Discours

du Secrétaire général à l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN)

  • 08 Mar. 1999
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  • Last updated: 06 Nov. 2008 02:27

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir pour moi d'être parmi vous aujourd'hui. L'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale est connu dans l'ensemble des pays de l'Alliance pour être l'une des institutions de tout premier plan en matière d'études de défense. La présence d'un si grand nombre de personnalités - tant militaires que civiles - réunies au sein d'un même forum d'étude et de réflexion confirme la réputation de centre de compétence et d'influence dont jouit l'Institut.

Quelle heureuse coïncidence que nous soyons rassemblés ici à Paris, la ville qui vit Schuman et Monnet lancer le projet européen. A l'époque, le continent était très différent de ce qu'il est aujourd'hui. L'Europe occidentale se relevait d'une terrible guerre. Les économies étaient faibles, les sociétés déchirées par des divisions internes.

Les pères fondateurs de l'intégration européenne n'en croiraient pas leurs yeux s'ils pouvaient voir l'Europe actuelle. L'Union européenne compte quinze pays membres, et six autres pays ont conclu avec elle des accords d'association pour une adhésion future. Les citoyens européens élisent leurs représentants au sein d'un Parlement européen. Les frontières internes disparaissent, et les ressortissants des pays de l'Union européenne ont un passeport commun. Onze pays membres de l'Union viennent d'adopter l'Euro.

Les militaires européens conduisent les forces internationales déployées en ARYM pour résoudre la crise au Kosovo. Et une Identité européenne plus forte se développe au sein de l'Alliance de l'Atlantique Nord. Ces événements, conjugués, démontrent avant tout une chose, à savoir que l'Europe n'est plus "ce petit cap du continent asiatique", pour reprendre l'expression de Paul Valéry, mais un projet qui connaît un remarquable succès.

Le lancement de l'euro montre à quel point les fondements politiques de ce projet européen sont solides. Une monnaie est bien plus qu'une unité d'échange : c'est un symbole d'identité. Les pays de la zone Euro ne témoignent pas seulement de leur confiance réciproque sur le plan économique. Ils prouvent aussi qu'une nouvelle identité européenne prend corps.

Je voudrais aujourd'hui, dans mon intervention, aborder plus particulièrement le rôle joué par l'OTAN dans ce processus d'intégration européenne, et la contribution concrète apportée par l'Alliance à un aspect spécifique de ce processus - l'émergence d'une Identité de sécurité et de défense. D'ailleurs, le moment est à mon avis venu d'examiner ce que signifie, pour les relations entre l'OTAN et l'Union européenne, cette Identité européenne de sécurité et de défense qui se fait jour.

Mesdames et Messieurs,

Pendant quatre décennies, l'OTAN a été le bras protecteur d'une Europe occidentale en plein redressement. Aucune intégration économique ou politique n'aurait été possible sans la sécurité fondamentale assurée par l'Alliance. Cette sécurité était essentielle.

Mais l'influence de l'OTAN sur le processus d'intégration a été plus profonde encore. L'existence de l'Alliance a mis un terme à un comportement historique qui voulait que chaque Etat européen cherche à assurer sa défense et sa sécurité par des moyens purement nationaux - et souvent aux dépens des autres. Par son engagement en faveur d'une défense collective, l'Alliance atlantique a contribué à éliminer l'une des causes premières de guerre.

Ce faisant, l'OTAN a contribué à l'éveil d'une culture de confiance entre ses membres. Le résultat en est évident pour tous. Un conflit majeur entre Alliés, ou même une guerre à grande échelle en Europe, sont tout simplement inconcevables. Des décennies de coopération militaire et politique au sein de l'OTAN ont créé des liens de confiance très solides. C'est cette confiance qui a permis au processus d'intégration européenne de voir le jour et de se développer.

