Allocution
du Secrétaire général, Dr. Javier Solana, lors de l'ouverture de l'année académique de l'ULB pour le 10e anniversaire du programme de relations<br />internationales de l'ULB/du CERIS
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Mesdames, Messieurs,
Avant toute chose, permettez-moi de présenter mes félicitations à l'ULB et au CERIS à l'occasion du dixième anniversaire de leur programme de relations internationales. Il s'agit là d'une réalisation dont vous pouvez être fiers.
Certains d'entre vous savent peut-être que je suis physicien de formation. Je ne suis venu que plus tard aux relations internationales. C'est un sujet fascinant, tout comme la physique. Il y a néanmoins une différence majeure. La physique nous aide à expliquer le monde. Elle façonne ainsi nos comportements et nos vies indirectement, lentement. La politique, en revanche, peut façonner notre monde immédiatement - dans l'espoir d'un changement en mieux. Ainsi, l'étude des relations internationales contient non seulement une grande part de fascination, mais aussi une grande part de responsabilité.
Il en va particulièrement ainsi de la politique de sécurité. Lorsque la Guerre froide s'est terminée, certains ont cru que les questions de sécurité avaient perdu de leur importance, en particulier ici en Europe, et que désormais la paix pouvait être assurée par la seule interdépendance économique. Aujourd'hui, après la guerre en Bosnie et avec la crise toujours menaçante du Kosovo, ces voix ont perdu de leur belle assurance. Nous avons appris que la paix doit être assurée par une combinaison de facteurs économiques, politiques, sociaux et de sécurité. Et nous avons appris - une fois de plus - qu'il est tout simplement impossible de prédire l'avenir avec la moindre certitude. Ce qui reste vrai, c'est que la politique est l'art de faire face à l'imprévu. En tant qu'étudiants en relations internationales, vous devriez garder cela à l'esprit. Après tout, c'est vous qui serez les dirigeants de demain.
Dire que nous ne savons pas d4e quoi demain sera fait ne signifie pas pour autant que nous devons rester entièrement passifs. Au contraire, nous pouvons façonner l'environnement politique, nous pouvons en améliorer la prédictibilité, nous pouvons réduire à un minimum les mauvaises surprises. Comment ? En travaillant en équipe. Les défis du XXIe siècle dépassent de loin les capacités de chaque Etat-nation ou de chaque organisation internationale. Seule la coopération nous permettra de maîtriser les tâches qui nous attendent, qu'il s'agisse de la promotion de la stabilité et de la prospérité en Europe Centrale et orientale, y compris en Russie et en Ukraine, de prévenir la prolifération des armes de destruction massive ou de protéger l'environnement mondial. Bref, nous ne pouvons faire face à la mondialisation avec une approche de la sécurité caractérisée par la fragmentation. Seule une équipe peut relever le défi. Et il n'est pas d'équipe plus forte que l'Amérique du Nord et l'Europe - associées au sein de notre Alliance atlantique.
C'est de cette équipe unique en son genre que j'aimerais, aujourd'hui, vous entretenir - une équipe qui imprime aux relations internationales des marques tout à fait uniques. Dans le passé, le rôle principal de cette Alliance était de protéger l'Europe occidentale contre des actes d'intimidation militaires. Ce rôle s'est à présent sensiblement élargi, puisqu'il s'agit d'aider à la réorganisation des relations de sécurité dans l'ensemble de la région euro-atlantique, autrement dit d'aider à la construction d'une nouvelle architecture de sécurité euro-atlantique.
Depuis le début des années quatre-vingt-dix, nous avons progressé considérablement dans la mise au point d'une architecture qui soit viable. Le conflit en Bosnie peut avoir contrarié quelques-uns des nobles desseins du début, mais il a également permis qu'aujourd'hui, toutes les grandes institutions étendent mieux leur action de façon à relever des défis nouveaux, plus complexes. En particulier, cette crise a montré que la sécurité et la stabilité dans le monde de la fin du Xxème siècle doivent être assurées par l'ensemble des institutions internationales. L'Union européenne s'élargit à de nouveaux membres, a établi une relations solide avec la Russie et noue des liens nouveaux avec les pays méditerranéens. L'OSCE elle aussi a étendu son action, traitant désormais de questions liées aux minorités dans la région de la Baltique et organisant des élections libres en Bosnie.
Quoi qu'il en soit, la contribution de l'OTAN à cette architecture demeure unique en son genre. L'OTAN présente en effet trois caractéristiques clés qui lui permettent d'exercer une influence non négligeable sur la forme à donner à cette architecture : le processus de consultation politique, la compétence militaire et le lien transatlantique. Ensemble, ces éléments ont été à l'origine d'un élan de coopération sans précédent dans la région euro-atlantique tout entière. Et, comme le montre notre opération en Bosnie, cet élan de coopération n'est pas une simple manifestation fugitive : sur le terrain, il fait une réelle différence.
