Allocution liminaire

du Secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana,<br />lors de la Réunion avec les membres de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français

  • 28 Mar. 1996
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  • Last updated: 05 Nov. 2008 04:05


Mesdames et Messieurs du Sénat,

Avant tout, je voudrais vous remercier sincèrement de votre invitation et de votre aimable accueil. Je suis particulièrement heureux de cette occasion qui m'est donnée de dire quelques mots sur l'avenir de l'Alliance devant un auditoire aussi distingué, et à ce moment particulier.

Ma visite intervient en effet à un moment déterminant aussi bien pour la France que pour l'Alliance. En France, vous vous engagez dans une vaste réforme de vos forces armées. L'Alliance, elle aussi, a devant elle la perspective d'un nouveau changement fondamental.

C'est pourquoi la décision du président Chirac d'impliquer la France plus étroitement dans l'OTAN est de la plus haute importance. Le débat sur la structure future de l'Alliance pourra avoir lieu au sein de l'Alliance. Et les décisions seront prises par tous ses membres après une réflexion aussi complète que possible.

J'aimerais évoquer aujourd'hui quatre domaines des activités actuelles de l'Alliance qui montrent comment celle-ci répond à la nécessité du changement : la Force de mise en oeuvre des accords de paix en Bosnie, l'adaptation de l'Alliance, les relations de l'OTAN avec la Russie et l'élargissement futur de l'OTAN.

IFOR

En premier lieu, donc, l'IFOR. La signature du Traité de paix sur la Bosnie ici à Paris en décembre 1995 a marqué un tournant, non seulement pour l'ex-Yougoslavie, mais aussi pour l'Alliance atlantique.

De fait, la force internationale constituée pour mettre en oeuvre les accords de paix est une véritable "coalition pour la paix".

Aujourd'hui, l'OTAN aide à la mise en oeuvre d'une paix conquise de haute lutte, et donc à la reconstruction d'une société civile viable et pacifique en Bosnie-Herzégovine. La Force de mise en oeuvre crée l'environnement sûr et le climat de confiance qui sont nécessaires pour que la paix prenne racine en Bosnie.

Il est bien évident que l'IFOR continuera à rencontrer des problèmes et des défis au cours de l'accomplissement de sa mission. Mais ne pas entreprendre cette mission comportait des risques beaucoup plus grands, non seulement pour la Bosnie, mais aussi, plus largement, pour la sécurité en Europe. Cela pouvait signifier le retour à la spirale vicieuse de la violence et de l'agression en Bosnie, et le risque d'une guerre plus étendue dans les Balkans touchant directement la sécurité des Alliés.

Ne pas relever le défi que posait la Bosnie aurait été pour la communauté internationale tout entière une profonde carence de volonté collective et une abdication de responsabilité morale.

Heureusement pour la Bosnie et pour l'Europe, nous n'avons pas laissé cela se produire. Je tiens ici à saluer le rôle dirigeant de la France dans l'inspiration et la conduite de l'effort international pour instaurer une paix durable dans l'ex-yougoslavie.

La France a supporté une part disproportionnée du coût humain et matériel sans peur et sans récriminations. Des dizaines de militaires français ont perdu la vie en Bosnie depuis le début de la guerre en Yougoslavie. La France a accepté ces sacrifices pour la sécurité européenne, et pour la crédibilité de la communauté internationale.

Cette démonstration de force et d'unité des Alliés a contribué à ouvrir la voir aux négociations de Dayton et à la signature de l'Accord de paix à Paris.
La Force de mise en oeuvre s'est employée avec beaucoup de succès à faire en sorte que les étapes militaires prévues dans l'Accord de paix soient atteintes. D'ici quelques semaines, l'IFOR aura presque achevé ses principales tâches militaires. Mais en ce qui concerne la tâche de reconstruction civile et économique, il reste encore un très long chemin à faire pour la paix à long terme. Il est impératif que la réconciliation et la reconstruction reçoivent le plein appui des organisations et des agences civiles internationales.

Je peux vous assurer que l'IFOR maintiendra à cet égard une coordination étroite avec le Haut Représentant, M. Bildt, et ses services.

L'IFOR est conduite par l'OTAN mais n'est pas une force exclusivement OTAN. Avec l'IFOR, pour la première fois dans l'histoire moderne, des pays se sont groupés pour mettre fin à une guerre dans les Balkans, plutôt que d'y prendre part dans des camps opposés. Ce sentiment d'unité et de communauté d'objectif reflète une réalité politique nouvelle. Le fait que tant de pays ont voulu fournir des troupes pour contribuer au soutien et à la mise en oeuvre de l'Accord de paix en Bosnie traduit la prise de conscience de ce qu'on est arrivé à un moment décisif dans l'ordre de sécurité de l'après-Guerre froide.

Adaptation de l'Alliance

J'en viens maintenant à la nécessité d'un nouveau changement au sein de l'Alliance. Sur ce point, je ne veux pas de malentendu. L'OTAN est déjà engagée dans le processus de changement le plus fondamental de son histoire.

Le fait que l'OTAN a créé et dirige la Force de mise en oeuvre en Bosnie indique combien elle a évolué, à la fois militairement et politiquement, au cours des dernières années. Les structures militaires de l'OTAN - la structure de commandement, les structures de forces, le système de planification, le système de réaction aux crises - ne sont plus axées sur une mission unique de défense collective.

Mais nous pouvons aller encore plus loin.