Il faut encore citer un troisième élément essentiel dans la dimension de sécurité du processus d'intégration européenne. Il s'agit de l'émergence d'une Identité de sécurité et de défense, complément naturel et logique d'une intégration politique et économique qui va en s'approfondissant. Une IESD effective est tout aussi nécessaire à l'Europe qu'à la bonne santé de la relation transatlantique. Permettez-moi de vous expliquer pourquoi.

Pendant des années, "atlantistes" et "européanistes" avaient des points de vue très différents, laissant peu de place au compromis. Les atlantistes craignaient que le développement d'une identité européenne ne puisse se faire qu'au détriment de l'OTAN. Les européanistes craignaient qu'un monopole de l'OTAN sur les questions de sécurité ne fasse obstacle à l'émergence d'une véritable IESD.

Le temps de ces perspectives concurrentes est révolu. Les décisions prises au sein de l'Alliance au cours des dernières années ont permis au développement de l'IESD de trouver sa place : loin des concepts; dans la réalité. Nous passons de la théorie à la mise en oeuvre concrète.

Deux ingrédients essentiels ont rendu possible ces progrès. En premier lieu, la détermination des Alliés européens à construire l'IESD au sein de l'OTAN.

En cette période de restrictions budgétaires, il était rationnel, sur le plan économique, d'utiliser l'existant, en faisant appel à des moyens et des capacités de l'OTAN pour des opérations européennes, plutôt que de tenter de reproduire ailleurs ces structures et ces compétences.

Le second ingrédient clé, complémentaire de cette décision, a résidé dans le changement d'attitude des Etats-Unis vis-à-vis d'un renforcement du rôle de l'Europe au sein de l'OTAN.

Les Etats-Unis en sont venus à reconnaître qu'avec une Europe forte au sein de l'Alliance, l'efficacité de l'OTAN serait renforcée et non pas compromise.

En 1991, deux événements ont défini le cadre fondamental : la signature du Traité de Maastricht et le Sommet de Rome. Le Traité de Maastricht a confirmé le développement de l'Union de l'Europe Occidentale en tant que bras armé de l'Union européenne. Le Sommet de Rome a confirmé que, du point de vue de l'OTAN, l'UEO constituerait le moyen de renforcer la dimension européenne de l'Alliance. Les Alliés ont donné un puissant élan à cette entreprise lorsqu'ils ont décidé, en 1994 à Bruxelles et en 1996 à Berlin, que les moyens collectifs de l'Alliance pourraient être mis à disposition pour des opérations de l'UEO. Je sais combien votre pays a joué un rôle important pour cela. Depuis, l'Alliance a défini les moyens concrets de "séparer" des moyens de l'OTAN en vue de leur utilisation par l'UEO. Aujourd'hui, à quelques semaines du Sommet de Washington, nous mettons les dernières touches à ce travail concret de développement de l'IESD au sein de l'OTAN.

A Washington, nous dévoilerons la nouvelle structure de commandement de l'Alliance. Celle-ci n'est pas seulement plus réduite et plus souple, et donc mieux adaptée aux missions, plus variées, d'aujourd'hui. Elle a également été modifiée pour rendre possibles des opérations dirigées par les européens et utilisant des moyens et des capacités de l'OTAN. Nous avons également réalisé des progrès significatifs dans l'identification des moyens et des capacités de l'OTAN susceptibles d'être utilisés pour soutenir des opérations de l'UEO. Et nous travaillons de concert avec l'UEO pour nous familiariser avec les procédures qui pourraient être mises en œuvre dans le cadre d'une opération de gestion de crise dirigée par l'UEO et faisant appel à des moyens de l'OTAN.

De tels progrès auraient été impensables il y a quelques années seulement. Ils montrent combien la détermination politique à bâtir l'IESD au sein de l'OTAN est réelle. Et c'est une détermination qui vise à inclure tous les Alliés s'ils le désirent. Notre approche est inclusive, pas exclusive.