Ce que l'OTAN a accompli en Bosnie est assurément unique : une coalition de plus de trente pays, Alliés et Partenaires, assure la mise en oeuvre de l'Accord de paix de Dayton. L'OTAN a pu unir dans cet effort conjoint des pays allant des Etats-Unis à la Russie, de la Suède à l'Autriche. Ensemble, l'OTAN et ses Partenaires procurent une assise militaire à la reconstruction politique et économique menée par l'Union européenne, l'OSCE et de nombreuses autres institutions. L'Alliance joue ainsi un rôle clé dans la stabilité à long terme des Balkans. Aucune autre organisation n'aurait pu faire ce que l'OTAN fait avec la Force de stabilisation. L'OTAN demeure un instrument irremplaçable pour une gestion efficace des crises.
Cependant, l'imposition d'un règlement de paix n'est pas la seule contribution que l'OTAN peut apporter à la sécurité et à la stabilité dans les Balkans. Le conflit du Kosovo est une autre source de préoccupations. Là-bas, le temps presse. La semaine dernière, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a constaté sans ambiguïté la détérioration continue de la situation sur le terrain jour après jour. Les actions menées par les forces de sécurité de Belgrade se poursuivent, obligeant des milliers de civils à fuir leurs domiciles . La communauté internationale est déterminée à empêcher une catastrophe humanitaire majeure au Kosovo. L'OTAN a achevé la planification d'une série d'options militaires. Les plans ainsi établis donnent à nos dirigeants politiques une grande souplesse dans l'exécution d'options militaires si cela devait se révéler nécessaire. Nous sommes prêts à agir.
Parallèlement, et dans notre stratégie pour contribuer à la sécurité dans la région, nous avons eu recours à nos mécanismes de coopération pour aider à la stabilisation des Etats voisins du Kosovo, l'Albanie et l'ex-République yougoslave de Macédoine. Nous avons intensifié nos programmes d'assistance militaire au profit de chacun de ces pays. Le programme de partenariat qui nous lie à l'Albanie vient d'être repensé pour aider au maintien de la stabilité du pays. Nous appuyons le travail de secours humanitaire du Haut Représentant des Nations Unies en Albanie. Nous avons aussi procédé à des exercices en Albanie et dans l'ex-République yougoslave de Macédoine afin de montrer bien clairement que nous n'abandonnons pas ces pays partenaires en difficulté. Tout cela montre que l'OTAN a aussi un rôle à jouer dans la prévention des crises - domaine que nous nous devons d'approfondir à l'avenir.
L'élargissement de l'OTAN est une autre contribution importante à l'architecture de sécurité qui prend forme. Nous ne saurions bâtir une Europe ouverte sur des institutions refermées sur elles-mêmes. C'est pourquoi l'OTAN et l'Union européenne se sont ouvertes à de nouvelles adhésions. Comme vous le savez, nous avons invité la Hongrie, la Pologne et la République tchèque à se joindre à notre Alliance l'an prochain, lors du 50e anniversaire de l'OTAN. L'entrée de ces trois pays élargira la zone de stabilité unique que l'OTAN a créée en cinq décennies.
Mais l'élargissement de l'OTAN n'est pas un fait isolé. Il s'inscrit dans un processus d'ouverture. Les trois premiers nouveaux membres ne seront donc pas les derniers. Ce message d'ouverture a été compris. Dans toute l'Europe centrale et orientale, les pays candidats à l'adhésion ont entrepris de profondes réformes intérieures et réglé les différends avec leurs voisins. Sans l'engagement de l'OTAN et de l'Union européenne dans le sens de l'ouverture, cette évolution n'aurait pas été possible. L'élargissement de l'OTAN est un signal clair : la division de l'Europe appartient désormais au passé.
Ce signal est aussi capté ailleurs grâce aux liens solides qui ont pris forme entre l'OTAN et près de trente pays couvrant l'ensemble de la région euro-atlantique. Notre programme de Partenariat pour la paix nous permet de coopérer dans le domaine militaire, par exemple en élaborant des approches communes du maintien de la paix et de la planification de la défense. Notre Conseil de partenariat euro-atlantique, c'est son nom, nous permet de procéder à des consultations politiques, par exemple en débattant des questions de sécurité régionale. Ces consultations nous aident à faire de la coopération un principe directeur pour assurer la stabilité dans l'ensemble de la région euro-atlantique. Ces éléments sont donc essentiels au rapprochement des pays de ce continent.
La semaine dernière encore, à l'occasion de mon voyage dans les pays du Caucase, j'ai pu me rendre compte à quel point le Partenariat pour la Paix et le Conseil du Partenariat Euro-Atlantique ont permis de donner un sens d'appartenance à ces nouveaux états ainsi que de promouvoir de multiples initiatives de coopération régionale.