Lors du Sommet de janvier 1994, nous sommes convenus de mettre sur pied de nouvelles forces, susceptibles d'être déployées rapidement, préparées et entraînées pour réagir en cas de crise. Le concept qui sous-tend cette initiative a été baptisé "GFIM". Depuis le Sommet, beaucoup de temps et d'efforts ont été consacrés aux détails pratiques. Je suis persuadé qu'à l'occasion de leur réunion à Berlin, en juin, les Ministres des affaires étrangères donneront le feu vert à sa mise en oeuvre.

Les GFIM faciliteront également des opérations placées sous la conduite des Européens, qu'elles s'inscrivent ou non dans le cadre de l'Alliance. Pour la première fois, nos structures refléteront la réalité du développement d'une identité européenne de défense.

Au mois d'avril, nous aurons une réunion des Chefs des états-majors de la défense afin d'examiner l'évolution future des structures militaires de l'OTAN. Le fait que la France sera représentée par le Chef d'état-major des armées, le général Douin, est très significatif. Ce sera la première fois en près de 30 ans que le Chef de l'état-major français de la défense siégera aux côtés de ses homologues au Comité militaire de l'OTAN. Mais sa participation a plus qu'une valeur purement symbolique. Pour la première fois, la France - à juste titre - prendra pleinement part à un processus de réforme militaire déterminant pour l'avenir de l'OTAN.

Russie

Comme vous le savez, j'étais en Russie la semaine dernière. Je voulais souligner combien nous attachons d'importance à nouer des relations constructives avec ce grand pays. Le développement de la Russie est de la première importance et d'un intérêt capital pour le reste de l'Europe. Si la Russie progresse sur la voie de la démocratie, comme nous le souhaitons tous, et si nous travaillons ensemble, il n'y aura guère de problème de sécurité dans la zone euro-atlantique que nous ne puissions régler. C'est pourquoi il est tellement crucial d'accroître les relations entre l'OTAN et la Russie. C'est un élément clé de toute nouvelle architecture de sécurité européenne. Il faut le développer, non pas en vertu de nécessités abstraites, mais parce que de telles relations servent nos intérêts mutuels.

Ces relations sont déjà en bonne voie. La Russie est membre de la coalition qui fournit l'IFOR. Comme j'ai pu le constater par moi-même lorsque j'ai rendu visite à la brigade russe il y a quinze jours, les troupes russes sont bien entraînées, bien équipées et motivées.

Mais la coopération en Bosnie ne suffit pas. L'OTAN et la Russie ont des intérêts communs qui vont au-delà. J'en citerai quelques-uns : prévenir et régler des crises et des conflits régionaux; prévenir la prolifération nucléaire; concevoir des stratégies communes pour affronter de nouveaux défis dans le domaine de la sécurité; définir ensemble une approche de la sécurité fondée sur la coopération.

En bref, nous avons proposé à la Russie des relations qui nous permettraient de nous attaquer ensemble à tous ces problèmes.

Elargissement

Les liens qui se nouent entre l'OTAN et la Russie sont une indication majeure de la profondeur du changement qu'a subi le rôle de l'OTAN. Les relations de plus en plus étroites avec nos voisins d'Europe centrale et orientale en sont une autre. Nombre d'entre eux cherchent à resserrer leurs liens avec des institutions telles que l'OTAN ou l'Union européenne. Nous ne pouvons rester indifférents à leurs aspirations.

Cependant, si fortes que soient les raisons qui justifient l'élargissement de l'OTAN, le processus n'a rien d'aisé. L'élargissement doit profiter à la sécurité européenne dans son ensemble, et ne laisser aucun pays du mauvais côté d'une nouvelle ligne de partage. Dans le même esprit, de nouveaux membres doivent contribuer à la sécurité de l'Alliance et ne pas être de simples consommateurs en matière de sécurité. C'est pourquoi ce processus doit être progressif et transparent, et s'accompagner d'un renforcement de nos relations avec les pays qui ne nous rejoindront vraisemblablement que plus tard, voire jamais.

Le pilier européen

Pour en finir, je voudrais souligner que la nécessité d'une contribution accrue de la France à l'évolution de l'OTAN n'a jamais été aussi grande. Jamais auparavant, les arguments en faveur de la constitution d'un pilier ou une composante européenne au sein de l'Alliance n'ont été aussi convaincants. La fin de la Guerre froide, Maastricht, l'expérience bosniaque - tous ces éléments débouchent sur une seule conclusion. Dans un monde où la sécurité se caractérise par une complexité croissante, il devient plus nécessaire que jamais de partager le leadership aussi bien que les charges.

Le Secrétaire d'Etat américain, Warren Christopher, a dit fréquemment que toute crise ne doit pas nécessairement se résoudre à un choix entre l'inaction et une intervention unilatérale des Etats-Unis. Cela présuppose toutefois que l'Europe ait elle aussi une capacité d'action adéquate. Il est dans l'intérêt de l'OTAN que l'Europe soit plus unie et plus forte - je dirais même que cest la condition de la vitalité à long terme de l'OTAN.

C'est pourquoi la décision du président Chirac stipulant que la France s'impliquera davantage dans l'Alliance ne pouvait mieux tomber. L'intention exprimée par la France de contribuer à la constitution de cette composante européenne au sein de l'Alliance a été accueillie avec enthousiasme par les Alliés. Et je crois que, d'emblée, cette initiative a aidé à créer un climat positif, dans lequel nous pourrons rééquilibrer l'OTAN de manière à permettre aux Européens d'assumer plus largement la responsabilité de leur propre défense.

Traduire ces nouvelles réalités au niveau des structures de l'Alliance est une de nos tâches prioritaires.

Je vous remercie.