Toutefois, il n'est pas possible de concrétiser une Identité européenne de sécurité et de défense uniquement par le biais d'arrangements institutionnels. Cette identité ne peut pas non plus être ramenée à un aspect interne des opérations de l'OTAN ou de l'UEO. En fait, il s'agit de savoir si l'Europe a le désir de devenir un acteur uni, actif et crédible sur la scène mondiale.

C'est une question qui dépasse largement les relations entre l'OTAN et l'UEO, et qui touche au coeur même de l'Identité européenne.

En dernière analyse, le développement de l'IESD ne pourra être mené à bien que si l'Europe parvient à parler d'une seule et même voix.

Cet objectif n'est pas irréaliste. Toutefois, pour l'atteindre, il sera nécessaire de faire des progrès dans trois domaines clés : la volonté politique, les capacités militaires et les relations transatlantiques.

Premièrement, la volonté politique. Pour réaliser des avancées en ce qui concerne les problèmes politiques délicats, il est nécessaire d'établir une position commune - et de s'y tenir, ensemble. Le conflit en Yougoslavie nous a donné l'occasion de réfléchir sur la difficulté que cela représente.

En Albanie, par exemple, les pays européens ont pu, à bref délai, créer une coalition des bonnes volontés et prendre les mesures nécessaires. Quand la crise a éclaté au Kosovo, une position européenne commune a rapidement été établie. Les Européens fournissent aujourd'hui la plus grande partie des vérificateurs déployés dans le cadre de la mission de vérification de l'OSCE au Kosovo. En tant qu'Allié européen, la France est à la tête du déploiement de la force d'extraction de l'OTAN. Ce sont les Européens qui ont pris l'initiative des négociations de Rambouillet destinées à contraindre les parties à parvenir à un règlement pacifique. Par ailleurs, à un niveau politique plus élevé, l'initiative franco-britannique de Saint-Malo a donné une nouvelle impulsion aux mesures visant à renforcer le rôle de l'Europe en matière de sécurité. Vous le voyez, votre pays est loin d'être en reste en ce qui concerne sa contribution à ce processus, dont je tiens à saluer ici la qualité.

Il s'agit là d'étapes importantes et concrètes dans la bonne direction. Elles montrent clairement que l'Europe dispose d'un potentiel réel pour jouer un rôle politique majeur sur la scène mondiale.

Toutefois, pour que ce potentiel soit pleinement développé, des progrès sont nécessaires en ce qui concerne le deuxième point : les capacités. Une identité européenne de sécurité de défense a tout autant besoin de capacités que de la volonté politique. Sans investissements dans les domaines du transport stratégique, du renseignement, du commandement, du contrôle et des télécommunications, l'Europe ne sera pas en mesure de soutenir une intervention militaire complexe et de grande envergure, quelle qu'en soit la durée.

D'où également la nécessité pour l'Europe de se doter d'une base industrielle solide qui lui permettra de répondre aux besoins engendrés par les nouveaux défis.

Si l'Europe veut véritablement assumer des responsabilités plus grandes dans le domaine de la défense, il faut qu'elle utilise avec soin et de façon productive les ressources limitées dont elle dispose. Il est irréaliste de penser que l'Europe pourrait atteindre l'autosuffisance complète dans ce secteur, et même si elle l'atteignait, cela serait totalement improductif. En fait, les ressources européennes devraient plutôt être utilisées de façon à combler les lacunes des capacités actuelles de l'OTAN.

Le troisième élément nécessaire au développement de l'IESD est le rééquilibrage des relations transatlantiques. Il est clair que seule une Europe plus forte garantira un engagement américain continu à l'égard de la sécurité européenne. Car seule une Europe plus forte peut jouer le rôle du partenaire stratégique que les Etats-Unis recherchent pour relever les grands défis du domaine de la sécurité.

Soyons clair. Il s'agit d'un partenariat, non pas d'une compétition; il s'agit de permettre le développement d'un potentiel, non pas de l'empêcher. Selon moi, le moment n'a jamais été plus propice pour rééquilibrer les relations transatlantiques, en favorisant et multipliant des synergies, au lieu de créer des allergies.