Une autre contribution importante de l'OTAN à l'architecture qui se dessine consiste à aider une Russie nouvelle à se réconcilier avec une Europe nouvelle. L'actuelle crise financière de la Russie nous rappelle avec force que l'avenir de ce pays sera en grande partie déterminé par la Russie elle-même. Mais l'OTAN, l'Union européenne et les institutions financières internationales peuvent aider, sur le plan financier, sur le plan économique et - ce qui n'est pas le moins important - sur le plan psychologique. C'est pourquoi la solidité de la relation OTAN-Russie revêt une telle importance. Dans les circonstances difficiles que traverse actuellement la Russie, elle constitue un véritable pôle de stabilité entre nous. Elle montre que nous nous considérons comme des partenaires sérieux.
L'OTAN et la Russie partagent de fait beaucoup d'intérêts, allant de la gestion de crises régionales à la prévention de la prolifération des armes de destruction massive. Il n'est donc que naturel que nous élaborions les mécanismes voulus de consultation et de coopération.
Ces mécanismes sont à présent en place. L'OTAN et la Russie se consultent, au sein du Conseil conjoint permanent, sur toutes les grandes questions intéressant notre sécurité. De surcroît, nous espérons resserrer nettement nos liens de coopération militaire. En Bosnie, des soldats de l'OTAN et de la Russie coopèrent déjà très efficacement. Nous devons faire fond sur ces résultats. C'est un bon investissement non seulement pour l'avenir des relations entre l'OTAN et la Russie, mais aussi pour la sécurité de la région euro-atlantique en général.
L'Ukraine, autre pays occupant une position géostratégique très importante, s'emploie à relever les formidables défis liés à la réforme. L'OTAN peut aider ce jeune pays à trouver le rôle qui est le sien dans la nouvelle Europe. Grâce à notre partenariat spécifique avec l'Ukraine, nous pouvons l'aider à gérer sa transition et à apporter, en termes de sécurité, une contribution nette à la nouvelle Europe.
Une architecture de sécurité européenne, par définition, doit tenir compte de la rive septentrionale de la Méditerranée. Mais cette région peut-elle être coupée des événements qui touchent sa rive sud ? Certainement pas. D'où l'importance de notre dialogue sur la Méditerranée. Dans le cadre de ce dialogue, nous échangeons des vues sur la situation de sécurité avec six pays du sud de la Méditerranée. Nous montrons ainsi à nos voisins méridionaux que nous prenons sérieusement en compte leurs perceptions de la situation en matière de sécurité et que l'architecture que nous cherchons à construire procède de la coopération et non de l'exclusion.
L'OTAN joue aussi un rôle plus actif dans l'élaboration d'une Identité européenne de sécurité et de défense. Il est inévitable que l'Europe joue un rôle plus marqué dans la gestion des questions de sécurité. Les nouveaux défis qui se posent en matière de sécurité l'exigent; l'intégration européenne l'exige. L'Europe doit, dans ce domaine, jouer un rôle à la mesure de sa force économique. Nous avons fait de grands progrès dans le renforcement de ce rôle de l'Europe. Ainsi, le resserrement des liens avec l'Union de l'Europe occidentale permettra à des coalitions futures de pays européens d'agir là où les Etats-Unis pourraient ne pas souhaiter prendre l'initiative. Cela contribuera à donner au processus d'intégration européenne une dimension de sécurité tangible.
Ce rôle plus marqué de l'Europe importe aussi pour le maintien en bonne forme du lien transatlantique. Il en découlera un partage plus équitable des responsabilités entre les Etats-Unis et leurs Alliés européens - dans le cadre d'une relation transatlantique rééquilibrée pour le siècle prochain. Seule cette nouvelle donne nous permettra de relever les nouveaux défis qui se poseront pour notre sécurité, comme la prolifération des armes de destruction massive.Mesdames, Messieurs,
L'OTAN est devenue le catalyseur de la nouvelle architecture de sécurité européenne et y conservera une place centrale. Elle dispose des outils nécessaires pour faire face aux menaces qui pèsent directement sur notre sécurité. Cependant, elle a aussi les moyens d'influencer l'évolution politique de l'Europe à long terme. Ainsi, l'Alliance a pu passer d'une situation où elle devait empêcher le "pire des scénarios" de se produire à une situation où elle peut créer les conditions nécessaires à l'émergence du contexte "le plus favorable", en mettant en place une architecture qui réduit les risques à un minimum et offre le maximum de possibilités. C'est la raison pour laquelle nous pourrons regarder l'avenir avec confiance et avec un sens du devoir accompli lors de la célébration, l'an prochain, de notre 50e anniversaire. Je vous remercie.