Discours
du Secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana<br />devant le Parlement tchèque à Prague
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Excellences, Mesdames, Messieurs,
C'est pour moi un honneur et un plaisir que de m'adresser à vous aujourd'hui.
Il y a presque exactement huit ans, le président Havel prenait la parole devant le Conseil de l'Atlantique Nord à Bruxelles. Dans son discours, il a formulé de nombreuses remarques pénétrantes sur l'importance que continuait de revêtir l'OTAN et sur les défis que posait la transformation politique et économique en Europe centrale et orientale. A un certain point, il a observé qu'il était pour le moment peu probable que son pays devienne membre à part entière de l'OTAN, ce à quoi il a ajouté, et je le cite : "Cependant, nous pensons qu'une alliance de pays unis par les mêmes idéaux de liberté et de démocratie ne saurait être à tout jamais fermée aux pays voisins qui poursuivent les mêmes objectifs."
Aujourd'hui, huit ans après que ces mots ont été prononcés, nous faisons une réalité de ce qui ne semblait alors qu'une vision lointaine : l'adhésion de la République tchèque à l'OTAN.
La décision qu'ont prise les chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'OTAN lors de notre Sommet historique de Madrid en juillet dernier était une décision qui disait oui à l'engagement, et non à l'indifférence, oui à une ère nouvelle de coopération, et non aux anciennes lignes de division. C'est une décision qui laisse bien augurer de l'avenir de l'Europe, et de la région euro-atlantique tout entière.
La décision d'inviter la République tchèque reposait sur la conviction des Alliés que votre pays, et avec lui la Hongrie et la Pologne, sont à ce stade les mieux préparés à apporter un plus à notre sécurité commune. C'est vous, peuples d'Europe centrale et orientale, qui par votre courage avez contribué à mettre fin à la division contre nature de l'Europe. C'est votre désir irrépressible de liberté qui nous a donné la possibilité de construire une Europe nouvelle - une Europe dont les frontières sont définies par des valeurs plutôt que par des sphères d'intérêt.
Un nouveau pas a été franchi vers l'objectif de l'adhésion à l'OTAN en décembre dernier, au cours d'une réunion historique où les Ministres des affaires étrangères des pays de l'OTAN, en présence de leurs homologues tchèque, hongrois et polonais, ont signé les protocoles d'accession ouvrant la voie pour que votre pays devienne membre à part entière de l'Alliance lors du Sommet qui marquera le cinquantième anniversaire de celle-ci, en 1999. En ce même mois de décembre, le Conseil européen réuni à Luxembourg a invité la République tchèque à entamer des négociations d'adhésion avec l'Union européenne.
Adhérer à l'OTAN et à l'Union européenne représente beaucoup plus que signer des traités ou entrer dans de grands appareils bureaucratiques. Cela signifie participer au projet le plus ambitieux que l'Europe et l'Amérique du Nord aient jamais entrepris : créer les conditions d'une stabilité et d'une prospérité durables dans la région euro-atlantique tout entière.
Cette stabilité ne peut se fonder sur la seule intégration économique. La période de l'après-guerre, en Europe occidentale, nous a appris que le progrès politique et économique et l'intégration en matière de sécurité sont étroitement liés. Dès que leur sécurité est assurée, les pays peuvent se consacrer avec une confiance accrue à leur évolution à plus long terme. Un secteur militaire, fermement enraciné dans nos sociétés démocratiques et placé sous le contrôle de l'autorité civile, fait partie intégrante de cette évolution. C'est également le cas des structures militaires lorsqu'elles sont transparentes, défensives et multinationales. Il est beaucoup plus facile d'atteindre tous ces objectifs en coopération avec des Alliés qui sont animés par les mêmes idéaux.
Je me rends bien compte de l'histoire tragique que votre pays a traversée au cours de ce siècle. Il y a soixante ans, votre pays était comme un pion sur l'échiquier de l'Europe ensanglantée. Il y a trente ans, votre pays a été la victime de l'alliance même qui prétendait assurer sa protection. Ces traumatismes ont conduit certains citoyens tchèques à penser que leur pays ne devrait plus jamais faire partie d'une alliance. Je n'ignore pas que d'aucuns défendent ce point de vue, mais je ne saurais m'y rallier. L'OTAN n'est pas un bloc militaire. Il s'agit d'une communauté d'Etats démocratiques partageant les mêmes aspirations de sécurité. A la différence du Pacte de Varsovie, l'OTAN est une association volontaire d'Etats libres. Elle existe tout simplement parce que ses Etats membres veulent qu'elle existe.
Il s'agit-là d'une différence essentielle qu'il convient de garder toujours à l'esprit. Elle explique également le fait qu'aucun membre de l'OTAN n'a jamais souhaité quitter cette Alliance. Comme le Président de la Pologne me le déclarait, il y a quelques temps, son pays souhaite adhérer à l'OTAN pour les raisons précises qui font qu'aucun de ses membres actuels ne souhaite la quitter. Je m'adresse à vous, représentants du peuple tchèque, et vous invite à mettre tout en oeuvre pour nous aider à dissiper ces malentendus. Une Europe nouvelle ne saurait se fonder sur d'anciens stéréotypes.
L'OTAN qui s'ouvre à de nouveaux membres est une communauté démocratique sans équivalent. Il s'agit également d'une communauté tout entière vouée à l'évolution dynamique. L'OTAN s'est modifiée peut-être davantage qu'aucune autre organisation internationale. Au cours de cette dernière décennie, nous avons procédé à un réexamen fondamental de nos politiques, de nos stratégies, de nos structures.
Vous adhérerez à une organisation qui a pris un engagement en faveur de la sécurité et de la stabilité de l'Europe élargie. Il s'agit d'une Alliance qui a établi des relations étroites avec virtuellement tous les pays de la zone euro-atlantique. Au cours de ces dix dernières années, l'OTAN s'est tournée vers des dizaines de pays pour les associer à un cadre commun de sécurité coopérative. Nous avons établi de nouveaux modèles et de nouveaux réseaux d'interaction sous l'égide du Partenariat pour la paix, qui connaît un immense succès, et du Conseil de partenariat euro-atlantique, un organe politique de création récente.
On peut prévoir que le Partenariat pour la paix et le Conseil de partenariat euro-atlantique développeront, l'un et l'autre, rapidement leurs activités au cours des mois et des années à venir. Nous comptons sur la République tchèque pour qu'elle continue de jouer un rôle actif dans ce partenariat. Le passage de la qualité de Partenaire à celle d'Allié ne modifie en rien notre engagement commun à l'égard du développement, dans le cadre de ces structures, d'une coopération régionale élargie dans le domaine de la sécurité.
En Bosnie, on peut voir aujourd'hui à l'oeuvre, de la façon la plus claire, la nouvelle OTAN du partenariat et de la coopération. Sous la conduite de l'OTAN, trente-six pays se sont unis au sein d'une coalition pour la paix qui est sans précédent dans l'histoire. Des soldats tchèques, hongrois et polonais servent en Bosnie au côté de leurs partenaires de l'OTAN, comme le font d'ailleurs les soldats de nombreux autres pays partenaires, y compris la Russie. Ensemble, la communauté internationale oriente vers une paix durable ce pays déchiré par la guerre. Dans les efforts déployés par tant de pays et d'organisations internationales pour reconstruire la Bosnie, nous pouvons voir au travail une Europe sans division.
L'OTAN est fermement déterminée à entretenir des relations solides avec la Russie. La possibilité d'ancrer une Russie nouvelle, démocratique, dans une Europe nouvelle, représente une occasion historique que nous devons saisir - telle a été et demeure ma conviction. L'OTAN a rejeté l'idée qu'il faudrait choisir entre l'élargissement et de bonnes relations avec la Russie.
La signature, en mai dernier, de l'Acte fondateur entre l'OTAN et la Russie, a montré à quel point nous avions raison. Ce document, ainsi que la coopération en essor rapide qu'il a suscitée, démontrent que l'élargissement de l'OTAN et une relation solide avec la Russie ne s'excluent pas mutuellement. Bien au contraire. Une nouvelle OTAN et une Russie nouvelle sont destinées à coopérer.
C'est à cette nouvelle OTAN que la République tchèque va adhérer. Pour la première fois de son histoire récente, la République tchèque fera partie d'une alliance démocratique - et en l'ayant elle-même librement choisi. Votre pays sera à même d'organiser sa sécurité collectivement, avec des Alliés partageant les mêmes conceptions.
Le fait de travailler ensemble allège la charge que chaque membre de l'Alliance aurait autrement à supporter. Mais pour coopérer, vous devez d'abord devenir membre à part entière de l'équipe. Bien des choses ont déjà été réalisées dans ce sens. Notre coopération au sein du Partenariat pour la paix et en Bosnie a montré comme nous pouvons travailler efficacement ensemble. Par ailleurs, depuis le Sommet de Madrid, nous avons utilisé le processus d'établissement des plans de défense de l'OTAN pour aider la République tchèque à se familiariser avec les procédures de l'OTAN et les responsabilités qu'implique le statut de membre.
Ces mesures ont permis, à un degré sans précédent, de dégager des éléments qui nous sont communs, et ceci est important. Mais elles ont également mis en évidence ce qu'il reste à accomplir. La République tchèque va devoir effectuer des ajustements d'une grande portée. Vous devez continuer à moderniser vos forces armées, améliorer la qualité de la vie militaire et développer un corps de sous-officiers professionnels. Vous devrez apporter des améliorations dans un certain nombre de secteurs clés. Et vous devrez maintenir un budget de la défense qui permette d'y parvenir. Cela ne demandera pas d'énormes quantités de matériel de haute technologie. Mais cela demandera l'engagement politique ainsi que la volonté de mettre en oeuvre des réformes difficiles.
De toute évidence, les futurs nouveaux membres de l'OTAN, comme cela a été le cas pour les membres actuels, auront le temps et la latitude nécessaires pour répondre aux exigences sans que l'impact soit brutal. Il est clair également que l'OTAN fournira un cadre solide et fiable pour cette restructuration à long terme - ce qui permettra d'effectuer des réformes dans des conditions meilleures et plus économiques que tout ce qui pourrait être envisagé à l'extérieur de l'OTAN.
L'OTAN apportera une aide, mais c'est à vous qu'il appartient d'accomplir l'essentiel du travail. L'OTAN est un cadre qui laisse s'exprimer la volonté de chacun et ne contraint personne. Aucun processus de planification détaillée de l'Alliance ne peut épargner à un pays membre - et à son parlement - l'obligation de prendre des décisions cruciales. Je ne doute pas que votre détermination à réaliser ces ambitieuses réformes permettra à la République tchèque d'apporter réellement une contribution à la sécurité d'ici à 1999.
La volonté de contribuer à notre sécurité commune, et de ne pas se contenter d'en profiter, ne manquera pas d'avoir un impact sur les parlements des pays alliés, lorsqu'ils envisageront la ratification dans les mois à venir. Il en sera de même du niveau du soutien que l'opinion apportera au processus d'adhésion en général. Le temps est venu pour les parlementaires de faire preuve d'un véritable leadership. L'adhésion à l'OTAN est un investissement dans l'avenir à long terme de votre pays. C'est un objectif trop précieux pour que nous puissions le mettre en jeu ou risquer de le laisser nous échapper.
Tandis que nous attendrons l'issue du processus de ratification par les parlements alliés, nous associerons dans toute la mesure du possible la République tchèque aux activités de l'Alliance. Vos représentants reçoivent régulièrement des exposés sur les politiques de l'OTAN, et ils participent à tous les forums de l'Alliance. Des représentants de la République tchèque, de la Hongrie et de la Pologne à Bruxelles siègent déjà à la table de conférence lors des réunions hebdomadaires à Bruxelles du Conseil de l'Atlantique Nord et de ses comités subordonnés. Vos représentants militaires prennent part aux activités du quartier général de l'OTAN à Mons.
Mesdames et Messieurs,
Une communauté de sécurité démocratique fondée sur des valeurs communes plutôt que sur la peur, tel est l'idéal qui a inspiré les rédacteurs du Traité de Washington en 1949. Ils n'ont pas défini la raison d'être de l'OTAN comme étant simplement la protection de ses membres en termes militaires. Leur ambition a été, dès le départ, à la fois plus simple et plus large : elle a consisté, comme l'indique le texte du Traité, à "favoriser dans la région de l'Atlantique Nord le bien-être et la stabilité".
Aujourd'hui, l'Alliance Atlantique peut enfin revenir à sa vocation initiale : sauvegarder et promouvoir nos valeurs démocratiques et soutenir le processus d'intégration de plus en plus large de la nouvelle Europe. Avec la République tchèque à nos côtés, nous pouvons saisir cette occasion historique. Soyez les bienvenus dans notre maison européenne commune. Je vous remercie.