Nous devrions axer nos débats sur le meilleur moyen de créer ces synergies nouvelles, dans des domaines d'intérêt commun, entre les deux organisations qui contribuent le plus à la sécurité et à la stabilité dans l'Europe d'aujourd'hui : l'Union européenne et l'Alliance. A cet égard, nous pourrions peut-être nous engager dans une réflexion plus créative - dans des discussions franches qui, tout en préservant les vocations respectives des deux organisations, s'ouvriraient sur un chapitre nouveau de l'évolution de l'identité européenne dans le domaine de la sécurité et de la défense.

Nous avons déjà pu voir, dans les actions de ces deux organisations importantes, qu'il y a complémentarité et renforcement mutuel. En Bosnie, l'Alliance, grâce à sa force de stabilisation, a contribué à créer les conditions de sécurité les plus propices à la démarche d'aide financière et d'assistance technique de l'Union européenne. Ensemble, l'Alliance et l'Union européenne aident, chacune à sa façon, à établir une paix durable en Bosnie.

Les deux organisations sont, chacune, engagées dans un processus d'élargissement qui leur est propre. Malgré leurs différences, toutes deux poursuivent le même objectif, à savoir le renforcement de la stabilité nécessaire au développement des valeurs de prospérité, de bien-être, de démocratie et de paix sur ce continent.

Les deux organisations ont pris conscience que, si elles veulent atteindre cet objectif sur l'ensemble du continent européen et consolider réellement la stabilité et la sécurité, elles doivent - et c'est essentiel - entretenir de bonnes relations avec la Russie. L'OTAN comme l'Union européenne ont œuvré concrètement en ce sens avec leurs programmes respectifs - le soutien financier et l'aide de l'Union européenne venant compléter et renforcer la coopération engagée par l'Alliance sur le plan militaire et dans le domaine de la défense par le biais de l'Acte fondateur OTAN-Russie.

De même, cette synergie peut être observée dans une autre partie du continent : la région méditerranéenne. Les deux organisations ont cherché à tendre la main de l'amitié aux pays riverains de la Méditerranée. L'engagement de l'Union européenne par le biais du processus de Barcelone est décisif pour le renforcement de la stabilité dans le sud. Le dialogue de l'OTAN sur la Méditerranée, visant à instaurer la confiance dans le domaine militaire, vient compléter cet engagement.

Mesdames, Messieurs,

Je crois que le moment est venu de mettre un terme aux vaines querelles de compétence pour saisir les opportunités qui se présentent à nous aujourd'hui. Au Sommet de Washington, l'Alliance dévoilera des initiatives parmi lesquelles la perspective d'un rôle européen accru dans le domaine de la sécurité.

L'amélioration de nos capacités de défense pour gérer les crises, la prise en compte du risque posé par les armes de destruction massive, l'adoption d'un nouveau Concept stratégique - autant d'éléments qui peuvent aller dans le sens d'une identité européenne plus tangible.

L'importance de l'IESD dans la nouvelle OTAN sera reflétée le mois prochain dans la version révisée de notre Concept stratégique. Ce Concept prendra également en compte les facteurs politiques et militaires qui ont modifié notablement et positivement le paysage stratégique depuis 1991. Il précisera le nouvel équilibre à trouver entre les missions traditionnelles et les missions nouvelles de l'OTAN, y compris les opérations de soutien de la paix. Il tiendra également compte des nouvelles relations que nous avons établies avec nos Partenaires, notamment la Russie et l'Ukraine.

Le Concept stratégique sera par conséquent un document essentiel pour la nouvelle OTAN du prochain millénaire - une OTAN caractérisée non seulement par une vocation européenne plus marquée, mais aussi par une identité européenne de sécurité et de défense opérationnelle, tangible. Une OTAN qui aidera l'Europe à atteindre sa pleine maturité en tant qu'acteur important sur le plan politique, sur le plan économique et sur le plan de la sécurité.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention.