONU. Mettre sur pied une coalition de défense de la sécurité plus robuste et plus globale, avec l’OTAN comme pivot, serait, à mon avis, extrêmement bénéfique aux Nations Unies et conforme aux principes de la Charte de l’ONU.

Et nous ne devons pas partir de zéro. Aujourd’hui déjà, l’Alliance dispose d’un vaste réseau de partenariats de sécurité, qui s'étend de l'Afrique du Nord au Golfe persique, et de l’Asie centrale au Pacifique.

Je pense qu’un tel réseau de consultation et de coopération serait encore plus robuste si des pays comme la Chine et l’Inde en faisaient eux aussi partie.

Mener à bien notre mission en Afghanistan, promouvoir un nouveau pacte entre les institutions internationales et faire de l’Alliance une enceinte de discussion pour les questions de sécurité mondiale, voilà un mandat plutôt ambitieux.

Exécuter ce mandat exigera une détermination forte de la part des Alliés, ainsi qu’une vision claire de l’évolution future de l'OTAN. Autant d'éléments qui devront être pris en compte dans le nouveau concept stratégique.

Madeleine Albright, qui dirige le groupe d’experts que j’ai choisis afin de lancer le processus de réflexion, participera à la prochaine session, et partagera peut-être également ses propres pensées sur ce sujet.

Mesdames et Messieurs,

Pour moi, transformer l’OTAN en une institution de sécurité dotée de liens à l’échelle de toute la planète n’est pas une question de choix, c’est une question de nécessité. La mondialisation est désormais une réalité irréversible.

Cette réalité, nos institutions doivent non seulement la reconnaître, mais aussi s’y adapter, tout comme elles doivent être en mesure d’assurer la sécurité dans des circonstances radicalement différentes. Je suis convaincu que l’OTAN et la communauté transatlantique doivent et peuvent relever ce défi et, surtout, qu'elles le feront.

Merci.