Allocution
de l'Honorable Lloyd Axworthy, Ministre des Affaires étrangères du Canada à l'occasion d'une réunion des ministres du Conseil de l'Atlantique Nord
- French
- English
Les rencontres que nous aurons ces deux prochains jours seront marquées de certains jalons historiques dans l'évolution de l'Alliance. En effet, l'OTAN franchira un autre pas important en admettant trois nouveaux membres dans ses rangs. Nos anciens adversaires sont devenus nos alliés. Certes, l'heure est à la réjouissance, mais il faut aussi se rappeler que notre tâche est loin d'être terminée. Ces rencontres sont l'occasion idéale de faire évoluer l'OTAN, et de veiller à la pertinence, à la modernité et à l'autorenouvellement de l'Alliance.
Il y a dix ans, peu de gens auraient imaginé que nous serions sur le point d'accueillir en notre demeure la Pologne, la République tchèque et la Hongrie. Nous faisons la preuve aujourd'hui, de la manière la plus tangible et la plus permanente possible, que les vieilles barrières et la méfiance qui naguère déchiraient l'Europe ne sont plus, à l'instar du mur de Berlin. Nous traduisons le nouvel esprit d'ouverture et de transparence qui caractérise l'Alliance.
La porte a été ouverte, et elle le demeurera. Comme nous en étions convenus à Madrid, nous devons continuer de travailler activement au projet d'élargissement. Cela signifie aider les pays partenaires désireux de se joindre à l'Organisation à opérer les réformes politiques, économiques et militaires nécessaires à la réalisation de leur objectif. En même temps, nous devrions continuer d'analyser et d'étendre nos relations avec les pays qui préfèrent s'abstenir, afin de développer, en matière de sécurité et de confiance, les approches novatrices que commande l'avènement d'une ère nouvelle.
L'élargissement est un volet majeur de la transformation de l'Alliance. Mais c'est loin d'être le seul. La forme que prendra l'OTAN au XXIe siècle émergera d'un processus en cours dans un certain nombre de domaines, notamment nos efforts en Bosnie et, de façon plus générale, notre réponse militaire et civile aux problèmes de sécurité que la nouvelle donne internationale nous amènera à affronter.
Bosnie
La situation en Bosnie illustre parfaitement le genre de menaces complexes et non traditionnelles qui pèsent sur la sécurité au lendemain de la Guerre froide. Nous pouvons être fiers de voir que les forces de l'OTAN, malgré des circonstances inhabituelles et difficiles, ont quand même été capables d'intervenir rapidement en Bosnie pour mettre un terme au conflit, et paver la voie pour la tâche, plus difficile, qu'est la consolidation de la paix.
En effet, l'instauration d'une paix durable en Bosnie n'est pas une mince affaire. Nous avons cependant eu droit à des signes encourageants. Après notre décision de Sintra, réaffirmée à Bonn il y a peu, le haut représentant a réussi quelques percées notables pour ce qui est d'encourager la mise en oeuvre des accords de Dayton et de limiter les activités de ceux qui font obstacle à cette mise en oeuvre, avec l'aide de la SFOR. Protéger les pylônes de transmission de la télévision pour empêcher la diffusion d'émissions de propagande ne fait pas partie du travail habituel de maintien de la paix, mais cela est nécessaire à la réconciliation qui servira d'assise à une paix durable.
Ce n'est là qu'un des nombreux aspects au regard desquels beaucoup reste encore à faire. La nécessité de maintenir une force de sécurité internationale en Bosnie au delà du mandat de la SFOR s'impose de plus en plus à mes yeux. Une force similaire à l'actuelle SFOR permettrait de conserver un climat de sécurité propice à l'application des accords de Dayton et de donner à la paix une meilleure chance de s'autoperpétuer.
Je reconnais que le maintien d'une telle présence posera des difficultés d'ordre politique, et entraînera des coûts pour certains alliés, nous-mêmes compris. Mais il en coûterait beaucoup plus cher -- tant pour la Bosnie que pour l'avenir de l'Alliance -- de ne pas protéger l'investissement que nous avons déjà fait.
Le mois dernier, une délégation de parlementaires canadiens a visité nos troupes en Bosnie. Ils sont revenus au pays convaincus de l'importance de la mission, de la participation canadienne à cette mission et de la capacité spécifique de l'OTAN et de ses partenaires de protéger la paix dans ce pays. Ils se sont également montrés favorables à la préparation, par l'OTAN, d'options possibles en vue d'une force de relève.
Les réalisations de l'IFOR et de la SFOR témoignent de notre réussite, mais nous devons être honnêtes et admettre que, sur d'autres plans, nous avons échoué. Les plus notoires des criminels de guerre présumés sont encore au large. En outre, le procureur en chef du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, Mme le juge Louise Arbour, m'a dit, pas plus tard que la semaine dernière, être profondément inquiète des relations entre le Tribunal et la SFOR. Quand on nous signale qu'un individu figurant sur la liste des criminels de guerre recherchés est entré récemment sur une base de la SFOR pour en ressortir librement, il est clair qu'il existe de sérieux problèmes de communication et de coordination. Nous ne pouvons tolérer une telle confusion dans les mois qui restent au mandat de la SFOR.
De plus, au moment où les commandants de l'OTAN commencent à discuter des options en vue d'une force de relève en Bosnie, nous devrions demander à nos représentants d'examiner ce problème de toute urgence. Dans le passé, d'aucuns se sont inquiétés de la façon dont les parties réagiraient à une approche plus affirmative de la SFOR. Nous avons aujourd'hui une expérience que nous n'avions pas il y a un an -- la capture de criminels de guerre présumés par les troupes britanniques, la protection des pylônes de transmission de la télévision à Pale --, une expérience qui montre que la SFOR peut adopter une attitude plus agressive sans conséquences indues. Nous devrions tenir compte de cette expérience en nous préparant à la prochaine phase des événements en Bosnie. En somme, il ne peut y avoir de réconciliation sans justice, ni de paix durable sans réconciliation.
Repenser l'OTAN : Objectifs militaires et civils
Les défis auxquels nous sommes confrontés en Bosnie ne représentent que les tâches les plus immédiates et les plus sérieuses qui soient confiées à l'Alliance; ils sont, pour ainsi dire, le fer de lance d'une série de demandes visant à réexaminer et à actualiser nos concepts, nos objectifs et nos outils. La définition élargie de la sécurité que nous avons adoptée en 1991 était une importante réalisation à cet égard : elle a été un signe de clairvoyance, elle a donné lieu à un partenariat avec des non-membres, et elle a aidé à transformer les anciennes lignes d'affrontement en zones de coopération.
Nous devons maintenir la même ouverture à l'innovation et nous concentrer sur les résultats tant que nous continuerons à transformer l'OTAN, qu'il s'agisse du concept stratégique ou du budget civil de l'Organisation. Cela nous oblige à examiner soigneusement la valeur de nos programmes existants, à la lumière de nos objectifs, si nous voulons que notre argent soit bien acheminé vers les domaines hautement prioritaires. Le Canada classerait comme objectifs prioritaires du budget civil la poursuite des criminels de guerre, le rayonnement de l'Organisation -- notamment auprès des jeunes -- et les efforts de contrôle des armements pour consolider la paix et prévenir les conflits. Nous sommes disposés à engager des ressources dans chacun de ces domaines.
Je présenterai demain un ensemble de nouvelles mesures d'aide au Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, qui comprendra une contribution de 600 000 dollars pour aider le Tribunal à mener les procès et à enquêter sur les charniers. Nous prévoyons en outre affecter cinq analystes de la GRC en matière de criminalité pour une période de six mois, et nous fournirons une liste d'autres enquêteurs qualifiés qui pourraient être au besoin affectés au Tribunal. Cette aide montre à quel point le Canada juge important de traduire les criminels de guerre devant la justice pour panser les plaies du conflit en Bosnie.
Parallèlement à ces efforts, j'ai récemment approuvé un don de 400 000 dollars du fonds canadien de consolidation de la paix à une campagne d'information publique en Bosnie sur le processus de paix. Cette somme s'ajoute à notre contribution à l'OBN (Open Broadcast Network) et à d'autres mesures prises pour appuyer le développement d'organes d'information indépendants en Bosnie. Pour parvenir à une réconciliation durable, il est essentiel de mettre d'abord fin à la propagation de vues hautement biaisées et faussées sur le Tribunal et sur le processus de Dayton pour l'instauration de la paix.
Le Canada contribue aussi à d'autres aspects de la consolidation de la paix en Bosnie. Nous fournirons 100 000 dollars à la nouvelle Académie de police de Banja Luka pour appuyer la réforme des forces policières en République serbe et pour assurer conséquemment la sécurité et le bon fonctionnement du gouvernement à son niveau le plus élémentaire.
Pour nombre de jeunes aujourd'hui, la situation stratégique à laquelle la création de l'OTAN se voulait une réponse n'est guère plus qu'un vague souvenir. Pour que l'Alliance demeure pertinente, nous avons besoin de l'appui de nos citoyens, et plus particulièrement des jeunes. Il faut aussi que l'on comprenne le nouveau mandat de l'OTAN. À cette fin, j'ai approuvé un projet de stages de 300 000 dollars qui amènera 20 jeunes Canadiens en Europe dans l'année qui vient. Sous les auspices du Conseil Atlantique du Canada, ils travailleront ici, à Bruxelles, et dans plusieurs pays partenaires afin d'encourager et de développer la coopération que nous jugeons vitale pour que l'OTAN joue pleinement son rôle dans l'édification de la sécurité européenne.
L'OTAN et la Convention sur les mines antipersonnel
S'il est une question qui souligne bien clairement l'environnement évolutif dans lequel l'OTAN doit opérer, c'est bien la campagne contre les mines antipersonnel. Il y a deux semaines à Ottawa, 122 pays -- incluant 14 membres de l'Alliance -- ont signé une convention interdisant les mines antipersonnel. Ce document est le résultat d'une plus grande sensibilisation de la population aux questions de sécurité, de l'examen public plus rigoureux dont ces questions font l'objet et d'une insistance accrue sur l'impact humanitaire des armes de guerre. J'espère que les membres de l'Alliance qui n'ont pas signé la Convention seront bientôt en mesure de le faire.
Je vous remercie